MAHOMET - Partie 6 : Acte troisième

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M A H O M E T.

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

 

 

SÉIDE, PALMIRE.

 

 

 

 

 

PALMIRE.

 

Demeure. Quel est donc ce secret sacrifice ?

Quel sang a demandé l’éternelle justice ?

Ne m’abandonne pas.

 

SÉIDE.

 

Dieu daigne m’appeler :

Mon bras doit le servir, mon cœur va lui parler.

Omar veut à l’instant, par un serment terrible,

M’attacher de plus près à ce maître invincible :

Je vais jurer à dieu de mourir pour sa loi,

Et mes seconds serments ne seront que pour toi.

 

PALMIRE.

 

D’où vient qu’à ce serment je ne suis point présente ?

Si je t’accompagnais, j’aurais moins d’épouvante.

Omar, ce même Omar, loin de me consoler,

Parle de trahison, de sang prêt à couler,

Des fureurs du sénat, des complots de Zopire.

Les feux sont allumés, bientôt la trêve expire :

Le fer cruel est prêt ; on s’arme, on va frapper :

Le prophète l’a dit, il ne peut nous tromper.

Je crains tout de Zopire, et je crains pour Séide.

 

SÉIDE.

 

Croirai-je que Zopire ait un cœur si perfide ?

Ce matin, comme otage à ses yeux présenté,

J’admirais sa noblesse et son humanité ;

Je sentais qu’en secret une force inconnue

Enlevait jusqu’à lui mon âme prévenue :

Soit respect pour son nom, soit qu’un dehors heureux

Me cachât de son cœur les replis dangereux ;

Soit que, dans ces moments où je t’ai rencontrée,

Mon âme tout entière à son bonheur livrée,

Oubliant ses douleurs, et chassant tout effroi,

Ne connût, n’entendît, ne vît plus rien que toi ;

Je me trouvais heureux d’être auprès de Zopire.

Je le hais d’autant plus qu’il m’avait su séduire :

Mais malgré le courroux dont je dois m’animer,

Qu’il est dur de haïr ceux qu’on voulait aimer !

 

PALMIRE.

 

Ah ! que le ciel en tout a joint nos destinées !

Qu’il a pris soin d’unir nos âmes enchaînées !

Hélas ! sans mon amour, sans ce tendre lien,

Sans cet instinct charmant qui joint mon cœur au tien,

Sans la religion que Mahomet m’inspire,

J’aurais eu des remords en accusant Zopire.

 

SÉIDE.

 

Laissons ces vains remords, et nous abandonnons

A la voix de ce dieu qu’à l’envi nous servons.

Je sors. Il faut prêter ce serment redoutable ;

Le dieu qui m’entendra nous sera favorable ;

Et le pontife roi, qui veille sur nos jours,

Bénira de ses mains de si chastes amours.

Adieu. Pour être à toi, je vais tout entreprendre.

 

 

 

SCÈNE II.

 

 

PALMIRE.

 

 

 

 

PALMIRE.

 

D’un noir pressentiment je ne puis me défendre.

Cet amour dont l’idée avait fait mon bonheur,

Ce jour tant souhaité n’est qu’un jour de terreur.

Quel est donc ce serment qu’on attend de Séide ?

Tout m’est suspect ici ; Zopire m’intimide.

J’invoque Mahomet, et cependant mon cœur

Eprouve à son nom même une secrète horreur.

Dans les profonds respects que ce héros m’inspire,

Je sens que je le crains presque autant que Zopire.

Délivre-moi, grand dieu ! de ce trouble où je suis !

Craintive je te sers, aveugle je te suis :

Hélas ! daigne essuyer les pleurs où je me noie !

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

(1)

 

 

 

MAHOMET, PALMIRE.

 

 

 

 

 

PALMIRE.

 

C’est vous qu’à mon secours un dieu propice envoie,

Seigneur. Séide …

 

MAHOMET.

 

Eh bien ! d’où vous vient cet effroi ?

Et que craint-on pour lui, quand on est près de moi ?

 

PALMIRE.

 

O ciel ! vous redoublez la douleur qui m’agite.

Quel prodige inouï ! votre âme est interdite ;

Mahomet est troublé pour la première fois.

 

MAHOMET.

 

Je devrais l’être au moins du trouble où je vous vois.

Est-ce ainsi qu’à mes yeux votre simple innocence

Ose avouer un feu qui peut-être m’offense ?

Votre cœur a-t-il pu, sans être épouvanté,

Avoir un sentiment que je n’ai pas dicté ?

Ce cœur que j’ai formé n’est-il plus qu’un rebelle,

Ingrat à mes bienfaits, à mes lois infidèle ?

 

PALMIRE.

 

Que dites-vous ? surprise et tremblante à vos pieds,

Je baisse en frémissant mes regards effrayés.

Eh quoi ! n’avez-vous pas daigné, dans ce lieu même,

Vous rendre à nos souhaits, et consentir qu’il m’aime ?

Ces nœuds, ces chastes nœuds, que Dieu formait en nous,

Sont un lien de plus qui nous attache à vous.

 

MAHOMET.

 

Redoutez des liens formés par l’imprudence.

Le crime quelquefois suit de près l’innocence.

Le cœur peut se tromper ; l’amour et ses douceurs

Pourront coûter, Palmire, et du sang et des pleurs.

 

PALMIRE.

 

N’en doutez pas, mon sang coulerait pour Séide !

 

MAHOMET.

 

Vous l’aimez à ce point ?

 

PALMIRE.

 

Depuis le jour qu’Hercide

Nous soumit l’un et l’autre à votre joug sacré,

Cet instinct tout-puissant, de nous-même ignoré,

Devançant la raison, croissant avec notre âge,

Du ciel, qui conduit tout, fut le secret ouvrage.

Nos penchants, dites-vous, ne viennent que de lui.

Dieu ne saurait changer : pourrait-il aujourd’hui

Réprouver un amour que lui-même il fit naître ?

Ce qui fut innocent peut-il cesser de l’être ?

Pourrais-je être coupable ?

 

MAHOMET.

 

Oui. Vous devez trembler :

Attendez les secrets que je doit révéler ;

Attendez que ma voix veuille enfin vous apprendre

Ce qu’on peut approuver, ce qu’on doit se défendre.

Ne croyez que moi seul.

 

PALMIRE.

 

Et qui croire que vous ?

Esclave de vos lois, soumise, à vos genoux,

Mon cœur d’un saint respect ne perd point l’habitude.

 

MAHOMET.

 

Trop de respect souvent mène à l’ingratitude.

 

PALMIRE.

 

Non, si de vos bienfaits je perds le souvenir,

Que Séide à vos yeux s’empresse à m’en punir !

 

MAHOMET.

 

Séide !

 

PALMIRE.

 

Ah ! quel courroux arme votre œil sévère ?

 

MAHOMET.

 

Allez, rassurez-vous, je n’ai point de colère.

C’est éprouver assez vos sentiments secrets ;

Reposez-vous sur moi de vos vrais intérêts :

Je suis digne du moins de votre confiance.

Vos destins dépendront de votre obéissance.

Si j’eus soin de vos jours, si vous m’appartenez,

Méritez des bienfaits qui vous sont destinés.

Quoi que la voix du ciel ordonne de Séide,

Affermissez ses pas où son devoir le guide :

Qu’il garde ses serments, qu’il soit digne de vous.

 

PALMIRE.

 

N’en doutez point, mon père, il les remplira tous.

Je réponds de son cœur, ainsi que de moi-même.

Séide vous adore encor plus qu’il ne m’aime ;

Il voit en vous son roi, son père, son appui :

J’en atteste à vos pieds l’amour que j’ai pour lui.

Je cours à vous servir encourager son âme.

 

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

 

 

MAHOMET.

 

 

 

Quoi ! je suis malgré moi confident de sa flamme !

Quoi ! sa naïveté, confondant ma fureur,

Enfonce innocemment le poignard dans mon cœur !

Père, enfants, destinés au malheur de ma vie ;

Race toujours funeste et toujours ennemie,

Vous allez éprouver, dans cet horrible jour,

Ce que peut à la fois ma haine et mon amour.

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

 

MAHOMET, OMAR.

 

 

 

 

OMAR.

 

Enfin voici le temps et de ravir Palmire,

Et d’envahir la Mecque, et de punir Zopire :

Sa mort seule à tes pieds mettra nos citoyens :

Tout est désespéré si tu ne le préviens.

Le seul Séide ici te peut servir, sans doute ;

Il voit souvent. Zopire, il lui parle, il l’écoute.

Tu vois cette retraite, et cet obscur détour

Qui peut de ton palais conduire à son séjour ;

Là, cette nuit, Zopire, à ses dieux fantastiques,

Offre un encens frivole et des vœux chimériques.

Là Séide, enivré du zèle de ta loi,

Va l’immoler au dieu qui lui parle par toi.

 

MAHOMET.

 

Qu’il l’immole, il le faut : il est né pour le crime :

Qu’il en soit l’instrument, qu’il en soit la victime ;

Ma vengeance, mes feux, ma loi, ma sûreté,

L’irrévocable arrêt de la fatalité,

Tout le veut ; mais crois-tu que son jeune courage,

Nourri du fanatisme, en ait toute la rage ?

 

OMAR.

 

Lui seul était formé pour remplir ton dessein.

Palmire à te servir excite encor sa main.

L’amour, le fanatisme, aveuglent sa jeunesse ;

Il sera furieux par excès de faiblesse.

 

MAHOMET.

 

Par les nœuds des serments as-tu lié son cœur ?

 

OMAR.

 

Du plus saint appareil la ténébreuse horreur,

Les autels, les serments, tout enchaîne Séide.

J’ai mis un fer sacré dans sa main parricide,

Et la religion le remplit de fureur.

Il vient.

 

 

 

MAHOMET-ACTE 3 -Partie 1 

 

1 – « Il y a une scène qui m’embarrasse infiniment, écrivait Voltaire à d’Argental ; c’est celle de Palmire et de Mahomet, au troisième acte. Cette scène doit être très courte. Si Mahomet y joue trop le rôle de Tartufe et d’amant, le ridicule est bien près. Il faut courir vite dans cet endroit-là, c’est de la cendre brûlante. » (G.A.)

 

 

 

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