CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 16

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 16

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à M. Hennin.

 

A Ferney, 15 Février 1767.

 

 

          Vous savez, monsieur, que le pauvre Sirven est à Genève, et qu’il n’est représentant que contre le parlement de Toulouse. Son affaire va être plaidée au conseil des parties, après en avoir obtenu permission au conseil du roi.

 

          J’ai reçu de son avocat des instructions qu’il faut que je lui communique. Je vous supplie de vouloir bien lui accorder un passe-port pour venir chez moi. Je crois qu’il vous en demandera bientôt un autre pour aller à Paris faire triompher une seconde fois l’innocence du fanatisme.

 

          J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec l’attachement le plus respectueux et le plus tendre, votre, etc.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

16 Février 1767 (1).

 

 

          Mes chers anges sauront donc que dans cette nouvelle édition de la tragédie des Scythes, envoyée par le dernier ordinaire à M. le duc de Praslin, il m’a paru manquer bien des choses et que dès que je vous eus écrit que je n’y pouvais rien ajouter, j’y ajoutai sur-le-champ quatre vers. Voici à quelle occasion : dans la scène du quatrième acte, entre Athamare et Indatire ce Scythe dit au prince :

 

Apprends à mieux juger de ce peuple équitable,

Egal à toi sans doute et non moins respectable.

 

Athamare ne répond rien à cela ; il est vrai qu’il est pressé de parler de sa demoiselle ; mais il me paraît nécessaire de confondre d’abord cette bravade. Je le fais donc répondre ainsi :

 

Elève ta patrie et cherche à la vanter ;

C’est le recours du faible, on peut le supporter.

Ma fierté, que permet la grandeur souveraine

Ne daigne pas ici lutter contre la tienne.

Te crois-tu juste, au moins ?

 

INDATIRE.

 

Oui, je puis m’en flatter…

 

          Il y a encore un mot qui m’a paru trop rude, au deuxième acte. Hermodan, en voyant le repentir d’Athamare, dit :

 

Je me sens attendri d’un spectacle si rare.

 

Sozame répond :

 

Tu ne m’attendris point, malheureux Athamare !

 

Cela n’est pas juste, cela n’est pas honnête ; il doit lui dire :

 

Tu ne me séduis point, malheureux Athamare !

 

          Je recommande donc ces deux corrections à vos bontés angéliques ; je vous prie de les faire porter sur l’exemplaire de Lekain et sur les autres. Il n’en coûte que la peine de coller quelques petits pains.

 

          Après cette importunité, je vous demande une autre grâce : c’est d’envoyer un exemplaire bien corrigé à madame de Florian, qui n’en fera pas un mauvais usage, et qui ne le laissera pas courir. Il ne serait pas mal qu’elle vît une répétition ; elle s’y connaît, elle dit son mot net et court. Plus j’y pense, plus j’aime les Scythes. Je prie Dieu qu’ainsi soit de vous. Le sujet est heureux, ou je suis bien trompé, et le sujet fait tout. Mille tendres respects.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

16 Février 1767.

 

 

          Bélisaire arrive ; nous nous jetons dessus, maman et moi, comme des gourmands. Nous tombons sur le chapitre quinzième ; c’est le chapitre de la tolérance, le catéchisme des rois ; c’est la liberté de penser soutenue avec autant de courage que d’adresse ; rien n’est plus sage, rien n’est plus hardi. Je me hâte de vous dire combien vous nous avez fait de plaisir. Nous nous attendons bien que tout le reste sera de la même force ; car vous ne pouvez penser qu’avec votre esprit, et écrire que de votre style. Je vous en dirai davantage quand j’aurai tout lu.

 

          Je vous demande votre indulgence pour la tragédie des Scythes. Elle est d’un jeune homme qui ne devait pas faire de pièce de théâtre à son âge ; mais comme il essuyait une espèce de petite persécution, il a cru devoir imiter Alcibiade, qui fit couper la queue à son chien pour détourner les caquets.

 

          Grand merci, encore une fois, de votre beau chapitre ; vous venez de rendre service au genre humain. Dieu vous préserve des regards malins !

 

          Je vous quitte pour entendre la lecture du reste. Bonsoir, mon très cher confrère.

 

 

 

 

 

à M. Élie de Beaumont.

 

A Ferney, le 16 Février 1767.

 

 

          Mon cher Cicéron, vous venez de faire pleurer le bon homme Sirven de tendresse et de reconnaissance. Recevez mes nouveaux remerciements ; ajoutez à toutes vos bontés celle de dire à M. Target (1), votre ami, combien je suis touché de ce qu’il veut élever sa voix en faveur des filles de Sirven. Je vous réponds que ce bon homme ne s’adressera pas à d’autres qu’à vous. Les Calas étaient conduits par cinq ou six protestants du Languedoc, et Sirven n’a d’appui que moi ; il ne peut ni ne doit se conduire que par mes conseils et par vos ordres.

 

          Vous savez avec quelle impatience j’attends votre mémoire imprimé. Il n’y a certainement pas un instant à perdre. M. Chardon m’a mandé qu’il serait bientôt prêt, malgré l’affaire de la Cayenne (2), qui lui prend tout son temps. Il est humain, il est philosophe et bon juge ; je compte sur lui comme sur vous. Vous aurez la gloire d’écraser deux fois le fanatisme ; et les protestants, éclairés d’ailleurs par votre excellent mémoire contre M. de La Roque, ne seront plus fâchés contre madame de Beaumont, à qui je présente mes très tendres respects.

 

 

N.B. – Vous ferez très bien d’avertir, par une note, que ces longs délais ne doivent être imputés ni aux Sirven ni à vous. La note est nécessaire, et je vous en remercie. Je vous suis aussi tendrement attaché que si j’avais vécu avec vous.

 

 

1 – Celui-là même qui fut membre de l’Assemblée constituante. (G.A.)

2 – Affaire du chevalier Turgot avec Chauvallon, relative à la colonisation de la Guyane. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

16 Février 1767.

 

 

          L’article de votre lettre du 10 concernant un intendant, m’étonne autant qu’il m’afflige. Je crois qu’il sera bon, dans l’occasion, de lui faire parler fortement en votre faveur, sans paraître instruit de ce que vous me mandez. Il (1) m’était venu voir à Ferney, et j’en avais été très content. Je me flatte encore qu’il ne sera pas difficile de le ramener.

 

          Je ne connais point M. Cassen (2) ; j’étais fort content de M. Mariette, et je vous prie instamment de le lui dire ; mais il faut laisser faire M. de Beaumont, et ne le pas décourager. Il est actif, sa gloire est intéressée au succès ; il est ami de M Cassen ; il fait encore travailler M. Target, qui est, dit-on, un excellent avocat, et qui doit donner un factum en faveur des filles de Sirven.

 

          Je vous demande deux grâces, mon cher ami : c’est de voir Mariette pour le consoler, et Target et Cassen pour les remercier. Je suis persuadé que les maîtres des requêtes mettront ce dernier fleuron à leur couronne civique. M. de Beaumont croit m’apprendre qu’il a obtenu pour rapporteur M. Chardon ; et il y a près d’un mois que M. Chardon m’a mandé qu’il était rapporteur. Il paraît prendre l’affaire de Sirven à cœur autant que nous-mêmes. Il m’a fait l’honneur de m’envoyer un mémoire sur l’île de Sainte-Lucie, dont il a été intendant : ce mémoire m’a paru un chef-d’œuvre. J’ai été d’autant plus touché de cette marque de confiance, qu’elle me fait espérer qu’il aura quelque envie de s’attirer, dans l’affaire des Sirven, les applaudissements des âmes qui sont sensibles au mérite.

 

          Nous avons reçu, maman Denis et moi, le Bélisaire. Nous nous sommes jetés par un heureux instinct sur le chapitre de la Tolérance, qui est le quinzième chapitre ; il nous a enlevés. Si tout le reste est de cette force, l’ouvrage aura le succès le plus durable. Vous me ferez plaisir d’acheter pour moi un exemplaire de mes sottises chez Merlin, de le faire relier, et de le faire présenter de ma part à M. Marmontel. Voici un petit mot pour lui, et l’autre pour M. de Beaumont. Pardon, mon très cher ami, de toutes les peines que je vous donne.

 

 

1 – L’intendant du Languedoc, sans doute. (G.A.)

2 – Avocat au conseil, mort en 1767. L’année suivante, Voltaire fit imprimer, sous le nom de cet avocat, la Relation de la mort du chevalier de La Barre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

17 Février 1767.

 

 

 

          Sur votre lettre, mon cher ami, qui nous a paru un peu équivoque, nous avons cru ne pouvoir mieux faire que de faire signer le mémoire par les Sirven, et de l’envoyer à M. de Courteilles, pour le rendre à M. de Beaumont.

 

          Nous avons jugé, madame Denis et moi, que c’était le seul moyen de faire paraître cet excellent ouvrage tel qu’il est, signé par les intéressés. J’estime trop M de Beaumont pout croire qu’il veuille rien changer à un mémoire si touchant et si victorieux. C’est un chef d’œuvre de raison, d’éloquence, et de sentiment. Faites l’impossible pour qu’il paraisse tel que je le renvoie. Je mande à M. de Courteilles qu’il peut vous le remettre ; et je n’écrirai à M. de Beaumont qu’en conformité de ce que vous m’aurez mandé. Dites-moi, je vous prie, comment réussit le Bélisaire, dans lequel il y a un si beau morceau sur la tolérance.

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

17 Février 1767.

 

 

          Mon cher ami, si vous n’avez pas le dernier exemplaire des Scythes, que j’ai envoyé pour vous à M. d’Argental, j’en adresse un à M. Marin pour vous le remettre. Je me flatte qu’il aura cette bonté ; et si la multiplicité de ses affaires l’empêche de vous le rendre aussitôt que je le voudrais, je vous prie de le lui demander.

 

          J’espère qu’il ne m’arrivera plus ce qui m’arriva dans Tancrède où mademoiselle Clairon faillit à faire tomber la pièce, en y insérant ou en y faisant insérer des vers ridicules, tels que ceux-ci :

 

Voyant tomber leur chef, les Maures furieux

L’ont accablé de traits, dans leur rage cruelle.

 

          Je sais bien qu’au théâtre on ne se soucie guère du style ; mais le théâtre devient barbare, et ce n’est pas à moi de fomenter la barbarie.

 

          L’exemplaire que j’envoie est chargé de notes pour l’intelligence des rôles ; mais il n’y en a point pour Athamare, parce que vous le jouez : c’est à vous, au reste, à disposer de ces rôles : je vous prie de faire mes très tendres compliments à mademoiselle Durancy, et de dire à M. Molé combien je m’intéresse à son rétablissement. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

20 Février 1767.

 

 

          Les aveugles, mon cher ami, sont sujets à faire d’énormes méprises. Lorsque le paquet contenant le mémoire des Sirven arriva, nous ne songeâmes pas seulement s’il était accompagné d’une lettre. Nous nous jetâmes dessus avec avidité : il fut lu sur-le-champ, à haute et intelligible voix, par M de La Harpe. Nous pleurions tous, nous disions tous : Ce M. de Beaumont s’est surpassé ; le mémoire des Sirven est bien supérieur au mémoire des Calas ; le conseil du roi fondra en larmes. Aussitôt nous envoyons le mémoire aux Sirven pour le signer ; ils le signent ; le mémoire part à l’adresse de M. de Courteilles. Quand tout cela est fait, on lit votre lettre ; on voit que le mémoire est de vous, qu’il n’est point juridique, que Sirven ne devait point le signer : alors nous nous promettons le secret. Je vous écris un mot à la hâte ; je vous dis que votre mémoire est chez M de Courteilles. Si on ne vous l’a pas remis, courez vite chez lui reprenez votre excellent ouvrage ; et, si vous voulez qu’il soit imprimé, renvoyez-le-moi ; il fera un grand effet dans les pays étrangers : mais, surtout, que M. de Beaumont donne le sien ; il nous fait périr par ses lenteurs.

 

          Il y a six ans qu’une famille innocente gémit, et il y a deux ans que M. de Beaumont devrait avoir fini ses peines : il ne sait donc pas combien la vie est courte.

 

          Bonsoir, mon très cher ami ; mon corps et mes yeux vont bien mal ; mais aussi j’entre dans ma soixante et quatorzième année, malgré la fausse date de mes estampes. Ecr. l’inf…

 

 

 

 

 

à M. le duc de Choiseul.

 

A Ferney, 20 Février 1767.

 

 

          Monseigneur, j’ai reçu les deux lettres dont vous m’avez honoré, avec un passe-port général, mais non pas dans leur temps, parce que vos bontés ne me sont parvenues que par les cascades de la dragonnade.

 

          Je vous ai envoyé le Discours de M. de La Harpe, qui a remporté le prix à l’Académie. La justice qu’il vous a rendue a beaucoup contribué à lui faire remporter ce prix. Son ouvrage a été applaudi de tout le public.

 

          Je ne sais si on vous a envoyé le mémoire ci-joint : permettez-moi la liberté de vous le présenter ; comptez qu’il est exact et fidèle. Il sera bien difficile de vivre dorénavant dans le pays de Gex sans votre protection. Je vous la demande aussi pour les Scythes ; je les ai retravaillés suivant les judicieuses remarques que vous avez daigné faire. Je n’en ai fait imprimer que quelques exemplaires, pour épargner la peine des copistes ; l’édition ne paraîtra à Paris que quand vous en serez content.

 

          Je serais bien flatté si vous pouvions honorer la première représentation de votre présence.

 

          J’ai bien des querelles avec M. d’Argental pour les Scythes, sur le cinquième acte ; mais je m’en rapporte à vous.

 

          Je suis pénétré de vos bontés, elles font ma consolation dans mes misères. M. le chevalier de Jaucourt ne m’a vu qu’aveugle et malade. J’étais mort, si je ne m’étais pas égayé aux dépens de Jean-Jacques, de la demoiselle Levasseur, et de Catherine (1).

 

          Je me mets à vos pieds avec la plus tendre reconnaissance et le plus profond respect.

 

 

1 – Voyez le poème de la Guerre civile de Genève. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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