ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 18

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ESSAI SUR LES MŒURS ET L'ESPRIT DES NATIONS - Partie 18

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ESSAI

 

SUR LES MŒURS ET L’ESPRIT DES NATIONS

 

 

 

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(Partie 18)

 

 

 

 

 

 

 

 

XXXII. DES SIBYLLES CHEZ LES GRECS,

ET DE LEUR INFLUENCE SUR LES AUTRES

 NATIONS.

 

 

 

 

          Lorsque presque toute la terre était remplie d’oracles, il y eut de vieilles filles qui, sans être attachées à aucun temple, s’avisèrent de prophétiser pour leur compte. On les appela sibylles, πολεμικό συμβούλιο, mots grecs du dialecte de Laconie, qui signifient conseil de Dieu. L’antiquité en compte dix principales en divers pays. On sait assez le conte de la bonne femme qui vint apporter dans Rome, à l’ancien Tarquin, les neuf livres de l’ancienne sibylle de Cumes. Comme Tarquin marchandait trop, la vieille jeta au feu les six premiers livres et exigea autant d’argent des trois restants qu’elle en avait demandé des neuf entiers. Tarquin les paya. Ils furent, dit-on, conservés à Rome jusqu’au temps de Silla, et furent consumés dans un incendie du Capitole.

 

          Mais comment se passer des prophéties des sibylles ? On envoya trois sénateurs à Erythrès, ville de Grèce, où l’on gardait précieusement un millier de mauvais vers grecs, qui passaient pour être de la façon de la sibylle Erythrée. Chacun en voulait avoir des copies. La sibylle Erythrée avait tout prédit ; il en était de ses prophéties comme de celles de Nostradamus parmi nous ; et l’on ne manquait pas, à chaque événement, de forger quelques vers grecs qu’on attribuait à la sibylle.

 

          Auguste, qui craignait avec raison qu’on ne trouvât dans cette rapsodie quelques vers qui autoriseraient des conspirations, défendit, sous peine de mort, qu’aucun Romain eût chez lui des vers sibyllins : défense digne d’un tyran soupçonneux, qui conservait avec adresse un pouvoir usurpé par le crime.

 

          Les vers sibyllins furent respectés plus que jamais quand il fut défendu de les lire. Il fallait bien qu’ils continssent la vérité, puisqu’on les cachait aux citoyens.

 

          Virgile, dans son églogue sur la naissance de Pollion, ou de Marcellus, ou de Drusus, ne manqua pas de citer l’autorité de la sibylle de Cumes, qui avait prédit nettement que cet enfant, qui mourut bientôt après, ramènerait le siècle d’or. La sibylle Erythrée avait, disait-on alors, prophétisé aussi à Cumes. L’enfant nouveau-né, appartenant à Auguste ou à son favori, ne pouvait manquer d’être prédit par la sibylle. Les prédictions d’ailleurs ne sont jamais que pour les grands, les petits n’en valent pas la peine.

 

          Ces oracles des sibylles étant donc toujours en très grande réputation, les premiers chrétiens, trop emportés par un faux zèle, crurent qu’ils pouvaient forger de pareils oracles pour battre les Gentils par leurs propres armes. Hermas et saint Justin passent pour être les premiers qui eurent le malheur de soutenir cette imposture. Saint-Justin cite des oracles de la sibylle de Cumes, débités par un chrétien qui avait pris le nom d’Istape, et qui prétendait que sa sibylle avait vécu du temps du déluge. Saint Clément d’Alexandrie (dans ses Stromates, livre VI) assure que l’apôtre saint Paul recommande dans ses Epîtres la lecture des sibylles qui ont manifestement prédit la naissance du fils de Dieu.

 

          Il faut que cette Epître de saint Paul soit perdue ; car on ne trouve ces paroles, ni rien d’approchant, dans aucune des Epîtres de saint Paul. Il courait dans ce temps-là, parmi les chrétiens, une infinité de livres que nous n’avons plus, comme les Prophéties de Jaldabast, celles de Seth, d’Enoch et de Cham ; la pénitence d’Adam ; l’histoire de Zacharie, père de saint Jean ; l’Evangile d’Eve ; l’Apocalypse d’Adam ; les Lettres de Jésus-Christ, et cent autres écrits dont il reste à peine quelques fragments ensevelis dans des livres qu’on ne lit guère.

 

          L’Eglise chrétienne était alors partagée en société judaïsante et société non judaïsante. Ces deux sociétés étaient divisées en plusieurs autres. Quiconque se sentait un peu de talent écrivait pour son parti. Il y eut plus de cinquante Evangiles jusqu’au concile de Nicée ; il ne nous en reste aujourd’hui que ceux de la Vierge, de Jacques, de l’Enfance, et de Nicodème. On forgea surtout des vers attribués aux anciennes sibylles. Tel était le respect du peuple pour ces oracles sibyllins, qu’on crut avoir besoin de cet appui étranger pour fortifier le christianisme naissant. Non-seulement on fit des vers en acrostiches, de manière que les lettres de ces mots, Jesous Chreitos ios Soter, étaient l’une après l’autre le commencement de chaque vers. C’est dans ces poésies qu’on trouve cette prédiction :

 

 

Avec cinq pains et deux poissons

Il nourrira cinq mille hommes au désert ;

Et, en ramassant les morceaux qui resteront,

Il en remplira douze paniers.

 

 

          On ne s’en tint pas là ; on imagina qu’on pouvait détourner, en faveur du christianisme, le sens des vers de la quatrième églogue de Virgile (vers 4 et 7) :

 

 

Ultima cumæi venit jam carminis ætas…

Jam nova progenies cœlo demittitur alto.

 

Les temps de la sibylle enfin sont arrivés.

Un nouveau rejeton descend du haut des cieux.

 

 

          Cette opinion eut si grand cours dans les premiers siècles de l’Eglise, que l’empereur Constantin la soutint hautement. Quand un empereur parlait, il avait sûrement raison. Virgile passa longtemps pour un prophète. Enfin, on était si persuadé des oracles des sibylles, que nous avons dans une de nos hymnes, qui n’est pas fort ancienne, ces deux vers remarquables :

 

 

Solvet sæclum in favilla,

Teste David cum sibylla.

 

Il mettra l’univers en cendres,

Témoin la sibylle et David.

 

 

          Parmi les prédictions attribuées aux sibylles, on faisait surtout valoir le règne de mille ans, que les Pères de l’Eglise adoptèrent jusqu’au temps de Théodose II.

 

 

          Ce règne de Jésus-Christ pendant mille ans sur la terre était fondé d’abord sur la prophétie de saint Luc, chapitre XXI, prophétie mal entendue, que Jésus-Christ « viendrait dans les nuées, dans une grande puissance et dans une grande majesté, avant que la génération présente fût passée. »  La génération avait passé ; mais saint Paul avait dit aussi dans sa première Epître aux Thessaloniciens, chap. IV :

 

          « Nous vous déclarons, comme l’ayant appris du Seigneur, que nous qui vivons, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil.

 

          Car, aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l’archange, et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers.

 

          Puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu de l’air ; et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. »

 

          Il est bien étrange que Paul dise que c’est le Seigneur lui-même qui lui avait parlé ; car Paul, loin d’avoir été un des disciples de Christ, avait été longtemps un de ses persécuteurs. Quoi qu’il en puisse être, l’Apocalypse avait dit aussi, chapitre XX, que les justes régneraient sur la terre pendant mille ans avec Jésus-Christ.

 

          On s’attendait donc à tout moment que Jésus-Christ descendrait du ciel pour établir son règne, et rebâtir Jérusalem, dans laquelle les chrétiens devaient se réjouir avec les patriarches.

 

          Cette nouvelle Jérusalem était annoncée dans l’Apocalypse : « Moi, Jean, je vis la nouvelle Jérusalem qui descendait du ciel, parée comme une épouse… Elle avait une grande et haute muraille, douze portes, et un ange à chaque porte… douze fondements où sont les noms des apôtres de l’agneau… Celui qui me parlait avait une toise d’or pour mesurer la ville, les portes et la muraille. La ville est bâtie en carrée ; elle est de douze mille stades ; sa longueur, sa largeur et sa hauteur sont égales… Il en mesura aussi la muraille qui est de cent quatre-quatre coudées… Cette muraille était de jaspe, et la ville était d’or, etc. »

 

          On pouvait se contenter de cette prédiction ; mais on voulut encore avoir pour garant une sibylle à qui l’on fait dire à peu près les mêmes choses. Cette persuasion s’imprima si fortement dans les esprits, que saint Justin, dans son Dialogue contre Tryphon, dit « qu’il en est convenu, et que Jésus doit venir dans cette Jérusalem boire et manger avec des disciples. »

 

          Saint Irénée se livra si pleinement à cette opinion, qu’il attribue à saint Jean l’Evangéliste ces paroles : « Dans la nouvelle Jérusalem, chaque cep de vigne produira dix mille branches ; et chaque branche, dix mille bourgeons ; chaque bourgeon, dix mille grappes ; chaque grappe, dix mille grains ; chaque raisin ; vingt-cinq amphores de vin ; et quand un ses saints vendangeurs cueillera un raisin, le raison voisin lui dira : Prends-moi, je suis meilleur que lui. »

 

          Ce n’était pas assez que la sibylle eût prédit ces merveilles, on avait été témoin de l’accomplissement. On vit, au rapport de Tertullien, la Jérusalem nouvelle descendre du ciel pendant quarante nuits consécutives.

 

          Tertullien s’exprime ainsi : « Nous confessons que le royaume nous est promis pour mille ans en terre, après la résurrection dans la cité de Jérusalem, apportée du ciel ici-bas. »

 

          C’est ainsi que l’amour du merveilleux, et l’envie d’entendre et de dire des choses extraordinaires, a perverti le sens commun dans tous les temps ; c’est ainsi qu’on s’est servi de la fraude, quand on n’a pas eu la force. La religion chrétienne fut d’ailleurs soutenue par des raisons si solides, que tout cet amas d’erreurs ne put l’ébranler. On dégagea l’or pur de tout cet alliage, et l’Eglise parvint, par degrés, à l’état où nous la voyons aujourd’hui.

 

 

 

 

 

XXXIII. DES MIRACLES.

 

 

 

 

          Revenons toujours à la nature de l’homme ; il n’aime que l’extraordinaire ; et cela est si vrai, que sitôt que le beau, le sublime est commun, il ne paraît plus ni beau ni sublime. On veut de l’extraordinaire en tout genre, et on va jusqu’à l’impossible. L’histoire ancienne ressemble à celle de ce chou plus grand qu’une maison, et à ce pot plus grand qu’une église, fait pour cuire ce chou.

 

          Quelle idée avons-nous attachée au mot miracle, qui d’abord signifiait chose admirable ? Nous avons dit : C’est ce que la nature ne peut opérer ; c’est ce qui est contraire à toutes ses lois. Ainsi l’Anglais qui promit au peuple de Londres de se mettre tout entier dans une bouteille de deux pintes annonçait un miracle. Et autrefois on n’aurait pas manqué de légendaires qui auraient affirmé l’accomplissement de ce prodige, s’il en était revenu quelque chose au couvent.

 

          Nous croyons sans difficulté aux vrais miracles opérés dans notre sainte religion, et chez les Juifs, dont la religion prépara la nôtre. Nous ne parlons ici que des autres nations, et nous ne raisonnons que suivant les règles du bon sens, toujours soumises à la révélation.

 

          Quiconque n’est pas illuminé par la foi ne peut regarder un miracle que comme une contravention aux lois éternelles de la nature. Il ne lui paraît pas possible que Dieu dérange son propre ouvrage ; il sait que tout est lié dans l’univers par des chaînes que rien ne peut rompre. Il sait que Dieu étant immuable, ses lois le sont aussi ; et qu’une roue de la grande machine ne peut s’arrêter, sans que la nature entière soit dérangée.

 

          Si Jupiter, en couchant avec Alcmène, fait une nuit de vingt-quatre heures, lorsqu’elle devait être de douze, il est nécessaire que la terre s’arrête dans son cours, et reste immobile douze heures entières. Mais comme les mêmes phénomènes du ciel reparaissent la nuit suivante, il est nécessaire aussi que la lune et toutes les planètes se soient arrêtées. Voilà une grande révolution dans tous les orbes célestes en faveur d’une femme de Thèbes en Béotie.

 

          Un mort ressuscite au bout de quelques jours ; il faut que toutes les parties imperceptibles de son corps qui s’étaient exhalées dans l’air, et que les vents avaient emportées au loin, reviennent se mettre chacune à leur place ; que les vers et les oiseaux, ou les autres animaux nourris de la substance de ce cadavre, rendent chacun ce qu’ils lui ont pris. Les vers engraissés des entrailles de cet homme auront été mangés par des hirondelles ; ces hirondelles, par des pies-grièches ; ces pies-grièches, par des faucons ; ces faucons, par des vautours. Il faut que chacun restitue précisément ce qui appartenait au mort, sans quoi ce ne serait plus la même personne. Tout cela n’est rien encore, si l’âme ne revient dans son hôtellerie.

 

          Si l’Etre éternel, qui a tout prévu, tout arrangé, qui gouverne tout par des lois immuables, devient contraire à lui-même en renversant toutes ses lois, ce ne peut être que pour l’avantage de la nature entière. Mais il paraît contradictoire de supposer un cas où le créateur et le maître de tout puisse changer l’ordre du monde pour le bien du monde. Car, ou il a prévu le prétendu besoin qu’il en aurait, ou il ne l’a pas prévu. S’il l’a prévu, il y a mis ordre dès le commencement : s’il ne l’a pas prévu, il n’est plus Dieu.

 

          On dit que c’est pour faire plaisir à une nation, à une ville, à une famille, que l’Etre éternel ressuscite Pélops, Hippolyte, Hérès, et quelques autres fameux personnages ; mais il ne paraît pas vraisemblable que le maître commun de l’univers oublie le soin de l’univers en faveur de cet Hyppolyte et de ce Pélops.

 

          Plus les miracles sont incroyables, selon les faibles lumières de notre esprit, plus ils ont été crus. Chaque peuple eut tant de prodiges, qu’ils devinrent des choses très ordinaires. Aussi ne s’avisait-on pas de nier ceux de ses voisins. Les Grecs disaient aux Egyptiens, aux nations asiatiques : « Les dieux vous ont parlé quelquefois, ils nous parlent tous les jours ; s’ils ont combattu vingt fois pour vous, ils se sont mis quarante fois à la tête de nos armées ; si vous avez des métamorphoses, nous en avons cent fois plus que vous ; si vos animaux parlent, les nôtres ont fait de très beaux discours. » Il n’y a pas même jusqu’aux Romains chez qui les bêtes n’aient pris la parole pour prédire l’avenir. Tite-Live rapporte qu’un bœuf s’écria en plein marché : Rome, prends garde à toi. Pline, dans son livre huitième, dit qu’un chien parla, lorsque Tarquin fut chassé du trône. Une corneille, si l’on en croit Suétone, s’écria dans le Capitole, lorsqu’on allait assassiner Domitien : c’est fort bien fait, tout est bien. C’est ainsi qu’un des chevaux d’Achille, nommé Xante, prédit à son maître qu’il mourra devant Troie. Avant le cheval d’Achille le bélier de Phryxus avait parlé, aussi bien que les vaches du mont Olympe. Ainsi, au lieu de réfuter les fables, on enchérissait sur elles : on faisait comme ce praticien à qui on produisait une fausse obligation ; il ne s’amusa point à plaider ; il produisit sur-le-champ une fausse quittance.

 

          Il est vrai que nous ne voyons guère de morts ressuscités chez les Romains ; ils s’en tenaient à des guérisons miraculeuses. Les Grecs, plus attachés à la métempsycose, eurent beaucoup de résurrections Ils tenaient ce secret des Orientaux, de qui toutes les sciences et les superstitions étaient venues.

 

          De toutes les guérisons miraculeuses, les plus attestées, les plus authentiques, sont celles de cet aveugle à qui l’empereur Vespasien rendit la vue, et de ce paralytique auquel il rendit l’usage de ses membres. C’est dans Alexandrie que ce double miracle s’opère ; c’est devant un peuple innombrable, devant des Romains, des Grecs, des Egyptiens ; c’est sur son tribunal que Vespasien opère ces prodiges. Ce n’est pas lui qui cherche à se faire valoir par des prestiges dont un monarque affermi n’a pas besoin ; ce sont ces deux malades eux-mêmes qui, prosternés à ses pieds, le conjurent de les guérir. Il rougit de leurs prières, il s’en moque ; il dit qu’une telle guérison n’est pas au pouvoir d’un mortel. Les deux infortunés insistent : Sérapis leur est apparu ; Sérapis leur a dit qu’ils seraient guéris par Vespasien. Enfin il se laisse fléchir : il les touche sans se flatter du succès. La divinité, favorable à sa modestie et à sa vertu, lui communique son pouvoir ; à l’instant, l’aveugle voit, et l’estropié marche. Alexandrie, l’Egypte et tout l’empire applaudissent à Vespasien, favori du ciel. Le miracle est consigné dans les archives de l’empire et dans toutes les histoires contemporaines. Cependant, avec le temps, ce miracle n’est cru de personne, parce que personne n’a intérêt de le soutenir.

 

          Si l’on en croit je ne sais quel écrivain de nos siècles barbares, nommé Helgut, le roi Robert, fils de Hugues Capet, guérit aussi un aveugle. Ce don des miracles dans le roi Robert fut apparemment la récompense de la charité avec laquelle il avait fait brûler le confesseur de sa femme, et ces chanoines d’Orléans, accusés de ne pas croire l’infaillibilité et la puissance absolue du pape, et par conséquent d’être manichéens : ou, si ce ne fut pas le prix de ces bonnes actions, ce fut celui de l’excommunication qu’il souffrit pour avoir couché avec la reine sa femme.

 

          Les philosophes ont fait des miracles, comme les empereurs et les rois. On connaît ceux d’Apollonios de Tyane ; c’était un philosophe pythagoricien, tempérant, chaste et juste, à qui l’histoire ne reproche aucune action équivoque, ni aucune de ces faiblesses dont fut accusé Socrate. Il voyagea chez les mages et chez les brachmanes, et fut d’autant plus honoré partout, qu’il était modeste, donnant toujours de sages conseils, et disputant rarement. La prière qu’il avait coutume de faire aux dieux est admirable : « Dieux immortels, accordez-nous ce que vous jugerez convenable, et dont nous ne soyons pas indignes. » Il n’avait nul enthousiasme ; ses disciples en eurent : ils lui supposèrent des miracles qui furent recueillis par Philostrate. Les Tyanéens le mirent au rang des demi-dieux, et les empereurs romains approuvèrent son apothéose. Mais, avec le temps, l’apothéose d’Apollonios eut le sort de celle qu’on décernait aux empereurs romains ; et la chapelle d’Apollonios fut aussi déserte que le Socratéion élevé par les Athéniens à Socrate.

 

          Les rois d’Angleterre, depuis saint Edouard jusqu’au roi Guillaume III, firent journellement un grand miracle, celui de guérir les écrouelles, qu’aucuns médecins ne pouvaient guérir. Mais Guillaume III ne voulut point faire de miracles, et ses successeurs s’en sont abstenus comme lui. Si l’Angleterre éprouve jamais quelque grande révolution qui la replonge dans l’ignorance, alors elle aura des miracles tous les jours.

 

 

 

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