CORRESPONDANCE - Année 1745 - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

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Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Fontainebleau, ce 5 Octobre 1745.

 

 

         Vraiment les grâces célestes ne peuvent trop se répandre, et la lettre (1) du saint-père est faite pour être publique. Il est bon, mon respectable ami, que les persécuteurs des gens de bien sachent que je suis couvert contre eux de l’étole du vicaire de Dieu. Je me suis rencontré avec vous dans ma réponse, car je lui dis que je n’ai jamais cru si fermement à son infaillibilité.

 

         Je resterai ici jusqu’à ce que j’aie recueilli toutes mes anecdotes sur les campagnes du roi, et que j’ai dépouillé les fatras des bureaux. J’y travaille, comme j’ai toujours travaillé, avec passion ; je ne m’en porte pas mieux. Je vous apporterai ce que j’aurai ébauché. M. et madame d’Argental seront toujours les juges de mes pensées et les maîtres de mon cœur.

 

         Bonsoir, couple adorable ; je vous donne ma bénédiction, je vous remets les peines du purgatoire, je vous accorde des indulgences. C’est ainsi que doit parler votre saint serviteur, en vous envoyant la lettre du pape ; mais, charmantes créatures, il serait plus doux de vivre avec vous que d’avoir la colique en ce monde, et d’être sauvé dans l’autre. Hélas ! je ne vis point ; je souffre toujours, et je ne vous vois pas assez. Quel état pour moi, qui vous aime tous deux, comme les saints au nombre desquels j’ai l’honneur d’être aiment leur Dieu créateur !

 

 

1 – Voyez en tête du Mahomet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

Le 6 Octobre 1745.

 

 

Lorsque tu fais un si riche tableau

Du fier vainqueur de l’Issus et d’Arbelles,

Tu veux encor que je sois un Apelles !

Il fallait donc me prêter ton pinceau.

 

 

         O loisir qui me manquez, quand pourrai-je, entre vos bras, répondre tranquillement, et à mon aise, aux bontés de mon cher Cideville ! O santé, quand écarterez-vous mes tourments, pour me laisser tout entier à lui !

 

         Je suis accablé de mes maux d’entrailles, et il faut pourtant préparer des fêtes et écrire les campagnes du roi. Allons, courage ; soutenez-moi, mon cher ami. Vous m’avez déjà encouragé dans le Poème de Fontenoy ; continuez.

 

         Je vous fais part ici d’une petite lettre du saint-père, avec laquelle je vous donne ma bénédiction ; mais j’aimerais mieux faire pour votre Académie (1) une inscription qui pût lui plaire, et n’être pas indigne d’elle. Elle réunit trois genres : tria regna tenebat ; avec l’exergue : Académie des sciences, de littérature, et d’histoire, à Rouen, 1745 ?

 

         Bonsoir ; je vous embrasse. Je n’ai pas un moment. Mes respects à votre Académie. N’oubliez pas M. l’abbé du Resnel, sur l’amitié de qui je compte toujours. V.

 

 

1 – L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, fondée en 1744, principalement par les soins de Cideville. Voltaire n’est pas inscrit parmi les membres. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Paris, ce 20 Octobre 1745.

 

 

         Monseigneur, il n’y a pas de soin que je ne prenne pour faire une Histoire complète des campagnes glorieuses du roi, et des années qui les ont précédées. Je demande des mémoires à ses ennemis mêmes. Ceux qui ont senti le pouvoir de ses armes m’aident à publier sa gloire.

 

         Le secrétaire de M. le duc de Cumberland (qui est mon intime ami) m’a écrit une longue lettre, dans laquelle je découvre des sentiments pacifiques que les succès de sa majesté peuvent inspirer.

 

         Si le roi jugeait que ce commerce pût être de quelque utilité, je pourrais aller en Flandre, sous le prétexte naturel de voir par mes yeux les choses dont je dois parler. Je pourrais ensuite aller voir ce secrétaire qui m’en a prié. M. le duc de Cumberland ne s’y opposerait assurément pas. Je suis connu de la plupart des anciens officiers qui l’entourent. Je parle l’anglais : j’ai des amis à Bruxelles, et ces amis sont attachés à la France. Je peux aisément, et en peu de temps, savoir bien des choses.

 

         Le secrétaire de M. le duc de Cumberland a fait naître à son maître l’envie de me voir ; les éloges (1) que j’ai donnés à ce prince, pour relever davantage à la gloire de son vainqueur, lui ont donné quelque goût pour moi. Voilà ma situation.

 

         Si sa majesté croit que je puisse rendre un petit service, je suis prêt ; et vous connaissez mon zèle pour sa gloire et pour son service.

 

         Je suis avec respect, etc.

 

 

1 – Voyez le Poème de Fontenoy. (G.A.)

 

 

 

 

(BILLET AJOUTÉ)

 

 

  Voici, Monseigneur, ce qui m’a passé par la tête, à la réception de la lettre anglaise du secrétaire du duc de Cumberland. Il ne tient qu’à vous de me procurer un voyage agréable, et peut-être utile. Vous pouvez disposer les esprits du comité. Je crois que M. le maréchal de Noailles même me donnera sa voix. Vous liriez ensuite ma lettre en plein conseil ; chacun dirait oui, et le roi aussi. Tout ceci est dans le secret. Madame *** (1) n’en sait rien. Faites ce que vous jugerez à propos ; mais j’ai plus d’envie encore de vous faire ma cour qu’au duc de Cumberland.

 

 

N. B. – Ce secrétaire du duc de Cumberland est le chevalier Falkener, ci-devant ambassadeur à Constantinople, homme d’un très grand crédit, informé de tout mieux que personne, et, encore une fois, mon intime ami. Ne serait-il pas mieux que cela fût entre le roi et vous ? Mais il y a encore un parti à prendre peut-être, c’est de vous moquer de moi. En tout cas, pardonnez au zèle, et brûlez mes rêveries.

 

 

1 –Madame du Châtelet. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif

(1).

 

 

         Le petit billet de mon cher Sylphe a été par les airs à Fontainebleau, de là à Paris. Mon cher Sylphe n’a qu’à venir avec madame de La Popelinière, lundi, demain, ou mercredi, à Versailles, s’il veut embellir de sa céleste présence nos fêtes terrestres.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argenson

A Champs, ce 23 Octobre 1745

 

 

         Vraiment, monseigneur, ce que je vous ai proposé n’est que dans la supposition que vous crussiez que je pusse apprendre, par le chevaier Falkener, des circonstances que vous eussiez besoin de savoir. Je vous ai dit que ce digne chevalier a des sentiments pacifiques, mais je n’en conclus rien. Je me bornais seulement à vous demander si vous pensiez qu’on pût tirer quelque fruit de ses entretiens, et être plus au fait de ce qui se passe ; voilà tout.

 

         Si vous ne pensez pas que ce voyage puisse être utile n’en parlez point. J’ai cru seulement devoir vous rendre compte de ma liaison avec le secrétaire du duc de Cumberland. J’aimerais mieux d’ailleurs travailler paisiblement ici à mon Histoire, que de courir aux nouvelles.

 

         Il se peut faire de plus que le roi trouve en moi trop d’empressement. Je lui ai pourtant rendu quelques services en Prusse ; mais croyez que je ne prétends point me faire de fête. Encore une fois, ce voyage proposé n’est que dans l’idée que vous voulussiez avoir quelque notion par ce canal. Or, c’est une curiosité dont vous n’avez pas besoin. Ce que me dirait le chevalier Falkener n’empêchera pas le Prétendant (1) d’être battant, ni d’être battu ; par conséquent, voyage inutile ; donc je crois qu’il n’en faut point effaroucher les oreilles du maître, sauf votre meilleur avis. J’aurai mille fois plus de plaisir à vous faire ma cour à Fontainebleau, qu’à voir des Anglais. Je compte y retourner quand M. de Richelieu aura disposé de moi pour ses fêtes.

 

         Est-il possible que ce soit madame de Pompadour qui, à vingt-deux ans, déteste le cavagnole, et que ce soit madame du Châtelet-Newton, qui l’aime !

 

         Madame du Châtelet a plus d’envie de vous voir que vous n’en avez de causer avec elle . Nous nous sommes attachés solidairement.

 

         Je vous fais compliment sur le héros d’Ecosse (2).

 

 

1 – Charles-Edouard. (G.A.)

 

2 – Charles-Edouard avait été vainqueur à Preston-Pans le 2 Octobre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Falkener

Paris, 23 Octobre 1745.

 

 

         My dear and honorable friend, how could I guess your musulman person had shifted Galata for Flanders ? and had passed from the seraglio to the closet of the duke of Cumberland ? But now I conceive it is more pleasant to live with such a prince, than to speak in state to a grand-vizir by the help of an interpreter.

 

         Had I thought it was my dear sir Everard who was secretary to the great prince, I had certainly taken a journey to Flanders. My duty is to visit the place where your nation gave such noble proofs of her steady courage. An historian ought to look on and view the theatre, in order to dispose the scenery of the work. This would have been a sufficient motive to ask leave of coming to you. But what greater reason, what better motive than my friendship for you ? Who would be so cruel as to deprive me of the pleasure of embracing again my dear friend ? You would have procured to me the honour to see your noble and royal master, and to approach that great prince, whom I admire from afar. I should have Iearned more in two or three conversations with you, than I could do by letters. Since you are so loath to write, pray my, dear sir, in the name of our old friendship, be not so neglectful. A secretary must be used to write : and the man by, dear sir, in the name of our old friendship, be not so neglectful. A secretary must be used to write : and the man by whom our letters are conveyed, knows very well we do not talk of politics.

 

         Your kindness to me, your public spirited soul, your passion for your prince’s glory shall induce you to impart to me the instructions I ask of you.

 

         I send you the ninth edition of the poem you speak of : it is but a poem. I have followed there the alws of poetry, more than those of history. Yet you will see with what respect I have spoken of the duke of Cumerland, and what just praises I have bestowed on your noble nation.

 

         Help me to do more justice to both. I beg of you to send me the London Magazine of these three last years. You may easily come at them by writring to London. I desire you would do me the favour to send the paquet , or parcel, to M. de Séchelles, who certain ly will send it to me.

 

         By the god the friendship ! if you was to stay one month longer in Flanders, I would post away from Paris to see you ; for I will be all my life your faithful and tender friend the sick .

 

 

 

TRADUCTION

 

 

          Mon cher et honorable ami, comment pouvais-je deviner que votre musulmane personne eût quitté Galata pour la Flandre, et fût passée du sérail au cabinet du duc de Cumberland ? Mais à présent je conçois qu’il est plus agréable de vivre avec un pareil prince que de parler en cérémonie à un grand-vizir, à l’aide d’un interprète.

 

          Si j’avais pensé que ce fût mon cher monsieur Everard qui fût secrétaire de ce grand prince, j’eusse certainement fait un voyage en Flandre. Mon devoir est de visiter les lieux où votre nation a donné de si belles preuves de son grand courage. Un historien doit voir et bien connaître le théâtre, pour mieux disposer les diverses scènes du drame. Ce motif aurait suffi pour demander la permission de me rendre auprès de vous ; mais est-il une raison plus forte, un motif plus puissant, que mon amitié pour vous ? Qui serait assez cruel pour me priver du plaisir d’embrasser encore mon cher ami ? Vous m’auriez procuré l’honneur de voir votre noble et royal maître, et d’approcher de ce grand prince que j’admire de loin. J’en aurais appris bien plus en deux ou trois conversations avec vous que par des lettres. Je sais combien vous êtes paresseux à écrire ; mais je vous conjure, mon cher monsieur, au nom de notre vieille amitié, de n’être plus si négligent. Un secrétaire doit être habitué à écrire, et celui qui transmet nos lettres sait très bien que nous ne parlons pas politique.

 

          Votre bonté pour moi, votre amour du bien public, votre zèle pour la gloire de votre prince, vous engagent à me communiquer les instructions que je vous demande.

 

          Je vous envoie la neuvième édition du poème (1) dont vous me parlez ; mais ce n’est qu’un poème. J’ai suivi les lois de la poésie, plutôt que celles de l’histoire. Cependant vous verrez avec quel respect j’ai parlé du duc de Cumberland, et quels justes éloges j’ai donnés à votre généreuse nation. Aidez-moi à leur rendre encore plus de justice à tous deux.

 

          Je vous prie de m’envoyer le London Magazine de ces trois dernières années. Vous pourrez facilement vous le procurer, en écrivant à Londres. Faites-moi le plaisir, je vous prie, d’adresser le paquet chez M. de Séchelles, qui ne manquera pas de me l’envoyer.

 

          Par le dieu de l’amitié ! si vous deviez rester encore un mois en Flandre, je partirais en poste de Paris pour vous voir ; car je serai toute ma vie votre fidèle et tendre ami. Le malade VOLTAIRE.

 

 

1 – Le poème de Fontenoy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1745 - Partie 11

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