CORRESPONDANCE - Année 1777 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1777 - Partie 18

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à M. de Vaines.

 

Ferney, 11 Novembre 1777.

 

 

          Je suis fâché, monsieur, de n’être point instruit de votre destinée. Vous savez combien j’ai été affligé de ne vous pas voir dans la liste des conservés. Pour moi, je vous conserve ma véritable et inutile amitié. Vous jouissez du moins du contre-seing jusqu’au premier janvier. J’en profite pour vous envoyer deux exemplaires d’un ouvrage (1) qui n’est que très peu de chose, mais avec lequel on peut gagner cent louis d’or. Si vous connaissez quelque jeune jurisconsulte un peu nécessiteux et un peu éloquent, à qui vous vous intéressiez, vous pouvez lui donner un exemplaire de ce programme. A l’égard de l’autre exemplaire, je crois que vous avez des affaires trop importantes pour qu’il vous reste le temps de le lire ; je n’ose vous en prier. Je suis plus occupé de votre situation que de tous les ouvrages du temps. Conservez-moi vos bontés, quelque chose qui arrive.

 

 

1 – Prix de la Justice et de l’Humanité. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Christin.

 

A Ferney, 12 Novembre 1777. (1)

 

 

          Nous sommes fort ignorants, mon cher ami, nous ne savons pas à Ferney, s’il est vrai que des lettres patentes du roi, à nous accordées pour valider et confirmer nos échanges et nos marchés faits avec la sainte Eglise, ne sont valables que pour une année et ne peuvent être entérinées à Dijon qu’au bout de cette année. Il n’est pas dit un mot de cette clause prétendue dans ces lettres patentes. On nous assure que c’est vous qui avez décidé que nous n’avons qu’un an pour faire entériner nos lettres. Mandez-moi, je vous prie, si cela est vrai.

 

          Je ne connais point du tout la jurisprudence du conseil et les entraves que les parlements y mettent. Je ne sais autre chose que de prendre l’intérêt le plus vif à nos chers esclaves (2), que vous protégez si noblement à ce conseil du roi. Je vous embrasse tendrement. LE VIEUX MALADE.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. (G.A.)

2 – Les serfs du mont Jura. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Chastellux.

 

12 Novembre 1777 (1).

 

 

          J’ai donc l’honneur, monsieur, de vous envoyer mon petit programme suisse. Si vous connaissez et si vous protégez quelque jeune petit jurisconsulte qui ait de l’esprit, qui ne soit pas fâché de gagner cent louis d’or, et qui aime hardiment la vérité, vous contribuerez peut-être à faire changer nos lois ; vous aurez travaillé de toute façon à la félicité publique.

 

          Il y a un endroit dans lequel je ne parais pas assez respecter le sentiment de M. le chancelier Daguesseau (2) je vous demande pardon si j’ai tort ; mais je compte sur votre suffrage si j’ai raison : c’est dans le chapitre affreux de la torture.

 

          Vous daignez me parler d’ouvrages d’un autre genre, qui ne conviennent pas plus à un homme de quatre-vingt-quatre ans, que la correction du code criminel ne convient à un poète. Mais nous marions à Ferney M. de Villette : nous avons voulu célébrer sa conversion par quelques amusements ; les folies de notre petit théâtre ont percé jusqu’à Paris. Ce sont des amusements de campagne, qui ne sont pas dignes assurément d’être connus à la ville.

 

          Si jamais vous avez quelques ordres à me donner, je vous supplie de vouloir bien mettre un C et un X à la fin de votre lettre ; car votre écriture étant semblable à celle d’un homme qui m’écrit quelquefois, et qui ne vous ressemble pas, j’ai été sur le point de faire une grosse bévue. Conservez vos bontés, monsieur, pour le vieux malade, qui vous sera bien respectueusement dévoué jusqu’au dernier moment de sa vie.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Chastellux était son petit-fils. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Schomberg.

 

A Ferney, 13 Novembre 1777 (1).

 

 

          Monsieur, pendant que M. de Villette se marie chez moi à la fille d’un officier, dont l’unique dot est de la bonté et de la vertu ; pendant qu’on prépare la noce, je suis assez près d’aller habiter mon cimetière, pour mettre un peu de variété dans la scène de ce monde.

 

          J’ai lu, pendant ma maladie, ce monument attendrissant que vous élevez à la mémoire de votre ami (2) : j’ai vu partout l’éloquence du cœur et de la vérité. Si j’étais dans un âge où l’on peut travailler encore, je me garderais bien d’oser toucher à votre ouvrage. Il est plein d’intérêt, il est écrit avec sagesse, on y devine des vérités que vous avez l’art de laisser entrevoir. Il y a d’autres vérités que vous développez en homme qui connaît les nations, et qui sait les peindre ; entre autres, le portrait des Français et des Anglais est de main de maître. Si vous avez montré cet écrit à M. de Foncemagne, il vous aura sans doute conseillé de le faire imprimer : ce sera une consolation pour madame de Blot et pour madame d’Ennery. Cette espèce d’oraison funèbre, faite par l’amitié, sera éternellement chère aux îles de l’Amérique, où elle parviendra bientôt. L’accablement où je suis ne me permet pas de vous en dire davantage. Il me serait difficile de vous bien exprimer le plaisir que j’ai eu en lisant ce beau morceau, et l’estime respectueuse que je conserverai pour l’auteur jusqu’au moment où j’achèverai ma languissante vie.

 

 

1 – Cette lettre doit être antérieure de quelques jours à cette date. (G.A.)

2 – Le comte d’Ennery. Voyez vers la fin du chapitre XI du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

17 Novembre 1777.

 

 

          Puisque vous avez, monsieur, le droit de faire plaisir jusqu’au premier janvier, je vous procure cet émolument de votre charge, en vous suppliant de faire tenir le présent paquet à votre ami M. d’Argental. C’est à moi surtout qu’on a fait du mal par le changement arrivé dans les postes. Cela m’a privé du bonheur que j’espérais. Je ne compte sur rien pour l’année prochaine ; je compte actuellement par semaines tout au plus.

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

17 Novembre 1777.

 

 

          Ne soyez point l’ange exterminateur ; soyez l’ange sauveur. Secourez-moi, vous qui daignez m’aimer depuis environ soixante-dix ans, et empêchez-moi de mourir de douleur à quatre-vingt-quatre.

 

          Tout ce que je demande, c’est que M. le maréchal de Duras puisse lire Irène mise dans son cadre.

 

          Souffrez que je vous envoie des emplâtres pour mettre à toutes les blessures d’Irène. J’ose supplier instamment la secrétaire aimable que vous avez élevée de vouloir bien placer ces petits papiers que j’envoie. Il n’y a qu’à lire l’indication de chacun  ensuite on coupe avec des ciseaux cette indication, et on met la correction avec quatre petits pains à cacheter à la place convenable.

 

          Par exemple, à l’acte second, on coupe le petit avertissement qui finit par mettez ainsi ; et on colle proprement les vers ajoutés qui commencent par ces mots, au premier coup porté, et qui finissent par ces mots, de mes scrupules vains (1). Quand on a pris ce petit soin, la pièce est en état d’être lue sans peine ; les yeux du lecteur sont contents ; il faut qu’ils le soient pour qu’on puisse bien juger.

 

          Je ne me suis pressé de rien  je veux seulement vous plaire et à M. le maréchal de Duras. Après avoir goûté cette satisfaction, je mourrai consolé si cette pièce peut servir un jour à rétablir le seul spectacle qui fasse un véritable honneur à la France. C’est un malheur qu’il n’y ait aucun acteur qui s’y connaisse, et qu’aucun d’eux, excepté Lekain, ne sache mettre les nuances nécessaires dans ses rôles. Nous les avons fait sentir dans Ferney, ces nuances, sans lesquelles tout est perdu.

 

          Adieu, mon cher ange ; c’est moi qui suis perdu si vous ne me soutenez pas.

 

 

N.B. – Voyez comme à la fin Irène demande pardon à Dieu de son suicide, et devinez quel effet prodigieux un père respectable et tendre, et un amant désespéré, ont fait par leurs cris douloureux en arrosant de leurs larmes Irène, tandis qu’Irène demande deux fois pardon à Dieu d’une voix mourante. Tout est froid à votre théâtre à côté de cette catastrophe.

 

 

1 – Ces vers ne sont plus dans Irène. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Harpe.

 

19 Novembre 1777.

 

 

          Votre lettre du 12 de novembre, mon très cher confrère, m’apprends les petites persécutions que notre compagnie essuie. J’ai d’ailleurs été informé des petites tracasseries qu’on m’a faites auprès de M. de Chabanon. On a voulu le rendre mon ennemi en le rendant mon confrère, lui que j’ai toujours reçu chez moi avec la plus tendre amitié : cela est bien injuste ; mais peut-on attendre des hommes autre chose que des injustices ?

 

          Songez à vous, mon cher confrère : mettez les derniers fleurons à vos couronnes par les Barmécides et les Menzicof. Pour moi, j’ai la folie de faire jouer à Ferney des tragédies de province, faites par un vieillard de quatre-vingt-quatre ans. Cela nous amuse un moment, par la rareté du fait :

 

Dulce est desipere in loco.

 

HOR., liv. IV, od. XII.

 

          C’est le mariage de M. de Villette, très connu de vous, qui nous vaut ces bouffonneries. Il est venu nous voir, et nous l’avons marié, pour lui faire les honneurs de la maison. Il épouse une jeune et belle demoiselle, fille d’un officier des gardes, que nous avions chez nous. Cette demoiselle n’a d’autre dot que sa beauté et sa sagesse. M. de Villette, qui possède cinquante mille écus de rente, fait un très bon marché. Pour moi, je reste seul dans mon lit, et j’y radote en vers et en prose.

 

          Je vous envoie un ouvrage plus sérieux (1) que nos drames de Ferney. Vous devez vous y intéresser, mon cher confrère, non pas en qualité d’académicien, mais en qualité de Suisse du pays de Vaud ; car enfin vous êtes mon compatriote. Je suis membre d’une société de Berne. Un des membres de la société a donné cinquante louis et moi cinquante autres, pour un prix qui sera adjugé à celui qui aura fourni la meilleure méthode de corriger l’abominable loi criminelle reçue en France et dans plusieurs Etats de l’Allemagne. Nous venons au secours de l’humanité et de la raison, bien cruellement traitées.

 

          Si vous connaissez quelque jeune candidat de la chicane à qui vous vous intéressiez, et à qui vous vouliez faire gagner cent louis d’or, donnez-lui ce programme à lire, et faites-lui gagner le prix, à moins que vous ne vouliez nous faire l’honneur de le gagner vous-même. Vous verrez, dans ce programme, des choses que vous connaissez, et qui doivent faire dresser les cheveux à la tête de tous les honnêtes gens.

 

          Je voudrais que les grands juges de toutes choses, les d’Alembert et les Condorcet, eussent le temps de lire notre programme bernois. Adieu, mon cher confrère ; combattez, triomphez, et prospérez.

 

 

1 – Le Prix de la Justice et de l’Humanité. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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