CORRESPONDANCE - Année 1775 - Partie 13

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1775 - Partie 13

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à M. Bertillot.

 

 

          M. de Voltaire et madame Denis sont très sensibles à tous les soins que M. Bertillot a bien voulu prendre de diriger les études et les travaux de M. de Morival. Il vient d’être nommé capitaine et ingénieur par le roi son maître. Il compte profiter pendant deux mois des bontés de M. Bertillot, à qui nous aurons, madame Denis et moi, une obligation infinie. Je pense qu’il ne s’agit, pour M. de Morival, que de se perfectionner dans la simple géométrie pratique qui a rapport à la guerre ; tout le reste n’est qu’une curiosité inutile.

 

          Je fais aussi mes compliments et remerciements à M. et à madame Racle. Très humble et obéissant serviteur.

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

7 Juillet 1775.

 

 

          Voici, monsieur, une requête qui n’est pas pour un conseil de finances, mais bien pour un conseil de philosophie et d’humanité. Vous êtes dans tous ces ministères.

 

          Permettez que je vous adresse deux paquets, l’un pour M. de Condorcet, l’autre pour M. d’Alembert, et que je vous renouvelle tous les sentiments qui m’attachent bien fortement à vous. Que Dieu nous conserve M. Turgot et M. de Vaines !

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

10 Juillet 1775 (1).

 

 

          J’ai à vous dire, monseigneur, que je viens de boire du vin de Champagne à votre santé avec un homme qui vous a vu essuyer plus de coups de canon que nous n’avez de cheveux à la tête. C’est un M. Duvivier, homme fort aimable, qui ne pouvait vous suivre à la tranchée du fort Saint-Philippe, parce que vous alliez toujours trop vite. C’est lui qui est venu me faire sortir de mon lit, qui s’est moqué de ce que j’avais quatre-vingt-deux ans, et qui m’a fait boire. Nous n’avons parlé que de votre gloire. Il ne m’a pas dit un seul mot des écritures de madame de Saint-Vincent, qui ne valent pas les écrits de madame de Sévigné, sa grand’mère. Il est reparti sur-le-champ pour Paris, et je me suis remis dans mon lit. Je mourrai avec le regret de n’être pas venu un matin, à votre réveil, dans votre beau palais bâti par le duc d’Antin, de n’avoir pas été témoin de la gaieté et des grâces que vous avez conservées, et de n’avoir pas admiré de près votre courage d’esprit dans toutes les vicissitudes de la vie.

 

          La poste, tout infidèle qu’elle est, va partir après M. Duvivier ; elle ne me laisse pas le temps de vous dire le plaisir qu’il m’a fait en me parlant toujours de vous. Me voilà à présent sans consolation dans ma misère.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

10 Juillet 1775.

 

 

          Je vous ai rendu compte, mon cher ange, le 7 de ce mois, des lettres que j’avais adressées à M. de La Reynière pour vous et pour M. le maréchal de Duras. Je vous ai dit et je vous redis combien j’ai été affligé que ces lettres ne vous soient pas parvenues.

 

          Je vous ai de plus envoyé des Filles de Minée par le même M. de La Reynière, et je vous adresse aujourd’hui par la même voie un mémoire assez intéressant (1), qui m’est tombé entre les mains, et qui ne me paraît pas fait pour tout le monde.

 

          Vous saurez que le roi de Prusse appelle l’auteur de ce mémoire auprès de sa personne, qu’il le nomme son ingénieur, le fait capitaine, et assure sa fortune. Il a accompagné ces grâces singulières d’une lettre également tendre et philosophique, dans laquelle il se propose de réparer par l’humanité toutes les horreurs du fanatisme.

 

          Il faut vous dire qu’il répare aussi tous les jours par de petites attentions flatteuses le moment de mauvaise humeur qu’il eut autrefois avec moi.

 

          Vous conclurez de tout ce que je vous dis que mon jeune homme ne doit ni ne peut chercher ailleurs sa justification et son bien-être. Sa requête est la première qu’on ait jamais présentée pour ne rien demander du tout. Elle n’est faite que pour inspirer l’horreur de la persécution, et pour fortifier les bons sentiments des esprits raisonnables.

 

          J’ai vu des gens qu’on croyait peu sensibles s’attendrir à cette lecture,

 

Et dans le même instant, par un effet contraire,

Leur front pâlir d’horreur, et rougir de colère.

 

                                                 Cinna, act. I, sc. III.

 

          L’homme en question n’envoie qu’à M. Turgot une de ces requêtes. Il ne sait s’il en doit faire présenter à M. le comte de Maurepas et à M. de Miromesnil. Ne montrez la vôtre à personne, surtout si vous jugez qu’il y ait quelques mots qui pussent déplaire. Nous attendons votre jugement avec impatience. Je vous embrasse de mes faibles bras, mon cher ange, avec plus de tendresse et plus de confiance en vos bontés que jamais.

 

 

1 – Le Cri du sang innocent. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Dodin.

 

A Ferney, 12 Juillet 1775.

 

 

          Je ne puis trop vous remercier, monsieur, du mémoire intéressant et plein d’une éloquence solide que vous avez bien voulu m’envoyer. Je présume que M. Mazière, à la seule lecture de votre mémoire, s’empressera de donner généreusement un dédommagement convenable à votre client (1).

 

          M. de Servant, avocat général de Grenoble, a démontré, dans une grande cause, que « la loi naturelle crie dans tous les cœurs : Tu es homme, répare le mal que tu as fait à un homme. » L’erreur ne dispense point de cette loi. Parce qu’un homme s’est trompé, un autre en doit-il souffrir ?

 

          M. Mazière doit payer votre client, et l’embrasser.

 

          Je crois d’ailleurs, monsieur, que vous rendez un vrai service à la nation, en vous élevant contre le secret des procédures. Vous savez que tous les procès s’instruisaient publiquement chez les Romains, nos premiers législateurs ; cette noble jurisprudence est en usage en Angleterre.

 

          Le secret en matière criminelle n’a été reçu en France que par une méprise. On s’imagina, en lisant le Code, à l’article De Teslibus, que testes intrare judicii secretum signifiait les témoins doivent déposer secrètement ; et il signifie les témoins doivent entrer dans le cabinet du juge. Un solécisme a établi cette cruelle partie de notre jurisprudence, dans laquelle il y a tant de choses à réformer.

 

          Je me flatte que vous serez un jour la gloire du barreau, et que vous contribuerez plus que personne à cette réforme tant désirée. J’ai l’honneur d’être avec toute l’estime que vous inspirez, monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Le client était l’officier Garnier, détenu injustement sur la plainte du fermier-général Mazière. Voyez les Mémoires de Bachaumont, juillet et août 1775. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Condorcet. (1)

 

 

 

 

          Voici une affaire plus singulière que le procès des économistes et des neckriens, mon cher et grand philosophe : figurez-vous que madame la comtesse de Laubespin daigne venir chez moi dans l’idée que je pourrais avoir l’honneur de la servir, et représenter ses droits sur la principauté de Dombes à M. Turgot. Je ne suis pas assurément dans le cas de mériter sa confiance ; je lui ai dit que son affaire me paraissant très juste, elle ne devait s’adresser qu’à un homme aussi juste que vous, digne d’être l’ami de M. le contrôleur général. Elle envoie cette lettre à M. le comte de Laubespin son mari, qui vous expliquera son affaire bien mieux que moi. C’est une bonne action que vous ferez ; c’est vous prendre par votre faible.

 

          Quand aurons-nous la réponse au Génevois (2) ? Pardon  le temps presse.

 

 

1 – Cette lettre, datée par les éditeurs de Cayrol et A François du 13 Décembre 1776, doit être du milieu de l’année 1775. (G.A.)

2 – Voyez la lettre à de Vaines du 7 auguste. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

14 Juillet 1774 (1).

 

 

          Mon cher ange, votre lettre du 7 Juillet achève de me désespérer et de m’ôter le peu de raison qui me restait. Si, au lieu de raison, j’avais seulement un peu de force, je partirais sur-le-champ pour venir me jeter entre vos bras et demander compte à M. de La Reynière de tous mes paquets.

 

          Non seulement je vous ai envoyé par lui tout ce que vous me demandez, et surtout la lettre pour M. le duc de Duras, mais encore, en dernier lieu, je vous ai donné avis que je vous adressais sous son enveloppe un mémoire imprimé et signé du jeune Morival, qui m’est parvenu par la voie de Neuchâtel, en Suisse. Ce mémoire est en forme de requête au roi, mais requête dans laquelle on ne demande rien. Cette forme est toute neuve et n’en est pas moins convenable. Il ne siérait pas à un jeune homme si innocent de demander grâce ; il siérait encore moins à un officier qu’un grand roi appelle auprès de sa personne et qu’il fait son adjudant et son ingénieur, de vouloir dépendre d’un autre que de son bienfaiteur.

 

          Je vous envoyais donc sa justification, comme une pièce intéressante qui pouvait satisfaire votre goût et toucher votre cœur.

 

          Quant aux Filles de Minée et autres rogatons, si j’étais à votre place, je ferais mettre sur-le-champ mes chevaux et j’irais chez M. de La Reynière lui chanter sa gamme. Cela est affreux. Vous m’aviez dit que vous aviez trouvé enfin un contre-seing ; je m’y suis confié, et vous voyez ce qui en arrive.

 

          La France est-elle assez heureuse pour que M. de Malesherbes soit dans le ministère (2) ? Voilà donc de tous côtés le règne de la raison et de la vertu. Je vois qu’il faut songer à vivre.

 

          Je suis honteux, mon cher ange, d’ajouter à ma lettre cette petite requête que Florian me donne pour vous être présentée. Il n’est pas vraisemblable qu’elle réussisse, et il me semble qu’il est très indiscret de vous charger d’une telle affaire ; mais on m’y force ; vous me répondrez ce que vous croirez convenable.

 

          J’écris encore à M de La Reynière par cet ordinaire, et je me plains amèrement à lui. Ayez pitié de moi, mon cher ange ; les contre-temps m’abîment. LE VIEUX MALADE.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Il venait d’être nommé ministre de la maison du roi. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Malesherbes.

 

Ferney, 18 Juillet 1775.

 

 

          Monseigneur, je me joins à la France : elle se réjouit que votre philosophie vous ait enfin permis d’accepter une place où vous ferez du bien. Il ne m’appartient pas de vous demander une grâce. J’ai été malheureusement un peu coupable envers vous, et assez mal à propos : aussi je ne vous demande que justice. M. de Crassy, mon ami, mon voisin, très ancien gentilhomme, très ancien officier couvert de blessure, a, je crois, une affaire par devant vous ; je vous expliquerais fort mal cette affaire, que son placet vous fera connaître ; et puisqu’il se borne à demander la plus exacte justice, il n’a certainement aucun besoin d’une sollicitation aussi vaine que la mienne. Je me borne à féliciter tous les bons citoyens d’avoir un protecteur tel que vous, et à vous présenter du fond de mon cœur le profond respect avec lequel je suis, monseigneur, etc.

 

 

 

 

 

à M. de Vaines.

 

25 Juillet 1775 (1).

 

 

          Un pauvre campagnard, monsieur, tel que je le suis, doit toujours craindre d’avoir mal pris son temps et d’avoir commis quelque indiscrétion avec MM. les Parisiens. J’ai un très grand scrupule sur un papier (2) que je vous ai envoyé, et sur lequel vous ne m’avez point fait de réponse. C’est une affaire dans laquelle je n’ai voulu prendre aucun parti, avant de savoir l’opinion de quelques amis et surtout la vôtre. Je n’en ai adressé des exemplaires qu’à quatre ou cinq personnes, dont le jugement doit me tenir lieu de celui du public. Quoique ce soit une requête au conseil, je me suis cependant bien donné de garde d’en faire présenter aux ministres. M. Turgot est le seul auprès de qui j’aie osé prendre cette liberté, parce que je sais la manière dont il pense sur cette affaire.

 

          Je présume que vous avez pu craindre une publicité trop grande, et qu’en ce cas votre prudence vous a empêché de vous expliquer avec moi. Mais, comme cette affaire n’a fait et ne fera aucun éclat, permettez-moi de vous demander seulement si vous reçûtes mon paquet, il y a environ trois semaines, et si vous avez eu le temps de le lire. Je dois croire que vous n’avez pas trop de temps à vous, et que M. Turgot vous occupe plus que jamais ; tant mieux pour la nation !

 

          Je ne veux pas abuser de vos bontés ; je ne vous demande qu’un mot pour me tirer d’inquiétude. Le vieux malade, plus malade que jamais, vous renouvelle, monsieur, tous les sentiments qui l’attachent à vous.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Le Cri du sang innocent. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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