CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1763 - Partie 18

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à M. Bertrand.

 

21 Mai 1763.

 

 

          Je ne sais si vous êtes instruit, mon cher monsieur, que M. le duc de Praslin protège beaucoup une Gazette littéraire qu’on va faire à Paris, concernant les livres étrangers. S’il y a quelque chose de vous, monsieur, ou de quelqu’un de vos amis, je me ferai un plaisir extrême de contribuer à leur faire rendre la justice qui leur sera due. Ce serait surtout une occasion bien favorable pour moi d’être à portée de vous donner des témoignages d’une estime qui égale mon amitié ; tout ce qui viendra de vous me sera bien précieux, et devra l’être à ceux qui aiment les connaissances utiles. Vous connaissez, monsieur, l’inviolable attachement de votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

21 Mai 1763.

 

 

          Je reçois, ô anges de paix ! votre lettre du 17 de mai, et les deux cahiers refondus dans votre creuset ; je les trouve très bien, et je vous trouve infiniment plus raisonnables que l’auteur des remarques (1). Je n’ai point reconnu dans lui la modération que je lui supposais, il s’en faut beaucoup : il respire l’esprit de parti ; et si ses confrères pensent de même, l’arrangement des finances, auquel je m’intéresse tout comme un autre, ne finira pas si tôt.

 

          J’avais très bien compris la raison de la petite contradiction qui se trouvait dans votre lettre précédente et celle de Philibert Cramer ; il n’y avait nul mal à la chose, et tout se confond dans le mérite du bon office que vous me rendez, et dans la reconnaissance que je vous dois.

 

          Je vous enverrai incessamment la Zulime dédiée à la nymphe Clairon. Vous aurez aussi une nouvelle édition d’Olympie ; celle d’Allemagne n’est bonne que pour les pays étrangers, et il eût été bon qu’elle n’eût point transpiré à Paris, attendu qu’il y a dans les remarques une faute impardonnable : on a mis Jeanne Gray pour Marie Stuart : ramasse, Fréron !

 

          Le cinquième acte d’Olympie n’est point du tout vide au théâtre, il s’en faut beaucoup ; comptez que les yeux sont très satisfaits, c’est tout ce qu’il m’est permis de dire. Si vous aviez vu une jeune Olympie venir en deuil sur le théâtre, au milieu des prêtresses vêtues de blanc avec de belles ceintures bleues, vous auriez crié, comme les autres,

 

La rareté ! la curiosité (2) !

 

vous auriez même été très attendris ; et quant au bûcher, on aurait volontiers payé un écu pour le voir. Au reste, messieurs de Paris, faites tout comme il vous plaira, et Dieu vous bénisse !

 

          Pourvu que je ne sois pas maudit de mes anges, je suis content ; je me mets au bout de leurs pieds et de leurs ailes.

 

 

1 - Sans doute le président de Meynières. (G.A.)

2 – Vers d’une chanson connue. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le duc de Praslin.

 

Aux Délices, 21 Mai 1763.

 

 

          Monseigneur, mes anges m’ayant envoyé de votre part la copie de votre lettre circulaire, et m’ayant appris que vous protégiez la Gazette littéraire, que même vous ne seriez pas fâché que je fournisse quelques matériaux à cet ouvrage, j’ai senti sur-le-champ mon zèle se ranimer plus que mes forces. J’ai broché un petit essai sur les productions qui sont parvenues à ma connaissance ce mois-ci : je l’ai envoyé à M. de Montpéroux, à qui j’ai voulu laisser une occasion de vous servir, loin de la lui disputer ; je connais trop l’envie qu’il a de vous plaire pour vouloir être dans cette occasion autre chose que son secrétaire.

 

          Je me trouve heureusement plus à portée que personne de contribuer à l’ouvrage que vous favorisez, et qui peut être très utile ; j’ai des correspondances en Italie, en Angleterre, en Allemagne, et en Hollande. Si vous l’ordonnez, je ferai venir les livres nouveaux imprimés dans tous ces pays ; j’en ferai et enverrai des extraits très fidèles, que vous ferez rectifier à Paris, et auxquels les auteurs que vous employez à Paris donneront le tour et le ton convenables.

 

          Si ma santé ne me permet pas d’examiner tous les livres et de dicter tous les extraits, vous pourriez me permettre d’associer à cet ouvrage quelque savant laborieux dont je reverrai la besogne ; vous sentez bien qu’il faudrait payer ce savant, car il serait Suisse.

 

          J’ajoute encore qu’il faudrait pour être servi promptement, et pour que l’ouvrage ne fût point interrompu, faire venir les livres par la poste : en ce cas, je crois qu’on pourrait écrire de votre part aux directeurs des postes de Strasbourg, de Lyon et de Genève, qui me feraient tenir les paquets. En un mot, je suis à vos ordres ; je serai enchanté d’employer les derniers jours de ma vie, un peu languissante, à vous prouver mon tendre attachement et mon respect.

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

Aux Délices, 23 Mai 1763.

 

 

          Il faut que je vous dise, mes chers anges, que j’ai de la peine à croire que les observations succinctes soient du président de M*** (1), qui m’avait autrefois paru modéré et philosophe. Je vous avoue que ces observations sont un monument rare de l’esprit de parti, qui attache de l’importance à de bien petites choses. Mais les préjugés des autres ne servent qu’à me faire aimer davantage votre raison, et tout augmente la reconnaissance que je vous dois.

 

          L’idée de la Gazette littéraire me fait bien du plaisir, d’autant plus que je me doute que vous la protégez.

 

          Dites-moi, je vous en prie, mes anges, qui sont ces abbés Arnaud et Suard (2) ; ce sont apparemment gens de mérite, puisqu’ils sont encouragés par M. le duc de Praslin. Il me semble qu’on pourrait se servir de cet établissement pour ruiner l’empire de l’illustre Fréron.

 

          J’ai déjà envoyé à M. le duc de Praslin trois cahiers de notices et d’extraits d’ouvrages étrangers, dont quelques-uns ont de la réputation. J’ai eu grand soin de mettre en marge que ces esquisses informes n’étaient présentées que pour être mises en œuvre par les auteurs, et que je n’envoyais que des matériaux bruts pour leur bâtiment. J’ai fort à cœur cette entreprise. Il n’y a que ma maladie des yeux qui me fasse craindre d’être inutile ; sans cela, je pourrais dégrossir tout ce qui se ferait en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, et en Italie. J’ai en main un homme qui m’aiderait. On pourrait aisément me faire venir tous les livres par la poste ; et alors les auteurs de cet ouvrage périodique, servis régulièrement, n’auraient plus qu’à rédiger et à embellir les extraits. J’ai proposé à M. le duc de Praslin cet arrangement, et s’il convient à mon âge ; il ne demande pas de grands efforts d’imagination, et je travaillerai jusqu’à ce que je devienne tout à fait aveugle et impotent, deux bénéfices dont je pourrai bientôt être pourvu.

 

          Comme je vous fais toujours des confessions générales, je dois vous dire que madame Denis, à qui j’ai donné Ferney, a présenté requête à M. le duc de Praslin pour avoir ses causes commises au conseil privé : en voici le motif.

 

          Les privilèges de la terre sont tous fondés sur les traités des rois, depuis Charles IX jusqu’à Louis XV ; les parlements s’embarrassent peu des traités. Le roi paraît le seul juge comme le seul interprète des conventions faites avec les ducs de Savoie, Berne, et Genève. Si on attaque nos droits au parlement, nous les perdrons infailliblement ; si nous plaidons au conseil, nous espérons gagner.

 

          Il y aurait peut-être une autre tournure à prendre : ce serait de ne plaider nulle part, et d’abandonner ses droits pour être plus tranquille. C’est un parti de Bias et de Diogène, et je le prendrais peut-être si j’étais seul ; mais il serait triste pour madame Denis de perdre de très belles prérogatives, et le plus clair revenu de sa terre.

 

          Vous ne me dites jamais rien du tripot ; pas un mot de la tragédie de Socrate (3) ; profond silence sur les trois tomes immortels du modeste Palissot (4) ; vous ne parlez ni de l’Opéra, ni des édits, ni de la Lettre de Jean-Jacques à Christophe. Les yeux me cuisent, et refusent le service à votre créature.

 

 

1 – Meynières. (G.A.)

2 – Rédacteurs de la Gazette littéraire. Suard n’était point abbé. (G.A.)

3 – Par Sauvigny. Elle avait été jouée le 9 Mai. (G.A.)

4 – Théâtre et Œuvres diverses de M. Palissot de Montenoy. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

Aux Délices, 23 Mai 1763.

 

 

          Je suis très en peine, monsieur, d’un gros paquet que je vous adressai, il y a quelques semaines, par M. Bouret. Il m’est important de savoir si la poste use de son droit, qui n’est pas le droit des gens, d’ouvrir les paquets, et de les garder. Celui que je vous envoyais ne méritait d’être gardé ni par vous ni par la poste. Je vous demande en grâce de m’instruire si vous l’avez reçu. Quelle sensation fait dans Paris la tragédie de Socrate ? Le sujet n’est pas trop intéressant ; s’il l’est devenu, c’est une preuve que la philosophie fait de terribles progrès, et que la partie saine du public déteste les Anytus, les Omer, et les Christophe. Dieu soit béni !

 

          Que dit-on de la lettre de Jean-Jacques à Christophe ? Savez-vous que Palissot a fait imprimer ses Œuvres ? le sait-on ? Tout son recueil est contre les pauvres philosophes, et cependant il pense comme eux ; cela fait saigner le cœur. Consolez-moi en écrivant sur la poésie, puisque vous ne voulez plus me consoler en la cultivant. Est-il possible que ce coquin de Fréron vous ait fait abandonner un art où vous auriez certainement eu de très grands succès ! Votre Poétique réussit beaucoup auprès des gens du métier, et de ceux qui n’en sont pas ; c’est la preuve du vrai mérite. Je suis toujours presque aveugle, j’ai peine à écrire ; mais je livrai avec bien du plaisir quelques mots de vous.

 

          Conservez vos sentiments pour votre ancien ami.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

23 Mai 1763.

 

 

          Je suis toujours extrêmement en peine, mon cher frère, d’un paquet chrétien adressé à un comte de Bruc, et d’une lettre (1) profane au notaire de Laleu. La poste a oublié le droit des gens. Cramer avait donc oublié les droits de l’amitié et son devoir de libraire, de ne vous pas présenter le deuxième tome russe ? Eh bien ! les anges ont donc tout apaisé, tout concilié ; mais messieurs (2) crieront encore, messieurs veulent toujours avoir raison ; ils pourront l’avoir avec le contrôleur-général, mais non pas avec moi, qui ne suis que contrôleur des fanatiques.

 

          Sed quid dicis de la Lettre à Christophe, et quid dicunt ? Et Palissot, Palissot qui imprime trois volumes contre les philosophes ! Mais si Socrate réussit, bénissons Dieu, car une telle pièce ne peut obtenir de succès que de la disposition générale des esprits en faveur de la philosophie. Je vous ai demandé trois fois le manuscrit de l’article IDOLÂTRIE, que frère Platon doit avoir, et dont j’ai un besoin pressant. Vous m’aviez fait espérer quelques articles encyclopédiques ; secourez donc un pauvre malade.

 

 

1 – On n’a pas cette lettre. (G.A.)

2 – Les parlementaires. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

24 Mai (1).

 

 

          Mes chers anges, voici deux Olympie et deux Zulime que je mets au bout de vos ailes, en vous suppliant d’en donner une à mademoiselle Clairon, à qui Zulime est dédiée. Je devrais vous envoyer cela proprement relié ; mais il faudrait trois semaines à Genève. Ce sont des pâtés tout chauds, assez insipides, qui sortent du four.

 

          Je vous envoie à cachet volant mes remerciements, ma réponse et mes modestes objections à M. le président de Meynières. Je vous surcharge de prose et de vers.

 

          On me mande que la Gazette littéraire n’est qu’un ouvrage décharné, une simple notice des livres nouveaux. Si cela est, j’ai bien perdu mon temps ; mais ce n’est pas le perdre que de vouloir vous plaire.

 

          Est-il possible que vous donniez la préférence à Olympie sur Zulime ? Allons, il faut tout souffrir de ses anges.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Vernes.

 

Aux Délices, 24 Mai 1763.

 

 

          Non, assurément, Jean-Jacques n’est pas ce que vous savez, et peu d’êtres pensants sont ce que vous savez. S’il y a une bonne morale, dans les Mille et une Nuits, on adopte cette morale, et on rit des contes bleus. Les uns rient tout bas, les autres rient tout haut ; ceux qui rient sous cape persécutent quelquefois ceux qui ont ri trop fort, et qui ont réveillé leurs voisins par leurs éclats. Voilà le monde, mon très cher curé ; et vous savez bien….. (Je raie ceci par excès de discrétion.)

 

          On dit que Jean-Jacques fait actuellement des fagots (1), comme le Médecin malgré lui ; il en a tant conté qu’il est bien juste qu’il en fasse. A l’égard de son abdication, il se croit un Charles-Quint qui abdique l’empire.

 

          La tolérance ne servira de rien, à moins qu’on ait des protections très fortes. Il est difficile de persuader de si loin des âmes occupées de leurs intérêts, et entraînées par le torrent des affaires. Je ferai mes efforts, mais j’ai peu d’espérance ; je n’ai qu’un violent désir, parce qu’à Pékin et à Méaco ce serait une bonne œuvre.

 

          C’est bien dommage qu’on n’ait pas fait une histoire des conciles, dans le goût naïf du Précis du Concile de Trente : il faut espérer que quelque bonne âme rendra ce service aux honnêtes gens. Tout vient dans son temps, et un temps arrivera où l’on n’enseignera aux hommes que la morale qui vient de Dieu, et qu’on laissera là les dogmes qui viennent des Pères : car quels enfants que ces Pères ! ou quels radoteurs !

 

          Enfin l’infâme procédure des infâmes juges de Toulouse est partie ou part cette semaine. Nous espérons que l’affaire sera jugée au grand-conseil, où nous aurons bonne justice, après quoi, je mourrai content.

 

N.B. – Le parlement de Toulouse ayant roué le père a écorché la mère. Il a fallu payer cher l’extradition des pièces ; mais tout cela est fait par la justice. Ah, Manigoldi !

 

 

1 – Il faisait des lacets. (G.A.)

 

 

 

 

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