CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - 1743 - Partie 50

Publié le par loveVoltaire

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209 – DU ROI

 

A Potsdam, le 20 Août1743.

 

 

Je ne suis arrivé ici que depuis deux jours ; j’y ai trouvé trois de vos lettres.

 

 

Le dieu de la raison et le dieu des beaux vers

Président tous les deux à vos brillants concerts ;

Vous déridant le front et voulant nous instruire,

Vos vers de Juvénal empruntent la satire.

Contre vous le bigot n’aura pas jeu gagné,

Et de l’hyssope au cèdre il n’est rien d’épargné.

Malheur à Mirepoix si son panégyrique

Se prononce jamais en style académique !

Les arts, qu’il offensa, pour venger leurs chagrins,

Renverseront sa tombe avec leurs propres mains ;

Et la fade oraison que lui fera Neuville (1)

Aura même en sa bouche un air de Vaudeville.

 

 

Je plains ceux qui ont le malheur de vous offenser, car avec quatre hémistiches vous les rendez ridicules ad sœcula sœculorum.

 

Je ne vais point à Aix, comme je me l’étais proposé. Vous savez que j’ai l’honneur d’être un atome politique, et qu’en cette qualité mon estomac est obligé de prendre ses combinaisons des affaires européanes, ce qui ne l’accommode pas toujours.

 

Il me semble, mon cher Voltaire, que vous êtes un peu dans le goût de la girouette du Parnasse, et que vous ne vous êtes pas encore décidé sur le parti que vous avez à prendre. Je ne vous dirai rien là-dessus ; car je dois vous paraître suspect dans tout ce que je pourrais vous dire. Le tableau que vous me faites de la France est peint avec de très belles couleurs ; mais vous me direz tout ce qu’il vous plaira, une armée qui fuit trois ans de suite, et qui est battue partout où elle se présente, n’est pas assurément une troupe de Césars ni d’Alexandres.

 

         Je ne suis point peint, je ne me fais point peindre ; ainsi je ne puis vous donner que des médailles. FÉDÉRIC.

 

 

1 – Prédicateur jésuite. (G.A.)

 

 

 

 

 

210 – DU ROI

 

A Potsdam, le 24 Août 1743.

 

 

Ce sera donc à Berlin que j’aurai le plaisir de voir l’Apollon français descendre de son Parnasse en ma faveur, et s’humaniser un peu avec la canaille prosaïque ! Je vous prie, mon cher Voltaire, apportez avec vous bonne provision d’indulgence, et surtout qu’aucun grammairien ne mesure à la toise la longueur de nos phrases, et ne nous punisse de la sottise d’un solécisme. Vous verrez une troupe de comédiens qui se forment, une académie naissante, mais surtout beaucoup de personnes qui vous aiment et qui vous admirent.

 

Il n’y a point à Berlin d’âne de Mirepoix. Nous avons un cardinal et quelques évêques, dont les uns font l’amour par devant et les autres par derrière, plus versés dans la théologie d’Epicure que dans celle de saint Paul, par conséquent bonnes gens qui ne persécutent personne, et qui ne disposent précisément que des charges de marguillier et des places de chantre, auxquelles vous n’aspirez point.

 

 

Apportez au moins en venant

Cette vierge si découplée (1)

Qui brillait plus dans la mêlée

Que tous vos héros d’à présent ;

Que ce Broglio toujours fuyant,

Réduisant sa troupe en fumée ;

Que Maillebois toujours errant,

Menant promener son armée ;

Que Ségut le capituleur,

Et les autres transis de peur.

 

 

         Je vous montrerai de mes Mémoires ce que je croirai pouvoir vous montrer. Ils sont vrais, et par conséquent d’une nature à ne paraître qu’après le siècle.

 

         Adieu, cher Voltaire ; à revoir. FÉDÉRIC.

 

 

1 –La Pucelle. (G.A.)

 

 

 

 

 

211 – DU ROI

 

A Potsdam, le 15 Septembre 1743 (1).

 

 

Vous me dites tant de bien de la France et de son roi, qu’il serait à souhaiter que tous les souverains eussent de pareils sujets, et toutes les républiques de semblables citoyens. C’est ce qui fait véritablement la force des Etats, lorsqu’un même zèle anime tous les membres, et que l’intérêt public devient l’intérêt de chaque particulier.

 

Il aurait été à souhaiter que la France et la Suède (2) eussent eu des militaires qui pensassent comme vous ; mais il est bien sûr, quoi que vous puissiez dire, que la faiblesse des généraux et la timidité des conseils ont presque perdu de réputation ces deux nations, dont le nom seul inspirait, il n’y a pas un demi-siècle, la terreur à l’Europe.

 

De quelle façon voyons-nous que la France ait agi envers ses alliés ? Quel exemple pour l’Europe que la paix secrète que fit le cardinal de Fleury à l’insu de l’Espagne et du roi de Sardaigne (3) ; il abandonna le roi Stanislas, beau-père de Louis XV, et acquit la Lorraine. Quel exemple inouï que la manière dont la France abandonne l’empereur, sacrifie la Bavière (4), et réduit ce prince si respectable dans la dernière misère, je ne dis pas dans la misère d’un prince, mais dans la situation la plus affreuse où puisse se trouver un particulier ! Quelles machinations n’ont pas été celles du cardinal en Russie, lorsque nous étions le mieux liés ! Quelles propositions n’a-t-on pas faites à Mayence pour ouvrir les routes à la paix, ou, pour mieux dire, afin d’allumer une nouvelle guerre ! Avec quel peu de vigueur parlent les Français lorsqu’ils devraient montrer de la fermeté ; et, lors même qu’il e paraît quelque étincelle dans leurs discours, combien peu leurs opérations militaires y répondent-elles !

 

         Cependant cette nation est la plus charmante de l’Europe ; et si elle n’est pas crainte, elle mérite qu’on l’aime. Un roi digne de la commander, qui gouverne sagement, et qui s’acquiert l’estime de l’Europe entière, peut lui rendre son ancienne splendeur, que les Broglio et tant d’autres, plus inepte encore, ont un peu éclipsée.

 

C’est assurément un ouvrage digne d’un prince doué de tant de mérite, que de rétablir ce que les autres ont gâté ; et jamais souverain ne peut acquérir plus de gloire que lorsqu’il défend ses peuples contre des ennemis furieux, et que, faisant changer la situation des affaires, il trouve le moyen de réduire ses adversaires à lui demander la paix humblement.

 

J’admirerai tout ce que fera ce grand homme, et personne de tous les souverains de l’Europe ne sera moins jaloux que moi de ses succès. Mais je n’y pense pas de vous parler politique ; c’est précisément présenter à sa maîtresse une coupe de médeine. Je crois que je ferais beaucoup mieux de vous parler poésie ; mais ne peut pas qui veut, et lorsque vous m’écrivez des vers, et que j’y dois répondre, vous me revenez comme un échanson qui, ayant le talent de boire, porte de grands verres en rasade à un fluet qui tout au plus peut supporter de l’eau.

 

Adieu, cher Voltaire ; veuille le ciel vous préserver des insomnies, de la fièvre, et des fâcheux ! FÉDÉRIC.

 

 

1 – Voltaire était depuis quinze jours à Berlin. (G.A.)

 

2 – Les Suédois n’avaient cessé d’être battus par la Russie. (G.A.)

 

3 – Préliminaires de la paix de Vienne, signés le 3 Octobre 1735. (G.A.)

 

4 – Au mois de juin précédent. (G.A.)

 

 

 

 

 

212 – DU ROI

 

Le 8 Septembre 1743.

 

 

Je n’ose parler à un fils d’Apollon de chevaux, de carrosses, de relais, et de pareilles choses ; ce sont des détails dont les dieux ne se mêlent pas, et que nous autres humains prenons sur nous. Vous partirez lundi après midi, si vous le voulez, pour Bareith, et vous dînerez chez moi en passant, s’il vous plaît.

 

Le reste de mon mémoire est si fort barbouillé et en si mauvais état, que je ne puis vous l’envoyer. Je fais copier les chants VIIIe et IXe, de la Pucelle. J’en possède à présent le Ier, le IIe, le IVe, le Ve, le VIIIe et le IXe ; je les garde sous trois clefs, pour que l’œil des mortels ne puisse les voir.

 

On dit que vous avez soupé hier en bonne compagnie.

 

 

Les plus beaux esprits du canton,

Tous rassemblés en votre nom,

Tous gens à qui vous deviez plaire,

Tous dévots croyant à Voltaire,

Vous ont unanimement pris

Pour le dieu de leur paradis.

 

 

         Le paradis, pour que vous ne vous en scandalisiez pas, est pris ici, dans un sens général, pour un lieu de plaisir et de joie. Voyez la remarque sur le dernier vers du Mondain. Val. FÉDÉRIC.

 

 

 

 

 

213 – DU ROI

 

Le 7 Octobre 1743.

 

 

La France a passé, jusqu’à présent, pour l’asile des rois malheureux ; je veux que ma capitale devienne le temple des grands hommes. Venez-y, mon cher Voltaire, et dictez tout ce qui peut vous y être agréable. Je veux vous faire plaisir ; et, pour obliger un homme, il faut entrer dans sa façon de penser.

 

Choisissez appartement ou maison, réglez vous-même ce qu’il vous faut pour l’agrément et le superflu de la vie ; faites votre condition comme il vous la faut pour être heureux, c’est à moi à pourvoir au reste. Vous serez toujours libre et entièrement maître de votre sort ; je ne prétends vous enchaîner que par l’amitié et le bien-être.

 

Vous aurez des passe-ports pour des chevaux, et tout ce que vous pourrez demander. Je vous verrai mercredi (1), et je profiterai des moments qui me restent pour m’éclairer au feu de votre puissant génie. Je vous prie de croire que je serai toujours le même envers vous. Adieu. FÉDÉRIC

 

 

1 – 9 Octobre. Voltaire partit trois jours après. (G.A.)

 

 

 

 

CORRESPONDANCE - ROI DE PRUSSE - Partie 50

Publié dans Frédéric de Prusse

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