ERIPHYLE - Partie 2 : Discours
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É R I P H Y L E
D I S C O U R S
PRONONCÉ AVANT LA REPRÉSENTATION
Juges plus éclairés que ceux qui dans Athènes
Firent naître et fleurir les lois de Melpomène,
Daignez encourager des jeux et des écrits
Qui de votre suffrage attendent tout leur prix.
De vos décisions le flambeau salutaire
Est le guide assuré qui mène à l’art de plaire.
En vain contre son juge un auteur mutiné
Vous accuse ou se plaint quand il est condamné
Un peu tumultueux, mais juste et respectable,
Ce tribunal est libre, et toujours équitable.
Si l’on vit quelquefois des écrits ennuyeux
Trouver par d’heureux traits grâce devant vos yeux,
Ils n’obtinrent jamais grâce en votre mémoire :
Applaudis sans mérite, ils sont restés sans gloire ;
Et vous vous empressez seulement à cueillir
Ces fleurs que vous sentez qu’un moment va flétrir.
D’un acteur quelquefois la séduisante adresse
D’un vers dur et sans grâce adoucit la rudesse ;
Des défauts embellis ne vous révoltent plus :
C’est Baron qu’on aimait, ce n’est pas Régulus.
Sous le nom de Couvreur, Constance a pu paraître (1) :
Le public est séduit ; mais alors il doit l’être ;
Et, se livrant lui-même à ce charmant attrait,
Ecoute avec plaisir ce qu’il lit à regret.
Souvent vous démêlez, dans un nouvel ouvrage,
De l’or faux et du vrai le trompeur assemblage :
On vous voit tour à tour applaudir, réprouver,
Et pardonner sa chute à qui peut s’élever.
Des sons fiers et hardis du théâtre tragique,
Paris court avec joie aux grâces du comique.
C’est là qu’il veut qu’on change et d’esprit et de ton :
Il se plaît au naïf, il s’égaie au bouffon ;
Mais il aime surtout qu’une main libre et sûre
Trace des mœurs du temps la riante peinture.
Ainsi dans ce sentier, avant lui peu battu,
Molière en se jouant conduit à la vertu.
Folâtrant quelquefois sous un habit grotesque,
Une muse descend au faux goût du burlesque :
On peut à ce caprice en passant s’abaisser,
Moins pour être applaudi, que pour se délasser.
Heureux ces purs écrits que la sagesse anime,
Qui font rire l’esprit, qu’on aime et qu’on estime :
Tel est du Glorieux le chaste et sage auteur (2) :
Dans ses vers épurés la vertu parle au cœur.
Voilà ce qui nous plaît, voilà ce qui nous touche ;
Et non ces froids bons mots dont l’honneur s’effarouche,
Insipide entretien des plus grossiers esprits,
Qui font naître à la fois le rire et le mépris.
Ah ! Qu’à jamais la scène, ou sublime ou plaisante,
Soit des vertus du monde une école charmante !
Français, c’est dans ces lieux qu’on vous peint tour à tour
La grandeur des héros, les dangers de l’amour.
Souffrez que la terreur aujourd’hui reparaisse ;
Que d’Eschyle au tombeau l’audace ici renaisse ;
Si l’on a trop osé, si dans nos faibles chants,
Sur des tons trop hardis nous montons nos accents,
Ne décourage point un effort téméraire.
Eh ! Peut-on trop oser quand on cherche à vous plaire ?
Daignez vous transporter dans ces temps, dans ces lieux,
Chez ces premiers humains vivants avec les dieux :
Et que votre raison se ramène à des fables
Que Sophocle et la Grèce ont rendu vénérables.
Vous n’aurez point ici ce poison si flatteur
Que la main de l’Amour apprête avec douceur.
Souvent dans l’art d’aimer Melpomène avilie,
Farda ses nobles traits du pinceau de Thalie.
On vit des courtisans, des héros déguisés,
Pousser de froids soupirs en madrigaux usés.
Non, ce n’est point ainsi qu’il est permis qu’on aime ;
L’amour n’est excusé que quand il est extrême.
Mais ne vous plairez-vous qu’aux fureurs des amants,
A leurs pleurs, à leur joie, à leurs emportements ?
N’est-il point d’autres coups pour ébranler une âme ?
Sans les flambeaux d’amour, il est des traits de flamme,
Il est des sentiments, des vertus, des malheurs,
Qui d’un cœur élevé savent tirer des pleurs.
Aux sublimes accents des chantres de la Grèce
On s’attendrit en homme, on pleure sans faiblesse ;
Mais pour suivre les pas de ces premiers auteurs.
De ce spectacle utile illustres inventeurs,
Il faudrait pouvoir joindre en sa fougue tragique,
L’élégance moderne avec la force antique.
D’un œil critique et juste il faut s’examiner,
Se corriger cent fois, ne se rien pardonner ;
Et soi-même avec fruit se jugeant par avance,
Par ses sévérités gagner votre indulgence.
1 – Régulus est une tragédie de Pradon ; Constance est un personnage de l’Inès de Castro de La Motte. (G.A.)
2 – Destouches. C’était à sa comédie jouée pour la première fois le 18 Janvier 1732, que succédait Eriphyle.(G.A.)