CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 12

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à M. le duc de Richelieu

Octobre (1).

 

 

         Je n’ai pas osé troubler mon héros ; il faut le chanter et ne le pas importuner. S’il part (2), on lui prépare des lauriers ; s’il ne part point, on lui prépare des plaisirs. Il est toujours sûr d’avoir des Anglaises ou des Françaises à son service, et quelque chose qui arrive, il aura l’honneur d’avoir entrepris l’expédition la plus glorieuse du monde, et assurément contre vent et marée.

 

         Conservez, monseigneur le duc, une vie si illustre et si chère. Ou je vous attendrai dans peu, ou j’irai vous faire ma cour à Londres. Je vous verrai faisant un roi, et rendant le vôtre l’arbitre de l’Europe. Tout cela serait fait, si on avait pu partir le 25. Voilà à quoi tiennent les destinées des empires ! Mais la vôtre sera toujours d’être l’homme de votre siècle le plus brillant ; la mienne sera d’être, si je le peux, l’Homère de cet Achille qui a quitté Briséis pour aller renverser un trône. Triomphez, vivez et honorez-moi quelquefois d’un regard dans la foule de vos admirateurs.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Pour soutenir le Prétendant. (G.A.)

 

 

 

 

 

au CARDINAL QUERINI

A Paris, ce 25 Octobre 1745.

 

 

         Il faudrait, monseigneur, vous écrire dans plus d’une langue, si on voulait mériter votre correspondant ; je me sers de la française, que vous parlez si bien, pour remercier votre éminence de sa belle prose et de ses vers charmants. Je revenais de Fontainebleau, quand je reçus le paquet dont elle m’a honoré ; je m’en retournais à Paris avec madame la marquise du Châtelet, qui entend Virgile et vous, aussi bien que Newton. Nous lûmes ensemble votre excellente préface et la traduction que vous avez bien voulu faire du Poème de Fontenoy. Je m’écriai :

 

 

Sic veneranda suis plaudebat Roma Quirinis ;

Laus antiqua redit, Romaque surgit adhuc,

Non jam Marte ferox, dirisque superba trium^phis ;

Plus mulcere orbem quam domuisse fuit.

 

 

         La fièvre et les incommodités cruelles qui m’accablent ne m’ont pas permis d’aller plus loin, et m’empêchent actuellement de dire à votre éminence tout ce qu’elle m’inspire. Elle me cause bien du chagrin en me comblant de ses faveurs ; elle redouble la douleur que j’ai de n’avoir point vu l’Italie. Je ferais volontiers comme les Platon, qui allaient voir leurs maîtres en Egypte ; mais ces Platon avaient de la santé, et je n’en ai point.

 

         Permettez-moi, monseigneur, de vous envoyer une Dissertation (1) que j’ai faite pour l’Académie de Bologne, dont j’ai l’honneur d’être membre. Dès que je serai un peu rétabli, je lui ferai adresser cet hommage sous l’enveloppe de M. le cardinal Valenti, si vous le trouvez bon ; car les dissertations de Paris à Rome ruinent quand on ne prend pas ses précautions. Ce sera le troc de Sarpédon ; vous me donnez de l’or et je vous rendrai du cuivre. Il y a longtemps que tout homme  qui cherche à enrichir son âme trouve  bien à gagner avec la vôtre. La mienne sent tout le prix d’un tel commerce. Je suis, avec un profond respect, etc.

 

 

1 – Dissertation sur les changements arrivés à notre globe, composée et imprimée d’abord en italien sous le titre de Saggio intorno ai cambiamenti avvenuti sul globo della terra, 1746. (G.A.)

 

 

 

 

 

au CARDINAL QUERINI

Parigi, 7 di Novembre 1745.

 

 

         Tutti li seguaci d’Ipprocrate, i Boeravi, i Leprotti (1), non avrebbero mai potuto somministrare ai miei continui dolori un più dolce e più certo sollievo di quello che ho provato nel leggere le lettere, e le belle opere, delle quali vostra eminenza si è compiaciuta d’onorarmi. Ella mi ha destato dal languido torpore nel quale le malattie mie mi avevano sepolto.

 

         Dica ella di grazia, qual’ arte, qual’ incanto pone ella in uso per condire, con tanti bezzi, tanta e cosi varia dottrina, e per adornarla di questa finitura di composizione in cui non appare l’arte, ma sopra tutto la facilità dello stile, e la vera e solda eloquenza ?

 

         Si raddoppio in cielo la felicità del cardinal Poli (2), dai nuovi pregi che la pessa di vostra eminenza gli ha conferiti. Ella dà ad un tratto a questo celebre Inglese ed a se stessa l’immortalità  del mondo letterato.

 

         Credo bene io, coll’ erudito Vulpio (3), che quel bel viovane scolpito in avorio sia il genio del re Tolomeo et di Benerice ; ma mi pare più certo che vostra eminenza sia il moi ; e se gli antichi soleano porgere i loro voti ai genj de’ grand’ uomini, mi fa d’uopo d’invocare quello del cardinal Querini. Gli rendo umilissime grazie, e mi protesto con ogni ossequio il suo zelanteammiratore.

 

 

1 – Médecin de Benoît XIV. (G.A.)

 

2 – Querini avait publié deux volumes in-folio intitulé Reginaldi Poli det aliorum ad eumdem Epistolœ. (G.A.)

 

3 – Professeur de philosophie à Padoue. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marmontel

(1)

 

 

         Venez, et venez sans inquiétude ; M. Orry à qui j’ai parlé, se charge de votre sort.

 

 

1 – Encore un protégé du poète. Marmontel, âgé de vingt-deux ans, vint à Paris sur cette invitation de Voltaire ; mais comme il arrivait , le contrôleur-général Orry fut renvoyé. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de la Reynière

17 Novembre (1)

 

 

         Le très obligé et très malade Voltaire, monsieur, vous demande deux grâces. La première est de vouloir bien munir de votre paraphe les quatre paquets ci-joints ; la seconde, que mon cuisinier puisse servir d’aide au vôtre pendant quelques jours. Ce n’est pas que je prétende faire aussi bonne chère que vous ; mais un cuisinier se rouille chez un malade qui n’a point d’écuelles lavées, et il faut protéger les beaux-arts (2)

 

         Personne ne vous est attaché, monsieur, avec plus de reconnaissance que le malingre Voltaire.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – On voit que tous les La Reynière furent gastronomes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Jean-Jacques Rousseau     (1)

Le 15 Décembre 1745.

 

 

         Vous réunissez, monsieur, deux talents qui ont toujours été séparés jusqu’à présent. Voilà déjà deux bonnes raisons pour moi de vous estimer et de chercher à vous aimer. Je suis fâché pour vous que vous employiez ces deux talents à un ouvrage qui n’en est pas trop digne. Il y a quelques mois que M. le duc de Richelieu m’ordonna absolument de faire en un clin d’œil une petite et mauvaise esquisse de quelques scènes insipides et tronquées qui devaient s’ajuster à des divertissements qui ne sont point faits pour elles. J’obéis avec la plus grande exactitude ; je fis très vite et très mal. J’envoyai ce misérable croquis à M. le duc de Richelieu, comptant qu’il ne servirait pas, ou que je le corrigerais. Heureusement il est entre vos mains, vous en êtes le maître absolu ; j’ai perdu tout cela entièrement de vue. Je ne doute pas que vous n’ayez rectifié toutes les fautes échappées nécessairement dans une composition si rapide d’une simple esquisse, que vous n’ayez rempli les vides et suppléé à tout.

 

         Je me souviens qu’entre autres balourdises, il n’est pas dit dans ces scènes, qui lient les divertissements, comment la princesse Grenadine passe tout d’un coup d’une prison dans un jardin ou dans un palais. Comme ce n’est point un magicien qui lui donne des fêtes, mais un seigneur espagnol, il me semble que rien ne doit se faire par enchantement. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien revoir cet endroit, dont je n’ai qu’une idée confuse. Voyez s’il est nécessaire que la prison s’ouvre, et qu’on fasse passer notre princesse de cette prison dans un beau palais doré et verni, préparé pour elle. Je sais très bien que cela est fort misérable, et qu’il est au-dessous d’un être pensant de se faire une affaire sérieuse de ces bagatelles ; mais enfin, puisqu’il s’agit de déplaire le moins qu’on pourra, il faut mettre le plus de raison qu’on peut, même dans un mauvais divertissement d’opéra.

 

         Je me rapporte de tout à vous et à M. Ballot, et je compte avoir bientôt l’honneur de vous faire mes remerciements, et de vous assurer, monsieur, à quel point j’ai celui d’être, etc.

 

 

1 – Cette lettre de Voltaire est une réponse à la lettre suivante de Jean-Jacques Rousseau, alors inconnu :

 

Paris, le 11 Décembre 1745

 

              Monsieur, il y a quinze ans que je travaille pour me rendre digne de vos regards et des soins dont vous favorisez les jeunes muses en qui vous découvrez quelque talent. Mais, pour avoir fait la musique d’un opéra, je me trouve, je ne sais comment, métamorphosé en musicien. C’est, monsieur, en cette qualité, que M. le duc de Richelieu m’a chargé des scènes dont vous avez lié les divertissements de la Princesse de Navarre. Il a même exigé que je fisse, dans les canevas, les changements nécessaires pour les rendre convenables à votre nouveau sujet. J’ai fait mes respectueuses représentations ; monsieur le duc a insisté, j’ai obéi. C’est le seul pari qui convienne à l’état de ma fortune. M. Ballot s’est chargé de vous communiquer ces changements. Je me suis attaché à les rendre en moins de mots qu’il était possible. C’est le seul mérite que je puis leur donner. Je vous supplie, monsieur, de vouloir les examiner, ou plutôt d’en substituer de plus dignes de la place qu’ils doivent occuper.

 

              Quant au récitatif, j’espère aussi, monsieur, que vous voudrez bien le juger avant l’exécution, et m’indiquer les endroits où je me serai écarté du beau et du vrai, c’est-à-dire de votre pensée. Quel que soit pour moi le succès de ces faibles essais, ils me seront toujours glorieux, s’ils me procurent l’honneur d’être connu de vous, et de vous montrer l’admiration et le profond respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur,  votre très humble, etc. J.-J. ROUSSEAU, citoyen de Genève.

 

 

 

 

 

à M. de La Reynière

A Paris, rue Traversière, 17 Décembre (1).

 

 

         Je suis dans un si triste état, monsieur, et ma santé est si empirée que je n’ai pu venir vous remercier de toutes vos bontés. Mais plus mon état est à plaindre, plus je compte sur la bienveillance que vous avez toujours eue pour moi. Je vous supplie de vouloir bien honorer de vos attentions ce paquet pour M. le cardinal Querini, qui m’est fort important. Je vous ai toujours obligation, monsieur. J’ai l’honneur d’être, avec la plus vive reconnaissance, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Versailles, et jamais à la cour, Décembre 1745.

 

 

         Je vous envoie, mes adorables anges, une fête (1) que j’ai voulu rendre raisonnable, décente, et à qui j’ai retranché exprès les fadeurs et les sornettes de l’opéra, qui ne conviennent ni à mon âge, ni à mon goût, ni à mon sujet.

 

         Vraiment, mes chers anges, je crois bien que la vérité se trouvera chez vous, et que j’y trouverai plus de secours qu’ailleurs ; aussi je compte bien venir profiter de vos volontés, dès que j’aurai débrouillé ici le chaos des bureaux (2). Il est absolument nécessaire que je commence par ce travail, pour avoir des notions qui ne soient point exposées à des contradictions devant le ministre et devant le roi. Ce travail, joint aux tracasseries du pays, me retient ici plus longtemps que je ne pensais. Il faut que mon ouvrage soit approuvé par M. d’Argenson ; il est mon chancelier, et M. de Crémilles mon examinateur. Vous jugez bien que c’est moi qui ai demandé M. de Crémilles (3), et que je n’ai pas eu de peine de l’obtenir.

 

         Je me trouvais hier chez M. d’Argenson, et je parlais du combat de Mesle (4). Je disais combien cette action faisait d’honneur aux Français. Il y a surtout, disais-je, un diable de M. d’Azincourt, un jeune homme de vingt ans, qui a fait des choses incroyables. Comme je bavardais, entre M. d’Azincourt, que je n’avais jamais vu ; il ne fut pas fâché. Je crois que c’est un officier d’un très grand mérite, car il écrit tout.

 

         Adieu, le plus adorable ménage de Paris.

 

 

1 – La brochure du Temple de la Gloire, opéra joué, le 27 Novembre et le 4 Décembre, à Versailles. (G.A.)

 

2 – Pour son Histoire de la guerre de 1741. (G.A.)

 

3 – Officier qui dirigea presque toutes les opérations de l’armée en Flandre. (G.A.)

 

4 – 9 Juillet 1745. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame d’Argental

1745 (1).

 

 

         Impossible, impossible. Mais il faut absolument que l’autre ange vienne un moment dans mon enfer. Vraiment, j’ai de grandes choses à lui dire.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

 

 

CORRESPONDANCE 1745 - Partie 12

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