NANINE - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

NANINE---AVERTISSEMENT.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

NANINE.

 

 

 

 

 

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

 

 

 

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS LE 16 JUIN 1749.

 

 

 

− Avec la NOUVEAUTÉ, de Legrand. −

 

 

 

___________

 

 

 

 

NOMS DES ACTEURS QUI JOUÈRENT DANS CETTE SOIRÉE

 

 

 

LA MARQUISE       Mme DANGEVILLE.

 

NANINE                    Melle GAUSSIN.

 

LA BARONNE         Mme GRANVAL.

 

 

                                    LEGRAND, DUBREUIL, SARRAZIN, DUBOIS, BARON, 

                                   BONNEVAL,   PAULIN, DESCHAMPS, DROUIN, RIBOU, 

                                   CONELL, BEAUMENARD.

 

______

 

 

 

RECETTE : 3,904 livres.

 

 

Dans sa nouveauté, Nanine eut douze représentations de suite (G.A.)

 

 

______

 

 

 

 

AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.

 

 

 

         Encore une comédie de société, qui fut composée et jouée pendant le premier séjour de Voltaire à la cour de Stanislas en Lorraine (1748) ; messieurs de la Comédie-Française ne la représentèrent que l’année d’après. Le sujet de cette pièce est tiré du roman de Richardson, Paméla. Une fois Boissy, une autre fois La Chaussée, l’avaient déjà mis au théâtre, et ces deux fois sans le moindre succès. En raison de ces tristes précédents, Voltaire jugea qu’il était sage de débaptiser l’héroïne, et la pseudo-Paméla fut présentée au public comme une nouvelle connaissance. On l’accepta pour telle, et on lui fit si bon accueil qu’un moment Voltaire songea à lui donner deux actes de plus pour en accroître l’importance ; mais, après conseils, il ajourna ce développement, puis il y renonça, et ce fut bien fait.

 

         Cette jolie esquisse, où l’égalité des conditions est si galamment affirmée, fut fort à la mode en 1789, et, si elle a perdu aujourd’hui toute sa fleur, la faute n’en est qu’au Code civil. Longtemps encore, au commencement du siècle, on la joua dans certaines demeures de province pour l’instruction des paysans. Il y a plusieurs mois, nous nous trouvions à Thym-le-Moustier, village des Ardennes, et nous entendîmes un vieillard de quatre-vingts ans nous vanter la Nanine de Voltaire. Ce brave homme l’avait jouée tout enfant, avec ses amis, dans son village même chez l’ancien maire de Paris en 93, Jean-Nicolas Pache, lequel consacra toutes les heures de ses derniers jours à accroître le mieux-être physique et moral des paysans qui l’entouraient.

 

         Au temps de Voltaire, Nanine, s’affichait : Nanine  ou le Préjugé vaincu.

 

 

 

GEORGES AVENEL.

 

 

 

 

______

 

 

 

 

 

PRÉFACE.

 

 

 

 

         Cette bagatelle fut représentée à Paris, dans l’été de 1749, parmi la foule des spectacles qu’on donne à Paris tous les ans (1).

 

         Dans cette autre foule, beaucoup plus nombreuse, de brochures dont on est inondé, il en parut une dans ce temps-là qui mérite d’être distinguée. C’est une dissertation ingénieuse et approfondie d’un académicien de La Rochelle sur cette question, qui semble partager depuis quelques années la littérature : savoir, s’il est permis de faire des comédies attendrissantes (2). Il paraît se déclarer fortement contre ce genre, dont la petite comédie de Nanine tient beaucoup en quelques endroits. Il condamne avec raison tout ce qui aurait l’air d’une tragédie bourgeoise. En effet, que serait-ce qu’une intrigue tragique entre des hommes du commun ? Ce serait seulement avilir le cothurne ; ce serait manquer à la fois l’objet de la tragédie et de la comédie ; ce serait une espèce bâtarde, un monstre, né de l’impuissance de faire une comédie et une tragédie véritables.

 

         Cet académicien judicieux blâme surtout les intrigues romanesques et forcées dans ce genre de comédie, où l’on veut attendrir les spectateurs, et qu’on appelle, par dérision, comédie larmoyante. Mais dans quel genre les intrigues romanesques et forcées peuvent-elle être admises ? Ne sont-elles pas toujours un vice essentiel dans quelque ouvrage que ce puisse être ? Il conclut enfin en disant que, si dans une comédie l’attendrissement peut aller quelquefois jusqu’aux larmes, il n’appartient qu’à la passion de l’amour tel qu’il est représenté dans les bonnes tragédies, l’amour furieux barbare, funeste, suivi de crimes et de remords ; il entend l’amour naïf et tendre, qui seul est du ressort de la comédie.

 

         Cette réflexion en fait naître une autre, qu’on soumet au jugement des gens de lettres ; c’est que, dans notre nation, la tragédie a commencé par s’approprier le langage de la comédie. Si l’on y prend garde, l’amour, dans beaucoup d’ouvrages dont la terreur et la pitié devraient être l’âme, est traité comme il doit l’être en effet dans le genre comique. La galanterie, les déclarations d’amour, la coquetterie, la naïveté, la familiarité, tout cela ne se trouve que trop chez nos héros et nos héroïnes de Rome et de la Grèce, dont nos théâtres retentissent ; de sorte qu’en effet l’amour naïf et attendrissant dans une comédie n’est point un larcin fait à Malpomène ; mais c’est au contraire Melpomène qui depuis longtemps a pris chez nous les brodequins de Thalie.

 

         Qu’on jette les yeux sur les premières tragédies qui eurent de si prodigieux succès vers le temps du cardinal de Richelieu, la Sophonisbe de Mairet, la Mariamne, l’Amour tyrannique, Alcionée (3) : on verra que l’amour y parle toujours sur un ton aussi familier et quelquefois aussi bas que l’héroïsme s’y exprime avec une emphase ridicule ; c’est peut-être la raison pour laquelle notre nation n’eut en ce temps-là aucune comédie supportable ; c’est qu’en effet le théâtre tragique avait envahi tous les droits de l’autre : il est même vraisemblable que cette raison détermina Molière à donner rarement aux amants qu’il met sur la scène une passion vive et touchante : il sentait que la tragédie l’avait prévenu.

 

         Depuis la Sophoniste de Mairet, qui fut la première pièce dans laquelle on trouva quelque régularité, on avait commencé à regarder les déclarations d’amour des héros, les réponses artificieuses et coquettes des princesses, les peintures galantes de l’amour, comme des choses essentielles au théâtre tragique. Il est resté des écrits de ce temps-là, dans lesquels on cite avec de grands éloges ces vers que dit Massinisse après la bataille de Cirthe :

 

 

J’aime plus de moitié quand je me sens aimé,

Et ma flamme s’accroît par un cœur enflammé…

Comme par une vague une vague s’irrite,

Un soupir amoureux par un autre s’excite.

Quand les chaînes d’hymen étreignent deux esprits,

Un baiser se doit rendre aussitôt qu’il est pris.

 

Sophoniste, IV, I.

 

 

         Cette habitude de parler ainsi d’amour influa sur les meilleurs esprits ; et ceux même dont le génie mâle et sublime était fait pour rendre en tout à la tragédie son ancienne dignité se laissèrent entraîner à la contagion.

 

         On vit, dans les meilleures pièces,

 

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .   .   .  Un malheureux visage

Qui d’un chevalier romain captiva le courage.

 

Polyeucte, I, III.

 

Le héros dit à sa maîtresse (Id., II, II) :

 

Adieu, trop vertueux objet et trop charmant.

 

L’héroïne lui répond :

 

Adieu, trop malheureux et trop parfait amant.

 

Cléopâtre dit qu’une princesse (Mort de Pompée, II,I) :

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . Aimant sa renommée,

En avouant qu’elle aime, est sûre d’être aimée.

 

 

Que César

 

.  .  . Trace des soupirs, et, d’un style plaintif,

Dans son champ de victoire il se dit son captif.

 

         Elle ajoute qu’il ne tient qu’à elle d’avoir des rigueurs, et de rendre César malheureux ; sur quoi sa confidente lui répond :

 

J’oserais bien jurer que vos charmants appas

Se vantent d’un pouvoir dont ils n’useront pas.

 

         Dans toutes les pièces du même auteur, qui suivent la Mort de Pompée, on est obligé d’avouer que l’amour est toujours traité de ce ton familier. Mais, sans prendre la peine inutile de rapporter des exemples de ces défauts trop visibles, examinons seulement les meilleurs vers que l’auteur de Cinna ait fait débiter sur le théâtre comme maxime de galanterie :

 

Il est des nœuds secrets, il est des sympathies,

Dont par le doux rapport les âmes assorties

S’attachent l’une à l’autre, et se laissent piquer

Par ce je ne sais quoi qu’on ne peut expliquer.

 

Rodogune, I, VII.

 

 

         De bonne foi, croirait-on que ces vers du haut comique fussent dans la bouche d’une princesse des Parthes, qui va demander à son amant la tête de sa mère ? Est-ce  dans un jour si terrible qu’on parle « d’un je ne sais quoi, dont par le doux rapport les âmes sont assorties ? » Sophocle aurait-il débité de tels madrigaux ? Et toutes ces petites sentences amoureuses ne sont-elles pas uniquement du ressort de la comédie ?

 

         Le grand homme qui a porté à un si haut point la véritable éloquence dans les vers, qui a fait parler à l’amour un langage à la fois si touchant et si noble, a mis cependant dans ses tragédies plus d’une scène que Boileau trouvait plus digne de la haute comédie de Térence que du rival et du vainqueur d’Euripide.

 

         On pourrait citer plus de trois cents vers dans ce goût. Ce n’est pas que la simplicité, qui a ses charmes, la naïveté, qui quelquefois  sublime, ne soient nécessaires pour servir ou de préparation ou de liaison et de passage au pathétique ; mais si ces traits naïfs et simples appartiennent même au tragique, à plus forte raison appartiennent-ils au grand comique. C’est dans ce point, où la tragédie s’abaisse et où la comédie s’élève, que ces deux arts se rencontrent  et se touchent ; c’est là seulement que leurs bornes se confondent, et s’il est permis à Oreste et à Hermione de se dire :

 

 

Ah ! ne souhaitez pas le destin de Pyrrhus ;

Je vous haïrais trop. − Vous m’en aimeriez plus.

Ah ! que vous me verriez d’un regard bien contraire !

Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

Vous m’aimeriez, madame, en me voulant haïr…

Car enfin il vous hait ; son âme, ailleurs éprise,

N’a plus… − Qui vous l’a dit, seigneur qu’il me méprise ?...

Jugez-vous que ma vue inspire des mépris ?

 

Andromaque, II, II.

 

 

         Si ces héros, dis-je, se sont exprimés avec cette familiarité à combien plus forte raison le Misanthrope est-il bien reçu à dire à sa maîtresse avec véhémence (IV. III). :

 

 

Rougissez bien plutôt, vous en avez raison,

Et j’ai de sûrs témoins de votre trahison.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

Ce n’était pas en vain que s’alarmait ma flamme.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

Mais ne présumez pas que, sans être vengé,

Je souffre le dépit de me voit outragé.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

C’est une trahison, c’est une perfidie

Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments,

Et je puis tout permettre à mes ressentiments :

Oui, oui, redoutez tout après un tel outrage :

Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage.

Percé du coup mortel dont vous m’assassinez,

Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés.

 

 

         Certainement si toute la pièce du Misanthrope était dans ce goût, ce ne serait plus une comédie ; si Oreste et Hermione s’exprimaient toujours comme on vient de le voir, ce ne serait plus une tragédie ; mais après que ces deux genres si différents se sont ainsi rapprochés, ils rentrent chacun dans leur véritable carrière : l’un reprend le ton plaisant, et l’autre le ton sublime.

 

         La comédie, encore une fois, peut donc se passionner, s’emporter, attendrir, pourvu qu’ensuite elle fasse rire les honnêtes gens. Si elle manquait de comique, si elle n’était que larmoyante, c’est alors qu’elle serait un genre très vicieux et très désagréable.

 

         On avoue qu’il est rare de faire passer les spectateurs insensiblement de l’attendrissement au rire : mais ce passage, tout difficile qu’il est de le saisir dans une comédie, n’en est pas moins naturel aux hommes. On a déjà remarqué ailleurs que rien n’est plus ordinaire que des aventures qui affligent l’âme, et dont certaines circonstances inspirent ensuite une gaieté passagère. C’est ainsi malheureusement que le genre humain est fait. Homère représente même les dieux riant de la mauvaise grâce de Vulcain, dans le temps qu’ils décident du destin du monde. Hector sourit de la peur de son fils Astyanas, tandis qu’Andromaque répand des larmes.

 

         On voit souvent, jusque dans l’horreur des batailles, des incendies, de tous les désastres qui nous affligent, qu’une naïveté, un bon mot, excitent le rire jusque dans le sein de la désolation et de la pitié. On défendit à un régiment, dans la bataille de Spire, de faire quartier ; un officier allemand demande la vie à l’un des nôtres, qui lui répond : « Monsieur, demandez-moi toute autre chose ; mais pour la vie, il n’y a pas moyen. » Cette naïveté passe aussitôt de bouche en bouche, et on rit au milieu du carnage. A combien plus forte raison le rire peut-il succéder, dans la comédie, à des sentiments touchants : Ne s’attendrit-on pas avec Alcmène ? Ne rit-on pas avec Sosie ? Quel misérable et vain travail de disputer contre l’expérience ? Si ceux qui disputent ainsi ne se payaient pas de raisons, et aimaient mieux les vers, on leur citerait ceux-ci :

 

 

L’Amour règne par le délire

Sur ce ridicule univers :

Tantôt aux esprits de travers

Il fait rimer de mauvais vers ;

Tantôt il renverse un empire.

L’œil en feu, le fer à la main,

Il frémit dans la tragédie ;

Non moins touchant, et plus humain,

Il anime la comédie :

Il affadit dans l’élégie,

Et, dans un madrigal badin,

Il se joue aux pieds de Sylvie.

Tous les genres de poésie,

De Virgile jusqu’à Chaulieu,

Sont aussi soumis à ce dieu

Que tous les états de la vie.

 

 

NANINE - AVERTISSEMENT 

 

 

1 – Cette Préface commençait autrement dans l’édition de 1749. Mais nous ne donnons pas cette variante où se trouvent exprimées les mêmes plaintes que dans l’Avis au lecteur d’Oreste. (G.A.)

 

2 – Réflexions sur le comique larmoyant, par M. de C… (Chassiron), trésorier de France et conseiller au présidial de l’académie de La Rochelle, 1749, in-12. (G.A.)

 

3 – Mariamne est de Tristan ; l’Amour tyrannique, de Scudéry, et Alcionée, de Duryer. (G.A.)

 

 

Publié dans Théâtre

Commenter cet article