ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 22
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ESSAI
SUR LES MŒURS ET L’ESPRIT DES NATIONS
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(Partie 22)
XLI. DES JUIFS APRÈS MOÏSE, JUSQU’À SAUL.
Je ne recherche point pourquoi Josuah ou Josué, capitaine des Juifs, faisant passer sa horde de l’orient du Jourdain à l’occident, vers Jéricho, a besoin que Dieu suspende le cours de ce fleuve, qui n’a pas en cet endroit quarante pieds de largeur, sur lequel il était si aisé de jeter un pont de planches, et qu’il était plus aisé encore de passer à gué (1). Il y avait plusieurs gués à cette rivière ; témoin celui auquel les Israélites égorgèrent les quarante-deux mille Israélites qui ne pouvaient prononcer Shiboleth.
Je ne demande point pourquoi Jéricho tombe au son des trompettes (2) ; ce sont de nouveaux prodiges que Dieu daigne faire en faveur du peuple dont il s’est déclaré le roi ; cela n’est pas du ressort de l’histoire. Je n’examine point de quel droit Josué venait détruire des villages qui n’avaient jamais entendu parler de lui. Les Juifs disaient : Nous descendons d’Abraham ; Abraham voyagea chez vous il y a quatre cent quarante années : donc votre pays nous appartient, et nous devons égorger vos mères, vos femmes et vos enfants
Fabricius et Holstenius se sont fait l’objection suivante : Que dirait-on si un Norvégien venait en Allemagne avec quelques centaines de ses compatriotes, et disait aux Allemands : « Il y a quatre cents ans qu’un homme de notre pays, fils d’un potier, voyagea près de Vienne ; ainsi l’Autriche nous appartient, et nous venons tout massacrer au nom du Seigneur ? » Les mêmes auteurs considèrent que le temps de Josué n’est pas le nôtre ; que ce n’est pas à nous à porter un œil profane dans les choses divines ; et surtout que Dieu avait le droit de punir les péchés des Cananéens par les mains des Juifs.
Il est dit qu’à peine Jéricho est sans défense, les Juifs immolent à leur Dieu tous les habitants, vieillards, femmes, filles, enfants à la mamelle, et tous les animaux, excepté une femme prostituée (3) qui avait gardé chez elle les espions juifs, espions d’ailleurs inutiles, puisque les murs devaient tomber au son des trompettes. Pourquoi tuer aussi tous les animaux qui pouvaient servir ?
A l’égard de cette femme que la Vulgate appelle meretrix, apparemment elle mena depuis une vie plus honnête, puisqu’elle fut aïeule de David, et même du Sauveur des chrétiens qui ont succédé aux Juifs. Tous ces événements sont des figures, des prophéties, qui annoncent de loin la loi de grâce. Ce sont, encore une fois, des mystères auxquels nous ne touchons pas.
Le livre de Josué rapporte que ce chef, s’étant rendu maître d’une partie du pays de Canaan, fit pendre ses rois au nombre de trente-un ; c’est-à-dire trente-un chefs de bourgades, qui avaient osé défendre leurs foyers, leurs femmes et leurs enfants. Il faut se prosterner ici devant la Providence, qui châtiait les péchés de ces rois par le glaive de Josué.
Il n’est pas bien étonnant que les peuples voisins se réunissent contre les Juifs, qui, dans l’esprit des peuples aveuglés, ne pouvaient passer que pour des brigands exécrables, et non pour les instruments sacrés de la vengeance divine et du futur salut du genre humain. Ils furent réduits en esclavage par Cusan, roi de Mésopotamie. Il y a loin, il est vrai, de la Mésopotamie à Jéricho ; il fallait donc que Susa eût conquis la Syrie et une partie de la Palestine. Quoi qu’il en soit, ils sont esclaves huit années, et restent ensuite soixante-deux ans sans remuer. Ces soixante-deux ans sont une espèce d’asservissement, puisqu’il leur était ordonné par la loi de prendre tout le pays depuis la Méditerranée jusqu’à l’Euphrate ; que tout ce vaste pays leur était promis, et qu’assurément ils auraient été tentés de s’en emparer s’ils avaient été libres. Ils sont esclaves dix-huit années sous Eglon, roi des Moabites, assassiné par Aod ; ils sont ensuite, pendant vingt années, esclaves d’un peuple cananéen qu’ils ne nomment pas, jusqu’au temps où la prophétesse guerrière Débora les délivre. Ils sont encore esclaves pendant sept ans, jusqu’à Gédéon.
Ils sont esclaves dix-huit ans des Phéniciens, qu’ils appellent Philistins, jusqu’à Jephté. Ils sont encore esclaves des Phéniciens quarante années, jusqu’à Saül. Ce qui peut confondre notre jugement, c’est qu’ils étaient esclaves du temps même de Samson, pendant qu’il suffisait à Samson d’une simple mâchoire d’âne pour tuer mille Philistins, et que Dieu opérait, par les mains de Samson, les plus étonnants prodiges.
Arrêtons-nous ici un moment pour observer combien de Juifs furent exterminés par leurs propres frères, ou par l’ordre de Dieu même, depuis qu’ils errèrent dans les déserts, jusqu’au temps où ils eurent un roi élu par le sort
- Les Lévites, après l’adoration du veau d’or jeté
en fonte par le frère de Moïse, égorgent. 23,000 Juifs.
- Consumés par le feu, pour la révolte de Coré 250 Juifs.
- Egorgés pour la même révolte 14,700 Juifs.
- Egorgés pour avoir eu commerce avec les
filles madianites 24,000 Juifs.
- Egorgés au gué du Jourdain, pour n’avoir
pas pu prononcer Shiboleth 42,000 Juifs.
- Tués par les Benjamites qu’on attaquait 40,000 Juifs.
- Benjamites tués par les autres tribus 45,000 Juifs.
- Lorsque l’arche fut prise par les Philistins, et que Dieu
pour les punir, les ayant affligés d’hémorroïdes, ils
ramenèrent l’arche à Bethsamès, et qu’ils offrirent au
Seigneur cinq anus d’or et cinq rats d’or ; les Bethsamès,
frappés de mort pour avoir regardé l’arche, au nombre
de 50,070 Juifs.
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Somme totale 239,020 Juifs.
Voilà deux cent trente-neuf mille vingt Juifs exterminés par l’ordre de Dieu même, ou par leurs guerres civiles, sans compter ceux qui périrent dans le désert, et ceux qui moururent dans les batailles contre les Cananéens, etc. ; ce qui peut aller à plus d’un million d’hommes (4).
Si on jugeait des Juifs comme des autres nations, on ne pourrait concevoir comment les enfants de Jacob auraient pu produire une race assez nombreuse pour supporter une telle perte. Mais Dieu qui les conduisait, Dieu qui les conduisait, Dieu qui les éprouvait et les punissait, rendit cette nation si différente en tout des autres hommes, qu’il faut la regarder avec d’autres yeux que ceux dont on examine le reste de la terre, et ne point juger de ces événements comme on juge des événements ordinaires.
1 – Le Jourdain à l’époque du passage coulait à pleins bords. S. Munk déclare ne pouvoir faire la part de la tradition poétique et du fait historique. (G.A.)
2- Herder explique le récit de la prise de Jéricho par un assaut auquel le son des trompettes et le cri de guerre avaient servi de signal. (G.A.)
3 – Rahab. (G.A.)
4 – Aux indignations de Voltaire comparez les admirations de Bossuet, qui, opposant à Jason, à Hercule, à Orphée, à Priam, à Achille, à Ménélas, à Ulysse, à Agamemnon, à Énée, les Samson, les Héli, les Samuel, les Saül, etc., déclare hardiment (cinquième époque, première partie de son Histoire universelle), que ce qu’on voit dans l’histoire sainte est en toutes façons plus remarquable que ce que les temps fabuleux ont de plus certain et de plus beau.
XLII. DES JUIFS DEPUIS SAÜL.
Les Juifs ne paraissent pas jouir d’un sort plus heureux sous leurs rois que sous leurs juges.
Leur premier roi, Saül, est obligé de se donner la mort. Isboseth et Miphiboseth, ses fils, sont assassinés.
David livre aux Gabaonites sept petits-fils de Saül pour être mis en croix. Il ordonne à Salomon son fils de faire mourir Adonias son autre fils, et son général Joab Le roi Asa fait tuer une partie du peuple dans Jérusalem. Baasa assassine Nadab, fils de Jéroboam, et tous ses parents. Héhu assassine Joram et Ochosias, soixante et dix fils d’Achab, quarante-deux frères d’Ochosias, et tous leurs amis. Athalie assassine tous ses petits-fils excepté Joas ; elle est assassinée par le grand-prêtre Joiadad. Joas est assassiné par ses domestiques. Amasias est tué. Zacharias est assassiné par Sellum, qui est assassiné par Manahem, lequel Manahem fait fendre le ventre à toutes les femmes grosses dans Tapsa. Phacéia, fils de Manahem, est assassiné par Phacée, fils de Roméli, qui est assassiné par Ozée, fils d’Ela. Manassé fait tuer un grand nombre de Juifs, et les Juifs assassinent Ammon, fils de Manassé, etc.
Au milieu de ces massacres, dix tribus enlevées par Salmanasar, roi des Babyloniens, sont esclaves et dispersées pour jamais, excepté quelques manœuvres qu’on garde pour cultiver la terre.
Il reste encore deux tribus, qui bientôt sont esclaves à leur tour pendant soixante et dix ans : au bout de ces soixante et dix ans, les deux tribus obtiennent de leurs vainqueurs et de leurs maîtres la permission de retourner à Jérusalem. Ces deux tribus, ainsi que le peu de Juifs qui peuvent être restés à Samarie avec les nouveaux habitants étrangers, sont toujours sujettes des rois de Perse.
Quand Alexandre s’empare de la Perse, la Judée est comprise dans ses conquêtes. Après Alexandre, les Juifs demeurèrent soumis tantôt aux Séleucides, ses successeurs en Syrie, tantôt aux Ptolémées, ses successeurs en Egypte ; toujours assujettis, et ne se soutenant que par le métier de courtiers qu’ils faisaient dans l’Asie. Ils obtinrent quelque faveur du roi d’Egypte Ptolémée Epiphanes. Un Juif, nommé Joseph, devint fermier-général des impôts sur la Basse-Syrie et la Judée, qui appartenaient à ce Ptolémée. C’est là l’état le plus heureux des Juifs ; car c’est alors qu’ils bâtirent la troisième partie de leur ville, appelée depuis l’enceinte des Macchabées, parce que les Macchabées l’achevèrent.
Du joug du roi Ptolémée ils repassent à celui du roi de Syrie, Antiochus le Dieu. Comme ils s’étaient enrichis dans les fermes, ils devinrent audacieux, et se révoltèrent contre leur maître Antiochus. C’est le temps des Macchabées, dont les Juifs d’Alexandrie ont célébré le courage et les grandes actions ; mais les Macchabées ne purent empêcher que le général d’Antiochus Eupator, fils d’Antiochus Epiphanes, ne fît raser les murailles du temple, en laissant subsister seulement le sanctuaire, et qu’on ne fît trancher la tête au grand-prêtre Onias, regardé comme l’auteur de la révolte.
Jamais les Juifs ne furent plus inviolablement attachés à leurs rois que sous les rois de Syrie ; ils n’adorèrent plus de divinités étrangères : ce fut alors que leur religion fut irrévocablement fixée, et cependant ils furent plus malheureux que jamais, comptant toujours sur leur délivrance, sur les promesses de leurs prophètes, sur le secours de leur Dieu, mais abandonnés par la Providence, dont les décrets ne sont pas connus des hommes.
Ils respirèrent quelque temps par les guerres intestines des rois de Syrie ; mais bientôt les Juifs eux-mêmes s’armèrent les uns contre les autres. Comme ils n’avaient point de rois, et que la dignité de grand sacrificateur était la première, c’était pour l’obtenir qu’il s’élevait de violents partis : on n’était grand-prêtre que les armes à la main, et on n’arrivait au sanctuaire que sur les cadavres de ses rivaux.
Hircan, de la race des Macchabées, devenu grand-prêtre, mais toujours sujet des Syriens, fit ouvrir le sépulcre de David, dans lequel l’exagérateur Josèphe prétend qu’on trouva trois mille talents. C’était quand on rebâtissait le temple, sous Néhémie, qu’il eût fallu chercher ce prétendu trésor. Cet Hircan obtint d’Antiochus Sidétès le droit de battre monnaie ; mais comme il n’y eut jamais de monnaie juive, il y a grand apparence que le trésor du tombeau de David n’avait pas été considérable.
Il est à remarquer que ce grand-prêtre Hircan était saducéen, et qu’il ne croyait ni à l’immortalité de l’âme, ni aux anges ; sujet nouveau de querelle qui commençait à diviser les saducéens et les pharisiens. Ceux-ci conspirèrent contre Hircan, et voulurent le condamner à la prison et au fouet. Il se vengea d’eux, et gouverna despotiquement.
Son fils Aristobule osa se faire roi pendant les troubles de Syrie et d’Egypte : ce fut un tyran plus cruel que tous ceux qui avaient opprimé le peuple juif. Aristobule, exact à la vérité à prier dans le temple et ne mangeant jamais de porc, fît mourir de faim sa mère, et fit égorger Antigone, son frère. Il eut pour successeur un nommé Jean ou Jeanné, aussi méchant que lui.
Ce Jeanné, souillé de crimes, laissa deux fils qui se firent la guerre. Ces deux fils étaient Aristobule et Hircan ; Aristobule chassa son frère, et se fit roi. Les Romains alors subjuguaient l’Asie. Pompée en passant vint mettre les Juifs à la raison, prit le temple, fit pendre les séditieux aux portes, et chargea de fers le prétendu roi Aristobule.
Cet Aristobule avait un fils qui osait se nommer Alexandre. Il remua, il leva quelques troupes, et finit par être pendu par ordre de Pompée.
Enfin, Marc-Antoine donna pour roi aux Juifs un Arabe Iduméen, du pays de ces Amalécites tant maudits par les Juifs. C’est ce même Hérode que saint Matthieu dit avoir fait égorger tous les petits enfants des environs de Bethléem, sur ce qu’il apprit qu’il était né un roi des Juifs dans ce village, et que trois mages, conduits par une étoile, étaient venus lui offrir des présents.
Ainsi les Juifs furent presque toujours subjugués ou esclaves. On sait comme ils se révoltèrent contre les Romains, et comme Titus et ensuite Adrien les firent tous vendre au marché, au prix de l’animal dont ils ne voulaient pas manger.
Ils essuyèrent un sort encore plus funeste sous les empereurs Trajan et Adrien, et ils le méritèrent. Il y eut, du temps de Trajan, un tremblement de terre qui engloutit les plus belles villes de la Syrie. Les Juifs crurent que c’était le signal de la colère de Dieu contre les Romains. Ils se rassemblèrent, ils s’armèrent en Afrique et en Chypre : une telle fureur les anima, qu’ils dévorèrent les membres des Romains égorgés par eux ; mais bientôt tous les coupables moururent dans les supplices. Ce qui restait fut animé de la même rage sous Adrien, quand Barchochébas, se disant leur messie, se mit à leur tête. Ce fanatisme fut étouffé dans des torrents de sang.
Il est étonnant qu’il reste encore des Juifs. Le fameux Benjamin de Tudèle, rabbin très savant, qui voyagea dans l’Europe et dans l’Asie au douzième siècle, en comptait environ trois cent quatre-vingt mille, tant Juifs que Samaritains ; car il ne faut pas faire mention d’un prétendu royaume de Théma, vers le Thibet, où ce Benjamin, trompeur ou trompé sur cet article, prétend qu’il y avait trois cent mille Juifs des dix anciennes tribus rassemblés sous un souverain. Jamais les Juifs n’eurent aucun pays en propre, depuis Vespasien, excepté quelques bourgades dans les déserts de l’Arabie Heureuse, vers la mer Rouge. Mahomet fut d’abord obligé de les ménager ; mais à la fin il détruisit la petite domination qu’ils avaient établie au nord de la Mecque. C’est depuis Mahomet qu’ils ont cessé réellement de composer un corps de peuple.
En suivant simplement le fil historique de la petite nation juive, on voit qu’elle ne pouvait avoir une autre fin. Elle se vante elle-même d’être sortie d’Egypte comme une horde de voleurs, emportant tout ce qu’elle avait emprunté des Egyptiens : elle fait gloire de n’avoir jamais épargné ni la vieillesse, ni le sexe, ni l’enfant, dans les villages et dans les bourgs dont elle a pu s’emparer. Elle ose étaler une haine irréconciliable contre toutes les nations : elle se révolte contre tous ses maîtres. Toujours superstitieuse, toujours avide du bien d’autrui, toujours barbare, rampante dans le malheur, et insolente dans la prospérité. Voilà ce que furent les Juifs aux yeux des Grecs et des Romains qui purent lire leurs livres ; mais, aux yeux des chrétiens éclairés par la foi, ils ont été nos précurseurs, ils nous ont préparé la voie, ils ont été les héros de la Providence (1).
Les deux autres nations qui sont errantes comme la juive dans l’Orient, et qui, comme elle, ne s’allient avec aucun autre peuple, sont les Banians et les Parsis nommés Guèbres. Ces Banians, adonnés au commerce ainsi que les Juifs, sont les descendants des premiers habitants paisibles de l’Inde ; ils n’ont jamais mêlé leur sang, à un sang étranger, non plus que les Brachmanes. Les Parsis sont ces mêmes Perses, autrefois dominateurs de l’Orient, et souverains des Juifs. Ils sont dispersés depuis Omar, et labourent en paix une partie de la terre où ils régnèrent ; fidèles à cette antique religion des mages, adorant un seul Dieu, et conservant le feu sacré qu’ils regardent comme l’ouvrage et l’emblème de la Divinité.
Je ne compte point ces reste d’Egyptiens, adorateurs secrets d’Isis, qui ne subsistent plus aujourd’hui que dans quelques troupes vagabondes, bientôt pour jamais anéanties.
1 – Comparez à cet admirable résumé historique les procédés politico-théologiques de Bossuet, première partie de son Histoire. (G.A.)