ZULIME - Partie 5 : Acte troisième
Photo de Khalah
Z U L I M E.
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
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ZULIME, ATIDE.
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ZULIME.
Hélas ! vous n’aimez point : vous ne concevez pas
Tous ces soulèvements, ces craintes, ces combats,
Ce reflux orageux du remords et du crime.
Que je me hais ! j’outrage un père magnanime,
Un père qui m’est cher, et qui me tend les bras.
Que dis-je ? l’outrager ! j’avance son trépas ;
Malheureuse !
ATIDE.
Après tout, si votre âme attendrie
Craint d’accabler un père, et tremble pour sa vie,
Pardonnez ; mais je sens qu’en de tels déplaisirs
Un grand cœur quelquefois commande à ses soupirs,
Qu’on peut sacrifier…
ZULIME.
Que prétends-tu me dire ?
Sacrifier l’amour qui m’enchaîne à Ramire !
A quels conseils, grand Dieu ! faut-il s’abandonner ?
Ai-je pu les entendre ? ose-t-on les donner ?
Toute prête à partir, vous proposez, barbare,
Que moi qui l’ai conduit, de lui je me sépare !
Non, mon père en courroux, mes remords, ma douleur,
De ce conseil affreux n’égalent point l’horreur.
ATIDE.
Mais vous-même à l’instant, à vos devoirs fidèle,
Vous disiez que l’amour vous rend trop criminelle.
ZULIME.
Non, je ne l’ai point dit, mon trouble m’emportait ;
Si je parlais ainsi, mon cœur me démentait.
ATIDE.
Qui ne connaît l’état d’une âme combattue ?
J’éprouve, croyez-moi, le chagrin qui vous tue ;
Et ma triste amitié…
ZULIME.
Vous m’en devez, du moins.
Mais que cette amitié prend de funestes soins !
Ne me parlez jamais que d’adorer Ramire.
Redoublez dans mon cœur tout l’amour qu’il m’inspire.
Hélas ! m’assurez-vous qu’il réponde à mes vœux
Comme il le doit, Atide, et comme je le veux ?
ATIDE.
Ce n’est point à des cœurs nourris dans l’amertume,
Que la crainte a glacés, que la douleur consume ;
Ce n’est point à des yeux aux larmes condamnés,
De lire dans les cœurs des amants fortunés.
Est-ce à moi d’observer leur joie et leur caprice ?
Ne vous suffit-il pas qu’on vous rende justice,
Qu’on soit à vos bontés asservi pour jamais ?
ZULIME.
Non ; il semble accablé du poids de mes bienfaits.
Son âme est inquiète et n’est point attendrie.
Atide, il me parlait des lois de sa patrie.
Il est tranquille assez, maître assez de ses vœux
Pour voir en ma présence un obstacle à nos feux.
Ma tendresse un moment s’est sentie alarmée.
Chère Atide, est-ce ainsi que je dois être aimée ?
Après ce que j’ai fait, après ma fuite, hélas !...
Atide, il me trahit, s’il ne m’adore pas ;
Si de quelque intérêt son âme est occupée,
Si je ne suis pas seule, Atide, il m’a trompée.
SCÈNE II.
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ZULIME, ATIDE, IDAMORE.
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IDAMORE.
Madame, votre père appelle ses soldats ;
Résolvez votre fuite, et ne différez pas.
Déjà quelques guerriers, qui devaient vous défendre,
Aux pleurs de Bénassar étaient prêts à se rendre.
Honteux de vous prêter un sacrilège appui,
Leurs fronts en rougissant se baissaient devant lui.
De ces murs odieux je garde le passage ;
Ce sentier détourné nous conduit au rivage.
Ramire impatient, de vous seule occupé,
De vos bontés rempli, de vos charmes frappé,
Et prêt pour son épouse à prodiguer sa vie,
Dispose en ce moment votre heureuse sortie.
ZULIME.
Ramire, dites-vous ?
IDAMORE.
Ardent, rempli d’espoir,
Il revient vous servir, surtout il veut vous voir.
ZULIME.
Ah ! je renais, Atide, et mon âme est en proie
A tout l’emportement de l’excès de ma joie.
Pardonne à des soupçons indignement conçus ;
Ils sont évanouis, ils ne renaîtront plus.
J’ai douté, j’en rougis ; je craignais, et l’on m’aime !
Ah ! prince…
SCÈNE III.
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ZULIME, ATIDE, RAMIRE, IDAMORE.
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IDAMORE, à Ramire.
J’ai parlé, seigneur, comme vous-même ;
J’ai peint de votre cœur les justes sentiments ;
Zulime en est bien digne : achevez, il est temps.
Pressons l’heureux instant de notre délivrance ;
Rien ne nous retient plus : je cours, je vous devance.
(Il sort.)
RAMIRE.
Nous voici parvenus à ce moment fatal
Où d’un départ trop lent on donne le signal.
Bénassar de ces lieux n’est point encor le maître ;
Pour peu que nous tardions, madame, il pourrait l’être.
Vous voulez de l’Afrique abandonner les bords ;
Venez, ne craignez point ses impuissants efforts.
ZULIME.
Moi, craindre ! ah ! c’est pour vous que j’ai connu la crainte !
Croyez-moi ; je commande encor dans cette enceinte ;
La porte de la mer ne s’ouvre qu’à ma voix.
Sauvez ma gloire au moins pour la dernière fois.
Apprenons à l’Espagne, à l’Afrique jalouse,
Que je suis mon devoir en partant votre épouse.
RAMIRE.
C’est braver votre père, et le désespérer ;
Pour le salut des miens je ne puis différer…
ZULIME.
Ramire !
RAMIRE.
Si le ciel me rend mon héritage,
Valence est à vos pieds.
ZULIME.
Tu promis davantage.
Que m’importait un trône ?
ATIDE.
Eh ! madame, est-il temps
De s’oublier ici dans ces périls pressants ?
Songez…
ZULIME.
De ce péril soyez moins occupée ;
Il en est un plus grand. Ciel ! serais-je trompée ?
Ah, Ramire !
RAMIRE.
Attendez qu’au sein de ses Etats
L’infortuné Ramire ait pu guider vos pas.
ZULIME.
Qu’entends-je ? Quel discours à tous les trois funeste !
Ramire ! attendais-tu qu’immolant tout le reste,
Perfide à ma patrie, à mon père, à mon roi,
Je n’eusse en ces climats d’autre maître que toi ?
Sur ces rochers déserts, ingrat, m’as-tu conduite
Pour traîner en Europe une esclave à ta suite ?
RAMIRE.
Je vous y mène en reine, et mon peuple à genoux
Avec son souverain fléchira devant vous.
ATIDE.
Croyez que vos bienfaits…
ZULIME.
Ah ! c’en est trop, Atide ;
C’est trop vous efforcer d’excuser un perfide ;
Le voile est déchiré : je vois mon sort affreux,
Quel père j’offensais ! et pour qui ? Malheureux !
Des plus sacrés devoirs la barrière est franchie :
Mais il reste un retour à ma vertu trahie ;
Je revole à mon père : il a plaint mes erreurs,
Il est sensible, il m’aime, il vengera mes pleurs :
Et de sa main du moins il faudra que j’obtienne,
Dirai-je, hélas ! ta mort ? non, ingrat, mais la mienne.
Tu l’as voulu, j’y cours.
ATIDE.
Madame…
RAMIRE.
Atide ! ô ciel !
ATIDE.
Madame, écoutez vous ce désespoir mortel ?
C’est votre ouvrage, hélas ! que vous allez détruire.
Vous vous perdez ! Eh quoi ! vous balancez, Ramire ?
ZULIME.
Madame, épargnez-vous ces transports empressés :
Son silence et vos pleurs m’en ont appris assez.
Je vois sur mon malheur ce qu’il faut que je pense,
Et je n’ai pas besoin de tant de confidence,
Ni des secours honteux d’une telle pitié.
J’ai prodigué pour vous la plus tendre amitié :
Vous m’en payez le prix ; je vais le reconnaître.
Sortez, rentrez aux fers où vous avez dû naître
Esclaves, redoutez mes ordres absolus ;
A mes yeux indignés ne vous présentez plus :
Laissez-moi.
RAMIRE.
Non, madame, et je perdrai la vie
Avant d’être témoin de tant d’ignominie.
Vous ne flétrirez point cet objet malheureux,
Ce cœur digne de vous, comme vous généreux.
Si vous le connaissiez, si vous saviez…
ZULIME.
Parjure,
Ta fureur à ce point insulte à mon injure !
Tu m’outrages pour elle : Ah, vil couple d’ingrats !
Du fruit de mes douleurs vous ne jouirez pas ;
Vous expierez tous deux mes feux illégitimes :
Tremblez ! ce jour affreux sera le jour des crimes.
Je n’en ai commis qu’un, ce fut de vous servir,
Ce fut de vous sauver ; je cours vous en punir…
Tu me braves encore, et tu présumes, traître,
Que des lieux où je suis tu t’es rendu le maître,
Ainsi que tu l’étais de mes vœux égarés ;
Tu te trompes, barbare… A moi, gardes ! courez,
Suivez-moi tous, ouvrez aux soldats de mon père ;
Que mon sang satisfasse à sa juste colère ;
Qu’il efface ma honte, et que mes yeux mourants
Contemplent deux ingrats à mes pieds expirants !