ZULIME - Partie 4 : Acte troisième

Publié le par loveVoltaire

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SCÈNE IV.

 

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ATIDE, RAMIRE.

 

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RAMIRE.

 

Ah ! fuyez sa vengeance, Atide, et que je meure !

 

ATIDE.

 

Non, je veux qu’à ses pieds vous vous jetiez sur l’heure,

Ramire, il faut me perdre et vous justifier,

Laisser périr Atide et même l’oublier.

 

RAMIRE.

 

Vous !

 

ATIDE.

 

Vos jours, vos devoirs, votre reconnaissance,

Avec ce triste hymen n’entrent point en balance.

Nos liens son sacrés, et je les brise tous :

Mon cœur vous idolâtre… et je renonce à vous.

 

RAMIRE.

 

Vous, Atide !

 

ATIDE.

 

Il le faut ; partez sous ses auspices :

Ma rivale aura fait de moindres sacrifices ;

Mes mains auront brisé de plus puissants liens,

Et mes derniers bienfaits sont au-dessus des siens.

 

RAMIRE.

 

Vos bienfaits sont affreux ; l’idée en est un crime.

O chère et tendre épouse ! ô cœur trop magnanime !

Il faut périr ensemble, il faut qu’un noble effort

Assure la retraite, ou nous mène à la mort.

 

ATIDE.

 

Je mourrai, j’y consens ; mais espérez encore ;

Tout est entre vos mains. Zulime vous adore :

Ce n’est pas votre sang qu’elle prétend verser.

Pensez-vous qu’à son père elle osât s’adresser ?

Vous voyez ces remparts qui ceignent notre asile :

Sont-ils pleins d’ennemis ? tout n’est-il pas tranquille ?

A-t-elle seulement marché de ce côté ?

Sa colère trompait son esprit agité.

Confiez-vous à moi ; mon amour le mérite.

Je vous réponds de tout, souffrez que je vous quitte ;

Souffrez…

 

 

(Elle sort.)

 

 

RAMIRE.

 

Non… je vous suis.

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

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RAMIRE, BÉNASSAR.

 

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BÉNASSAR.

 

Demeure, malheureux !

Demeure.

 

RAMIRE.

 

Que veux-tu ?

 

BÉNASSAR.

 

Cruel ! ce que je veux ?

Après tes attentats, après fa fuite infâme,

L’humanité, l’honneur, entrent-ils dans ton âme ?

 

RAMIRE.

 

Crois-moi, l’humanité règne au fond de ce cœur

Qui pardonne à ton doute, et qui plaint ton malheur :

L’honneur est dans ce cœur qui brava la misère.

 

BÉNASSAR.

 

Tu ne braves, ingrat, que les larmes d’un père :

Tu laisses le poignard dans ce cœur déchiré ;

Tu pars, et cet assaut est encor différé.

La mer t’ouvre ses flots pour enlever ta proie :

Eh bien ! prends donc pitié des pleurs où je me noie ;

Prends pitié d’un vieillard trahi, déshonoré,

D’un père qui chérit un cœur dénaturé.

Je te crus vertueux, Ramire, autant que brave ;

Je corrigeai le sort qui te fit mon esclave :

Je te devais beaucoup, je t’en donnais le prix ;

J’allais avec les tiens te rendre à ton pays.

Le ciel sait si mon cœur abhorrait l’injustice

Qui voulait de ton sang le fatal sacrifice.

Ma fille a cru, sans doute, une indigne terreur ;

Et son aveuglement a causé son erreur.

Je t’adresse, cruel, une plainte impuissante :

Ton fol amour insulte à ma voix expirante.

Contre les passions que peut mon désespoir ?

Que veux-tu ? je me mets moi-même en ton pouvoir :

Accepte tous mes biens, je te les sacrifie ;

Rends-moi mon sang, rends-moi mon honneur et ma vie.

Tu ne me réponds rien, barbare !

 

RAMIRE.

 

Ecoute-moi.

Tes trésors, tes bienfaits, ta fille, sont à toi.

Soit vertu, soit pitié, soit intérêt plus tendre,

Au péril de sa gloire elle osa nous défendre ;

Pour toi, de mille morts elle eût bravé les coups.

Elle adore son père, et le trahit pour nous ;

Et je crois la payer du plus noble salaire,

En la rendant aux mains d’un si vertueux père.

 

BÉNASSAR.

 

Toi, Ramire ?

 

RAMIRE.

 

Zulime est un objet sacré

Que mes profanes yeux n’ont point déshonoré.

Tu coûtas plus de pleurs à son âme séduite

Que n’en coûte à tes yeux sa déplorable fuite.

Le temps fera le reste ; et tu verras un jour

Qu’il soutient la nature, et qu’il détruit l’amour :

Et si dans ton courroux je te croyais capable

D’oublier pour jamais que ta fille est coupable,

Si ton cœur généreux pouvait se désarmer,

Chérir encor Zulime…

 

BÉNASSAR.

 

Ah !si je puis l’aimer !

Que me demandes-tu ? conçois-tu bien la joie

Du plus sensible père au désespoir en proie,

Qui, noyé si longtemps dans des pleurs superflus,

Reprend sa fille enfin, quand il ne l’attend plus ?

Moi, ne la plus chérir ! Va, ma chère Zulime

Peut avec un remords effacer tout son crime ;

Va, tout est oublié, j’en jure mon amour :

Mais puis-je à tes serments me fier à mon tour ?

Zulime m’a trompé ! Quel cœur n’est point parjure ?

Quel cœur n’est point ingrat ?

 

RAMIRE.

 

Que le tien se rassure.

Atide est dans ces lieux ; Atide est, comme moi,

Du sang infortuné de notre premier roi :

Nos captifs malheureux, brûlants du même zèle,

N’ont tout fait avec moi, tout tenté que pour elle ;

Je la livre en otage, et la mets dans tes mains.

Toi, si je fais un pas contraire à tes desseins,

Sur mon corps tout sanglant verse le sang d’Atide :

Mais si je suis fidèle, et si l’honneur me guide,

Toi-même arrache Atide à ces bords ennemis,

Appelle tous les tiens, délivre nos amis.

Le temps presse : peux-tu me donner ta parole ?

Peux-tu me seconder ?

 

BÉNASSAR.

 

Je le puis, et j’y vole.

Déjà quelques guerriers, honteux de me trahir,

Reconnaissent leur maître, et sont près d’obéir.

Mais auras-tu, Ramire, une âme assez cruelle

Pour abuser encor mon amour paternel ?

Pardonne à mes soupçons.

 

RAMIRE.

 

Va, ne soupçonne rien ;

Mon plus cher intérêt s’accorde avec le tien.

Je te vois comme un père.

 

BÉNASSAR.

 

A toi je m’abandonne.

Dieu voit du haut des cieux la foi que je te donne.

 

RAMIRE.

 

Adieu ; reçois la mienne.

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

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RAMIRE, ATIDE.

 

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ATIDE.

 

Ah ! prince, on vous attend.

Il n’est plus de danger, l’amour seul vous défend.

Zulime est apaisée, et tant de violence,

Tant de transports affreux, tant d’apprêts de vengeance,

Tout cède à la douceur d’un repentir profond ;

L’orage était soudain, le calme est aussi prompt.

J’ai dit ce que j’ai dû pour adoucir sa rage,

Et l’amour à son cœur en disait davantage.

Ses yeux, auparavant si fiers, si courroucés,

Mêlaient des pleurs de joie aux pleurs que j’ai versés.

J’ai saisi cet instant favorable à la fuite ;

Jusqu’au pied du vaisseau soudain je l’ai conduite ;

J’ai hâté vos amis : la moitié suit mes pas,

L’autre moitié s’embarque, ainsi que vos soldats ;

On n’attend plus que vous, la voile se déploie.

 

RAMIRE.

 

Ah, ciel ! qu’avez-vous fait ?

 

ATIDE.

 

Les pleurs où je me noie

Seront les derniers pleurs que vous verrez couler.

C’en est fait, cher amant, je ne veux plus troubler

Le bonheur de Zulime, et le vôtre peut-être.

Vous êtes trop aimé, vous méritez de l’être.

Allez, de ma rivale heureux et cher époux,

Remplir tous les serments qu’Atide a faits pour vous.

 

RAMIRE.

 

Quoi ! vous l’avez conduite à ce vaisseau funeste ?

 

ATIDE.

 

Elle vous y demande.

 

RAMIRE.

 

O puissance céleste !

Elle part, dites-vous ?

 

ATIDE.

 

Oui ; sauvez-là, seigneur,

Des lieux que pour vous seul elle avait en horreur.

 

RAMIRE.

 

Atide ! en ce moment c’est fait de votre vie.

 

ATIDE.

 

Eh ! ne savez-vous pas que je la sacrifie ?

 

RAMIRE.

 

Vous êtes en otage auprès de Bénassar.

Il n’est plus d’espérance, il n’est plus de départ ;

Tout est perdu.

 

ATIDE.

 

Comment ?

 

RAMIRE.

 

Où courir ? et que faire ?

Et comment réparer mon crime involontaire ?

 

ATIDE.

 

Que dites-vous ? quel crime, et quel engagement ?

 

RAMIRE.

 

Ah ! ciel !

 

ATIDE.

 

Qu’ai-je donc fait ?

 

 

 

 

SCÈNE VII.

 

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RAMIRE, ATIDE, IDAMORE.

 

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IDAMORE.

 

En ce même moment

Bénassar vous poursuit, vous, Atide, et Zulime.

Le péril le plus grand est celui qui m’anime.

Seigneur, je viens combattre et mourir avec vous.

J’ai vu ce Bénassar, enflammé de courroux,

Aux siens qui l’attendaient lui-même ouvrir la porte,

Rentrer accompagné de leur fatale escorte,

Courir à ses vaisseaux la flamme dans les mains ;

Il attestait le ciel vengeur des souverains ;

Sa fureur échauffait les glaces de son âge,

Déjà de tous côtés commençait le carnage ;

Je me fraie un chemin, je revole en ces lieux.

Sortons… Entendez-vous tous ces cris furieux ?

D’où vient que Bénassar, au fort de la mêlée,

Accuse votre foi lâchement violée ?

Les soldats de Zulime ont quitté ses drapeaux ;

Ils ont suivi son père, ils marchent aux vaisseaux.

D’où peut naître un revers si prompt et si funeste ?

 

RAMIRE.

 

Allons le réparer, le désespoir nous reste ;

Sauvons du moins Atide ; et, le fer à la main,

Parmi ces malheureux ouvrons-nous un chemin.

Suivez-moi. Dieu puissant, daignez enfin défendre

La vertu la plus pure, et l’amour le plus tendre !

Suivez-moi, dis-je.

 

ATIDE.

 

O ciel ! Ramire ! Ah ! jour affreux !

 

RAMIRE.

 

Si vous vivez, ce jour est encor trop heureux (1).

 

 

 

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1 – Les deux actes suivants datent de 1757 et furent encore retouchés en 1761. (G.A.)

 

 

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