NANINE - Partie 2

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NANINE.

 

 

 

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PERSONNAGES.

 

 

-               LE COMTE D’OLBAN                Seigneur retiré à la campagne.

-               LA BARONNE DE L’ORME       Parente du comte, femme impérieuse,                                                                     aigre, difficile à vivre.

-               LA MARQUISE D’OLBAN         Mère du comte.

-              NANINE                                      Fille élevée dans la maison du comte.

-              PHILIPPE HOMBERT                Paysan du voisinage.

-              BLAISE                                     Jardinier.

-              GERMON et MARIN                  Domestiques.

 

 

 

 

 

La scène est dans le château du comte d’Olban.

 

 

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ACTE PREMIER.

 

 

SCÈNE I.

 

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LE COMTE D’OLBAN, LA BARONNE DE L’ORME.

 

 

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LA BARONNE.

 

Il faut parler, il faut, monsieur le comte,

Vous expliquer nettement sur mon compte.

Ni vous ni moi n’avons un cœur tout neuf ;

Vous êtes libre, et depuis deux ans veuf :

Devers ce temps j’eus cet honneur moi-même ;

Et nos procès, dont l’embarras extrême

Etait si triste et si peu fait pour nous,

Sont enterrés, ainsi que mon époux.

 

LE COMTE.

 

Oui, tout procès m’est fort insupportable.

 

LA BARONNE.

 

Ne suis-je pas comme eux fort haïssable ?

 

LE COMTE.

 

Qui, vous, madame ?

 

LA BARONNE.

 

Oui, moi. Depuis deux ans,

Libres tous deux, comme tous deux parents,

Pour terminer nous habitons ensemble ;

Le sang, le goût, l’intérêt nous rassemble.

 

LE COMTE.

 

Ah ! l’intérêt ! parlez mieux.

 

LA BARONNE.

 

Non, monsieur.

Je parle bien, et c’est avec douleur ;

Et je sais trop que votre âme inconstante

Ne me voit plus que comme une parente.

 

LE COMTE.

 

Je n’ai pas l’air d’un volage, je croi.

 

LA BARONNE.

 

Vous avez l’air de me manquer de foi.

 

LE COMTE, à part.

 

Ah !

 

LA BARONNE.

 

Vous savez que cette longue guerre,

Que mon mari vous faisait pour ma terre,

A dû finir en confondant nos droits

Dans un hymen dicté par notre choix :

Votre promesse à ma foi vous engage :

Vous différez, et qui diffère outrage.

 

LE COMTE.

 

J’attends ma mère.

 

LA BARONNE.

 

Elle radote : bon !

 

LE COMTE.

 

Je la respecte, et je l’aime.

 

LA BARONNE.

 

Et moi, non.

Mais pour me faire un affront qui m’étonne.

Assurément vous n’attendez personne,

Perfide : ingrat !

 

LE COMTE.

 

D’où vient ce grand courroux ?

Qui vous a donc dit tout cela ?

 

LA BARONNE.

 

Qui ? vous ;

Vous, votre ton, votre air d’indifférence,

Votre conduite, en un mot, qui m’offense,

Qui me soulève, et qui choque mes yeux :

Ayez moins tort, ou défendez-vous mieux.

Ne vois-je pas l’indignité, la honte,

L’excès, l’affront du goût qui vous surmonte ?

Quoi ! pour l’objet le plus vil, le plus bas,

Vous me trompez !

 

LE COMTE.

 

Non, je ne trompe pas,

Dissimuler n’est pas mon caractère :

J’étais à vous, vous aviez su me plaire,

Et j’espérais avec vous retrouver

Ce que le ciel a voulu m’enlever,

Goûter en paix, dans cet heureux asile,

Les nouveaux fruits d’un nœud doux et tranquille ;

Mais vous cherchez à détruire vos lois.

Je vous l’ai dit, l’amour a deux carquois (1) :

L’un est rempli de ces traits tout de flamme,

Dont la douceur porte la paix dans l’âme,

Qui rend plus purs nos goûts, nos sentiments,

Nos soins plus vifs, nos plaisirs plus touchants ;

L’autre n’est plein que de flèches cruelles

Qui, répandant les soupçons, les querelles,

Rebutent l’âme, y portent la tiédeur,

Font succéder les dégoûts à l’ardeur :

Voilà les traits que vous prenez vous-même

Contre nous deux ; et vous voulez qu’on aime !

 

LA BARONNE.

 

Oui, j’aurai tort : quand vous vous détachez,

C’est donc à moi que vous le reprochez.

Je dois souffrir vos belles incartades,

Vos procédés, vos comparaisons fades.

Qu’ai-je donc fait pour perdre votre cœur ?

Que me peut-on reprocher ?

 

LE COMTE.

 

Votre humeur,

N’en doutez pas : oui, la beauté, madame,

Ne plaît qu’aux yeux, la douceur charme l’âme.

 

LA BARONNE.

 

Mais êtes-vous sans humeur, vous ?

 

LE COMTE.

 

Moi ? non ;

J’en ai sans doute, et pour cette raison

Je veux, madame, une femme indulgente,

Dont la beauté douce et compatissante,

A mes défauts facile à se plier,

Daigne avec moi me réconcilier,

Me corriger sans prendre un ton caustique,

Me gouverner sans être tyrannique,

Et dans mon cœur pénétrer pas à pas,

Comme un jour doux dans des yeux délicats :

Qui sent le joug le porte avec murmure ;

L’amour tyran est un dieu que j’abjure.

Je veux aimer et ne veut point servir ;

C’est votre orgueil qui peut seul m’avilir.

J’ai des défauts ; mais le ciel fit les femmes

Pour corriger le levain de nos âmes,

Pour adoucir nos chagrins, nos humeurs,

Pour nous calmer, pour nous rendre meilleurs.

C’est là leur lot ; et pour moi, je préfère

Laideur affable à beauté rude et fière.

 

LA BARONNE.

 

C’est fort bien dit, traître ! vous prétendez,

Quand vous m’outrez, m’insultez, m’excédez,

Que je pardonne, en lâche complaisante,

De vos amours la honte extravagante ?

Et qu’à mes yeux un faux air de hauteur

Excuse en vous les bassesses du cœur ?

 

LE COMTE.

 

Comment, madame ?

 

LA BARONNE.

 

Oui, la jeune Nanine

Fait tout mon tort. Un enfant vous domine,

Une servante, une fille des champs

Que j’élevai par mes soins imprudents,

Que par pitié votre facile mère

Daigna tirer du sein de la misère.

Vous rougissez !

 

LE COMTE.

 

Moi ! je lui veux du bien.

 

LA BARONNE.

 

Non, vous l’aimez, j’en suis très sûre.

 

LE COMTE.

 

Eh bien !

Si je l’aimais, apprenez donc, madame,

Que hautement je publierais ma flamme.

 

LA BARONNE.

 

Vous en êtes capable.

 

LE COMTE.

 

Assurément.

 

LA BARONNE.

 

Vous oseriez trahir impudemment

De votre rang toute la bienséance,

Humilier ainsi votre naissance,

Et, dans la honte où vos sens sont plongés,

Braver l’honneur ?

 

LE COMTE.

 

Dites les préjugés.

Je ne prends point, quoi qu’on en puisse croire,

La vanité pour l’honneur et la gloire.

L’éclat vous plaît ; vous mettez la grandeur

Dans des blasons : je la veux dans le cœur.

L’homme de bien, modeste avec courage,

Et la beauté, spirituelle, sage,

Sans bien, sans nom, sans tous ces titres vains,

Sont à mes yeux les premiers des humains.

 

LA BARONNE.

 

Il faut au moins être bon gentilhomme.

Un vil savant, un obscur honnête homme,

Serait chez vous, pour un peu de vertu,

Comme un seigneur avec honneur reçu ?

 

LE COMTE.

 

Le vertueux aurait la préférence.

 

LA BARONNE.

 

 

Peut-on souffrir cette humble extravagance ?

Ne doit-on rien, s’il vous plaît, à son rang ?

 

LE COMTE.

 

Etre honnête homme est ce qu’on doit.

 

LA BARONNE.

 

Mon sang

Exigerait un plus haut caractère.

 

 

LE COMTE.

 

Il est très haut, il brave le vulgaire.

 

LA BARONNE.

 

Vous dégradez ainsi la qualité !

 

LE COMTE.

 

Non ; mais j’honore ainsi l’humanité.

 

LA BARONNE.

 

Vous êtes fou ; quoi ! le public, l’usage !

 

LE COMTE.

 

L’usage est fait pour le mépris du sage ;

Je me conforme à ses ordres gênants,

Pour mes habits, non pour mes sentiments.

Il faut être homme, et d’une âme sensée,

Avoir à soi ses goûts et sa pensée,

Irai-je en sot aux autres m’informer

Qui je dois fuir, chercher, louer, blâmer ?

Quoi ! de mon être il faudra qu’on décide ?

J’ai ma raison ; c’est ma mode et mon guide.

Le singe est né pour être imitateur,

Et l’homme doit agir d’après son cœur.

 

LA BARONNE.

 

Voilà parler en homme libre, en sage.

Allez ; aimez des filles de village,

Cœur noble et grand, soyez l’heureux rival

Du magister et du greffier fiscal ;

Soutenez bien l’honneur de votre race.

 

LE COMTE.

 

Ah ! juste ciel ! que faut-il que je fasse ?

 

 

 

 

NANINE - ACTE I

 

 

 

1 – Imitation d’Ovide. Comparez aussi le début du XIe chant de la Pucelle. (G.)

 

 

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