DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : J comme JEANNE D'ARC

Publié le par loveVoltaire

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J comme JEANNE D’ARC.

 

 

Jeanne d’Arc, dite la Pucelle d’Orléans.

 

 

 

 

 

 

         Il convient de mettre le lecteur au fait de la véritable histoire de Jeanne d’Arc surnommée la Pucelle. Les particularités de son aventure sont très peu connues et pourront faire plaisir aux lecteurs ; les voici.

 

         Paul Jove dit que le courage des Français fut animé par cette fille, et se garde bien de la croire inspirée. Ni Robert Gaguin, ni Paul Emile, ni Polydore Virgile, ni Genebrard, ni Philippe de Bergame, ni Papyre Masson, ni même Mariana, ne disent qu’elle était envoyée de Dieu ; et quand Mariana le jésuite l’aurait dit, en vérité cela ne m’en imposerait pas.

 

         Mézerai conte que le prince de la milice céleste lui apparut ; j’en suis fâché pour Mézerai, et j’en demande pardon au prince de la milice céleste.

 

         La plupart de nos historiens, qui se copient tous les uns les autres, supposent que la Pucelle fit des prédictions, et qu’elles s’accomplirent. On lui fait dire qu’elle chassera les Anglais hors du royaume, et ils y étaient encore cinq ans après sa mort. On lui fait écrire une longue lettre au roi d’Angleterre, et assurément elle ne savait ni lire ni écrire ; on ne donnait pas cette éducation à une servante d’hôtellerie dans le Barrois ; et son procès porte qu’elle ne savait pas signer son nom.

 

         Mais, dit-on, elle a trouvé une épée rouillée dont la lame portait cinq fleurs de lis d’or gravées ; et cette épée était cachée dans l’église de Sainte-Catherine de Fierbois à Tours. Voilà certes un grand miracle !

 

         La pauvre Jeanne d’Arc ayant été prise par les Anglais, en dépit de ses prédictions et de ses miracles, soutint d’abord dans son interrogatoire que sainte Catherine et sainte Marguerite l’avaient honorée de beaucoup de révélations. Je m’étonne qu’elle n’ait rien dit de ses conversations avec le prince de la milice céleste. Apparemment que ces deux saintes aimaient plus à parler que saint Michel. Ses juges la crurent sorcière, elle se crut inspirée ; et c’est là le cas de dire

 

 

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

 

 

         Une grande preuve que les capitaines de Charles VII employaient le merveilleux pour encourager les soldats, dans l’état déplorable où la France était réduite, c’est que Saintrailles avait son berger, comme le comte de Dunois avait sa bergère. Ce berger faisait ses prédictions d’un côté, tandis que la bergère les faisait de l’autre.

 

         Mais malheureusement la prophétesse du comte de Dunois fut prise au siège de Compiègne par un bâtard de Vendôme, et le prophète de Saintrailles fut pris par Talbot. Le brave Talbot n’eut garde de faire brûler le berger. Ce Talbot était un de ces vrais Anglais qui dédaignent les superstitions, et qui n’ont pas le fanatisme de punir les fanatiques.

 

         Voilà, ce me semble, ce que les historiens auraient dû observer, et ce qu’ils ont négligé.

 

         La Pucelle fut amenée à Jean de Luxembourg, comte de Ligny. On l’enferma dans la forteresse de Beaulieu, ensuite dans celle de Beaurevoir, et de là dans celle du Crotoy en Picardie.

 

         D’abord Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui était du parti du roi d’Angleterre contre son roi légitime, revendique la Pucelle comme une sorcière arrêtée sur les limites de son diocèse. Il veut la juger en qualité de sorcière. Il appuyait son prétendu droit d’un insigne mensonge. Jeanne avait été prise sur le territoire de l’évêché de Noyon : et ni l’évêque de Beauvais, ni l’évêque de Noyon, n’avaient assurément le droit de condamner personne, et encore moins de livrer à la mort une sujette du duc de Lorraine, et une guerrière à la solde du roi de France.

 

         Il y avait alors, qui le croirait ? un vicaire général de l’inquisition en France, nommé frère Martin. C’était bien là un des plus horribles effets de la submersion totale de ce malheureux pays. Frère Martin réclama la prisonnière comme « sentant l’hérésie, odorantem hæresim. » Il somma le duc de Bourgogne et le comte de Ligny, « par le droit de son office, et de l’autorité à lui commise par le saint-siège, de livrer Jeanne à la sainte inquisition. »

 

         La Sorbonne se hâta de seconder frère Martin : elle écrivit au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg : « Vous avez employé votre noble puissance à appréhender icelle femme qui se dit la Pucelle, au moyen de laquelle l’honneur de Dieu a été sans mesure offensé, la foi excessivement blessée, et l’Eglise trop fort déshonorée ; car par son occasion, idolâtrie, erreurs, mauvaise doctrine, et autres maux inestimables, se sont ensuivis en ce royaume… mais peu de chose serait d’avoir fait telle prise, si ne s’ensuivait ce qu’il appartient pour satisfaire l’offense par elle perpétrée contre notre doux Créateur et sa foi, et à la sainte Eglise avec ses autres méfaits innumérables… et si, serait intolérable offense contre la majesté divine s’il arrivait qu’icelle femme fût délivrée (1). »

 

         Enfin la Pucelle fut adjugée à Pierre Cauchon qu’on appelait l’indigne évêque, l’indigne Français, et l’indigne homme. Jean de Luxembourg vendit la Pucelle à Cauchon et aux Anglais pour dix mille livres, et le duc de Bedford les paya. La Sorbonne, l’évêque, et frère Martin, présentèrent alors une nouvelle requête à ce duc de Bedford, régent de France, « en l’honneur de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, pour qu’icelle Jeanne fût brièvement mise ès main de la justice de l’Eglise. » Jeanne fut conduite à Rouen. L’archevêché était alors vacant, et le chapitre permit à l’évêque de Beauvais de besogner dans la ville. (C’est le terme dont on se servit.) Il choisit pour ses assesseurs neuf docteurs de Sorbonne avec trente-cinq autres assistants, abbés ou moines. Le vicaire de l’inquisition, Martin, présidait avec Cauchon ; et comme il n’était que vicaire, il n’eut que la seconde place.

 

         Jeanne subit quatorze interrogatoires ; ils sont singuliers. Elle dit qu’elle a vu sainte Catherine et sainte Marguerite à Poitiers. Le docteur Beaupère lui demande à quoi elle a reconnu les deux saintes. Elle répond que c’est à la manière de faire la révérence. Beaupère lui demanda si elles sont bien jaseuses. Allez, dit-elle, le voir sur le registre. Beaupère lui demande si, quand elle a vu saint Michel, il était tout nu. Elle répond : Pensez-vous que notre Seigneur n’eût de quoi le vêtir ?

 

         Les curieux observeront ici soigneusement que Jeanne avait été longtemps dirigée avec quelques autres dévotes de la populace par un fripon nommé Richard, qui faisait des miracles, et qui apprenait à ces filles à en faire. Il donna un jour la communion trois fois de suite à Jeanne, à l’honneur de la Trinité. C’était alors l’usage dans les grandes affaires et dans les grands périls. Les chevaliers faisaient dire trois messes, et communiaient trois fois quand ils allaient en bonne fortune, ou quand ils s’allaient battre en duel. C’est ce qu’on a remarqué du bon chevalier Bayard.

 

         Les faiseuses de miracles, compagnes de Jeanne (2), et soumises à frère Richard, se nommaient Pierrone et Catherine. Pierrone affirmait qu’elle avait vu que Dieu apparaissait à elle en humanité comme ami fait à ami ; Dieu était « long » vêtu de robe blanche avec huque vermeil dessous, etc. »

 

         Voilà jusqu’à présent le ridicule, voici l’horrible.

 

         Un des juges de Jeanne, docteur en théologie et prêtre, nommé Nicolas l’Oiseleur, vient la confesser dans la prison. Il abuse du sacrement jusqu’au point de cacher derrière un morceau de serge deux prêtres qui transcrivent la confession de Jeanne d’Arc. Ainsi les juges employèrent le sacrilège pour être homicides. Et une malheureuse idiote, qui avait eu assez de courage pour rendre de très grands services au roi et à la patrie, fut condamnée à être brûlée par quarante-quatre prêtres français qui l’immolaient à la faction de l’Angleterre.

 

         On sait assez comment on eut la bassesse artificieuse de mettre auprès d’elle un habit d’homme pour la tenter de reprendre cet habit, et avec quelle absurde barbarie on prétexta cette prétendue transgression pour la condamner aux flammes, comme si c’était, dans une fille guerrière, un crime digne du feu, de mettre une culotte au lieu d’une jupe. Tout cela déchire le cœur, et fait frémir le sens commun. On ne conçoit pas comment nous osons, après les horreurs sans nombre dont nous avons été coupables, appeler aucun peuple du nom de barbare (3).

 

         La plupart de nos historiens, plus amateurs des prétendus embellissements de l’histoire que de la vérité, disent que Jeanne alla au supplice avec intrépidité ; mais comme le portent les chroniques du temps, et comme l’avoue l’historien Villaret, elle reçut son arrêt avec des cris et avec des larmes ; faiblesse pardonnable à son sexe, et peut-être au nôtre, et très compatible avec le courage que cette fille avait déployé dans les dangers de la guerre ; car on peut être hardi dans les combats, et sensible sur l’échafaud.

 

         Je dois ajouter ici que plusieurs personnes ont cru sans aucun examen que la Pucelle d’Orléans n’avait point été brûlée à Rouen, quoique nous ayons le procès-verbal de son exécution. Elles ont été trompées par la relation que nous avons encore d’une aventurière qui prit le nom de la Pucelle, trompa les frères de Jeanne d’Arc, et, à la faveur de cette imposture, épousa en Lorraine un gentilhomme de la maison des Armoises. Il y eut deux autres friponnes qui se firent aussi passer pour la Pucelle d’Orléans. Toutes les trois prétendirent qu’on n’avait point brûlé Jeanne, et qu’on lui avait substitué une autre femme. De tels contes ne peuvent être admis que par ceux qui veulent être trompés.

 

 

 DICTIONNAIRE PHILO. J comme JEANNE

 

 

 

 

 

1 – C’est une traduction du latin de la Sorbonne, faite longtemps après.

 

2 – Mémoires pour servir à l’Histoire de France et de Bourgogne.

 

3 – On voit que Voltaire juge avec son bon sens ordinaire l’histoire de Jeanne d’Arc et qu’il s’indigne non moins que quiconque de l’infamie de son supplice. Parce qu’il s’est permis de broder, comme eût fait l’Arioste, un poème plein d’humour sur un sujet vieux de trois cents ans, on s’imagine trop qu’il n’a jamais compris l’héroïsme de la Jeanne historique, cette martyre de la justice ecclésiastique. Et pourtant c’est Voltaire qui a écrit dans son Essai sur les mœurs :  «Elle fit à ses juges une réponse digne d’une mémoire éternelle. Interrogée pourquoi elle avait osé assister au sacre de Charles avec son étendard, elle répondit : Il est juste que qui a eu part au travail en ait à l’honneur !... Et ses juges, qui n’avaient pas le droit de la juger, firent mourir par le feu celle qui, ayant sauvé son roi, aurait eu des autels dans les temps héroïques où les hommes en élevaient à leurs libérateurs. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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