COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 6
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 6 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
VI.
"Comme la mer, qui semble vouloir couvrir toute la terre, est arrêtée par les herbes et les moindres graviers qui se trouvent sur le rivage ; ainsi les monarques dont le pouvoir paraît sans bornes, s'arrêtent par les plus petits obstacles, et soumettent leur fierté naturelle à la plainte et à la prière." (Page 18, livre II, chapitre IV.)
Voilà donc, poétiquement parlant, l'Océan qui devient monarque ou despote. Ce n'est pas là le style d'un législateur. Mais assurément ce n'est ni de l'herbe ni du gravier qui cause le reflux de la mer, c'est la loi de la gravitation : et je ne sais d'ailleurs si la comparaison des larmes du peuple avec du gravier est bien juste.
VII.
"Les Anglais, pour favoriser la liberté, ont ôté toutes les puissances intermédiaires qui formaient leur monarchie." (Page 10, livre II, chapitre IV.)
Au contraire, les Anglais ont rendu plus légal le pouvoir des seigneurs spirituels et temporels, et ont augmenté celui des communes. On est étonné que l'auteur soit tombé dans une méprise si palpable. Je passe une foule d'autres assertions qui me semblent autant d'erreurs, et qui ont été fortement relevées par les sages critiques dont j'ai parlé à la fin de l'avant-propos.
VIII.
"Il ne suffit pas qu'il y ait dans la monarchie des rangs intermédiaires, il faut encore un dépôt de lois... L'ignorance naturelle à la noblesse, son inattention, son mépris pour le gouvernement civil, exigent qu'il y ait un corps qui fasse sans cesse sortir les lois de la poussière où elles seraient ensevelies... Dans les États despotiques où il n'y a point de lois fondamentales il n'y a pas non plus de dépôt de lois." (Livre II, chapitre IV.)
Les savants cités ci-dessus ont remarqué qu'il n'est pas surprenant que dans un pays sans lois il n'y ait pas de dépôt de lois. Mais on pourrait incidenter ; on pourrait dire que l'auteur n'a voulu parler que des lois fondamentales. Sur quoi je demanderais : Qu'entendez-vous par les lois fondamentales ? Sont-ce des lois primitives qu'on ne puisse pas changer ? Mais la monarchie était fondamentale à Rome, et elle fit place à une loi contraire.
La loi du christianisme, dictée par Jésus-Christ, fut ainsi énoncée : "Il n'y aura point parmi vous de premier : si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier." Or voyez, je vous prie, comme cette loi fondamentale a été exécutée. La bulle d'or de Charles IV est regardée comme une loi fondamentale en Allemagne ; on y a dérogé en plus d'un article. Puisque les hommes ont fait leurs lois, il est clair qu'ils peuvent les abolir. Il est à remarquer que ni Grotius, ni les auteurs du Dictionnaire encyclopédique, ni Montesquieu, n'ont traité des lois fondamentales.
A l'égard de la noblesse, à laquelle Montesquieu impute tant de frivolité, tant de mépris pour le gouvernement civil, tant d'incapacité de garder des registres, il pouvait se souvenir que la diète de Ratisbonne, la chambre des pairs à Londres, le sénat de Venise, sont composés de la plus ancienne noblesse de l'Europe (1).
1 - D'ailleurs comment est-il utile, à un pays qu'un corps d'hommes ignorants, légers, pleins de mépris pour le gouvernement civil, y soit élevé au-dessus des citoyens ? (K.)