SATIRE - La tactique

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SATIRE - La tactique

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LA TACTIQUE.

 

 

(1)

 

 

 

 

- 1773 -

 

 

 

 

_________

 

 

 

 

 

J’étais lundi passé chez mon libraire Caille,

Qui, dans son magasin, n’a souvent rien qui vaille (2).

« J’ai, dit-il, par bonheur, un ouvrage nouveau,

Nécessaire aux humains, et sage autant que beau.

C’est à l’étudier qu’il faut que l’on s’applique ;

Il fait seul nos destins : prenez : c’est la Tactique.

- La Tactique ! lui dis-je, hélas ! jusqu’à présent

J’ignorais la valeur de ce mot si savant.

- Ce nom, répondit-il, venu de Grèce en France,

Veut dire le grand art, ou l’art par excellence (3) ;

Des plus nobles esprits il remplit tous les vœux. »

 

J’achetai sa Tactique, et je me crus heureux.

J’espérais trouver l’art de prolonger ma vie,

D’adoucir les chagrins dont elle est poursuivie,

De cultiver mes goûts, d’être sans passion,

D’asservir mes désirs au joug de la raison,

D’être juste envers tous, sans jamais être dupe.

Je m’enferme chez moi, je lis ; je ne m’occupe

Que d’apprendre par cœur un livre si divin.

Mes amis ! c’était l’art d’égorger son prochain.

 

J’apprends qu’en Germanie autrefois un bon prêtre (4)

Pétrit, pour s’amuser, du soufre et du salprêtre ;

Qu’un énorme boulet, qu’on lance avec fracas,

Doit mirer un peu haut pour arriver plus bas ;

Que d’un tube de bronze aussitôt la mort vole

Dans la direction qui fait la parabole (5),

Et renverse, en deux coups prudemment ménagés,

Cent automates bleus, à la fille rangés.

Mousquet, poignard, épée, ou tranchante ou pointue,

Tout est bon, tout va bien, tout sert, pourvu qu’on tue.

 

L’auteur, bientôt après, peint des voleurs de nuit

Qui, dans un chemin creux sans tambour et sans bruit,

Discrètement chargé de sabres et d’échelles,

Assassinent d’abord cinq ou six sentinelles,

Puis, montant lestement aux murs de la cité

Où les pauvres bourgeois dormaient en sûreté,

Portent dans leurs logis le fer avec les flammes,

Poignardent les maris, couchent avec les dames,

Ecrasent les enfants, et, las de tant d’efforts,

Boivent le vin d’autrui sur des monceaux de morts.

Le lendemain matin, on les mène à l’église

Rendre grâce au bon Dieu de leur noble entreprise,

Lui chanter en latin qu’il est leur digne appui,

Que dans la ville en feu l’on n’eût rien fait sans lui,

Qu’on ne peut ni voler, ni violer son monde,

Ni massacrer les gens, si Dieu ne nous seconde.

 

Etrangement surpris de cet art si vanté,

Je cours chez monsieur Caille, encore épouvanté ;

Je lui rends son volume, et lui dis, en colère :

« Allez, de Belzébuth détestable libraire !

Portez votre Tactique au chevalier de Tot ;

Il fait marcher les Turcs au nom de Sabaoth.

C’est lui qui, de canons couvant les Dardanelles,

A tuer les chrétiens instruit les infidèles (6).

Allez, adressez-vous à monsieur Romanzof,

Aux vainqueurs tout sanglants de Bender et d’Azof ;

A Frédéric surtout offrez ce bel ouvrage,

Et soyez convaincu qu’il en sait davantage.

Lucifer l’inspira bien mieux que votre auteur (7) ;

Il est maître passé dans cet art plein d’horreur,

Plus adroit meurtrier que Gustave et qu’Eugène (8).

Allez ; je ne crois pas que la nature humaine

Sortit (je ne sais quand) des mains du Créateur,

Pour insulter ainsi l’éternel bienfaiteur,

Pour montrer tant de rage et tant d’extravagance.

L’homme, avec ses dix doigts, sans armes, sans défense,

N’a point été formé pour abréger des jours

Que la nécessité rendait déjà si courts.

La goutte avec sa craie, et la glaire endurcie

Qui se forme en cailloux au fond de la vessie,

La fièvre, le catarrhe, et cent maux plus affreux,

Cent charlatans fourrés (9), encore plus dangereux,

Auraient suffi sans doute au malheur de la terre,

Sans que l’homme inventât de grand art de la guerre.

 

Je hais tous les héros, depuis le grand Cyrus

Jusqu’à ce roi brillant qui forma Lentulus (10) :

On a beau me vanter leur conduite admirable,

Je m’enfuis loin d’eux tous, et je les donne au diable. »

 

En m’expliquant ainsi, je vis que dans un coin

Un jeune curieux m’observait avec soin,

Son habit d’ordonnance avait deux épaulettes,

De son grade à la guerre éclatants interprètes ;

Ses regards assurés, mais tranquilles et doux,

Annonçaient ses talents sans marquer de courroux ;

De la Tactique, enfin, c’était l’auteur lui-même.

 

« Je conçois, me dit-il la répugnance extrême,

Qu’un vieillard philosophe, ami du monde entier,

Dans son cœur attendri se sent pour mon métier :

Il n’est pas fort humain, mais il est nécessaire.

L’homme est né bien méchant : Caïn tua son frère ;

Et nos frères les Huns, les Francs, les Visigoths,

Des bords du Tanaïs accourant à grands flots,

N’auraient point désolé les rives de la Seine,

Si nous avions mieux su la tactique romaine.

Guerrier, né d’un guerrier, je professe aujourd’hui

L’art de garder son bien, non de voler autrui.

Eh quoi ! vous vous plaignez qu’on cherche à vous défendre ?

Seriez-vous bien content qu’un Goth vînt mettre en cendre

Vos arbres, vos moissons, vos granges, vos châteaux ?

Il vous faut de bons chiens pour garder vos troupeaux.

Il est, n’en doutez point, des guerres légitimes,

Et tous les grands exploits ne sont pas de grands crimes.

Vous-même, à ce qu’on dit, vous chantiez autrefois

Les généreux travaux de ce cher Béarnois ;

Il soutenait le droit de sa naissance auguste :

La Ligue était coupable, Henri quatre était juste.

Mais sans vous retracer les faits de ce grand roi,

Ne vous souvient-il plus du jour de Fontenoy,

Quand la colonne anglaise, avec ordre animée,

Marchait à pas comptés à travers notre armée !

Trop fortuné badaud !... dans les murs de Paris

Vous faisiez en riant, la guerre aux beaux esprits ;

De la douce Gaussin le centième idolâtre,

Vous alliez la lorgner sur les bancs du théâtre,

Et vous jugiez en paix les talents des acteurs.

Hélas ! qu’auriez vous fait, vous, et tous les auteurs,

Qu’aurait fait tout Paris, si Louis, en personne,

N’eût passé, le matin, sur le pont de Calonne,

Et si tous vos césars à quatre sous par jour

N’eussent bravé l’Anglais, qui partit sans retour ?

Vous savez quel mortel (11), amoureux de la gloire,

Avec quatre canons ramena la victoire.

Ce fut au prix du sang du généreux Grammont,

Et du sage Lutteaux, et du jeune Craon,

Que de vos beaux esprits les bruyantes cohues

Composaient les chansons qui couraient dans les rues,

Ou qu’ils venaient gaiement, avec un ris malin,

Siffler Sémiramis, Mérope, et l’Orphelin.

Ainsi que le dieu Mars, Apollon prend les armes ;

L’Eglise, le barreau, la cour, ont leur alarmes.

Au fond d’un galetas, Clément et Savatier (12)

Font la guerre au bon sens sur des tas de papier.

Souffrez donc qu’un soldat prenne au moins la défense

D’un art qui fit longtemps la grandeur de la France,

Et qui des citoyens assure le repos. »

 

Monsieur Guilbert se tut après ce long propos ;

Moi, je me tus aussi, n’ayant rien à redire.

De la droite raison je sentis tout l’empire ;

Je conçus que la guerre est le premier des arts,

Et que le peintre heureux des Bourbons, des Bayards (13),

En dictant leurs leçons, était digne peut-être

De commander déjà dans l’art dont il est maître.

 

Mais je vous l’avouerai, je formai des souhaits

Pour que ce beau métier ne s’exerçât jamais,

Et qu’enfin l’équité fit régner sur la terre

L’impraticable paix de l’abbé de Saint-Pierre (14).

 

 

 

 

 

 

1 – C’est à la suite d’une visite du comte de Guilbert à Ferney que fut composée cette satire. Guilbert avait publié, au commencement de 1773, un Essai de tactique générale. (G.A.)

 

2 – Caille était un libraire de Genève qui, à propos de ce « rien qui vaille, » annonça au public qu’il n’avait dans son magasin que les ouvrages de M. de Voltaire. (G.A.)

 

3 – Tactique vient originairement du verbe tasso, j’arrange. Tactique est proprement l’art d’aller par rangs ; c’est l’arrangement des troupes. C’est ce qui fit que Pyrrhus, en voyant le camp des Romains, ne les trouva pas si barbares. (1775.)

 

4 – On ne sait encore qui employa le premier les canons dans les batailles et dans les sièges. Une invention qui a changé entièrement l’art de la guerre, dans toute la terre connue, méritait plus de recherches ; mais presque toutes les origines sont ignorées. Qui le premier inventa un bateau ? qui imagina de plier une branche de frêne, de l’assujettir avec une corde faite d’un intestin d’animal, et d’y ajuster une verge garnie d’un os ou d’un fer pointu à un bout, et de quatre plumes à l’autre bout ? qui inventa la navette, les fours et les moulins ? De cette prodigieuse multitude d’arts qui secourent notre vie ou qui la détruisent, il n’y en a pas un dont l’inventeur soit connu. C’est que personne n’inventa l’art entier. Les architectes ne sont venus que des milliers de siècles après les cavernes et les huttes.

 

Les Chinois connaissaient la poudre inflammable, et la faisaient servir à leurs divertissements ingénieux, à leurs fêtes, deux mille ans avant que les jésuites Shall et Verbiest fondissent du canon pour les conquérants tartares, vers l’an 1630 ; Ce furent donc deux religieux allemands qui enseignèrent l’usage de l’artillerie dans cette vaste partie du monde, comme ce fut, dit-on, un autre Allemand, nommé Schwartz, ou moine noir, qui trouva le secret de la poudre inflammable au quatorzième siècle, sans qu’on ait jamais su l’année de cette invention.

 

On a prétendu que Roger Bacon, moine anglais, antérieur d’environ cent années au monde allemand, était le véritable inventeur de la poudre. Nous avons rapporté ailleurs les paroles de ce Roger qui se trouvent dans son Opus majus, page 454, grande édition d’Oxford….. « Nous avons une preuve des explosions subites dans ce jeu d’enfants qu’on fait par tout le monde. On enfonce du salpêtre dans une balle de la grosseur d’un pouce, et on la fait crever avec un bruit si violent qu’elle surpasse le rugissement du tonnerre, et il en sort une plus grande exhalaison de feu que celle de la foudre. »

 

Il y a bien loin sans doute de cette petite boule de simple salpêtre à notre artillerie ; mais elle a pu mettre sur la voie.

 

Il paraît qu’il est très faux que les Anglais eussent employé le canon dans leur victoire de Crécy en 1346, et dans celle de Poitiers dix ans après. Les Actes de la Tour de Londres, recueillis par Rymer, en diraient quelque chose.

 

Plusieurs de nos historiens ont assuré qu’il existe encore, dans la ville d’Amberg du haut Palatinat, un canon fondu en 1301, et que cette date est encore gravée sur la culasse.

 

Et voilà justement comme on écrit l’histoire !

 

On écrivait et on imprimait à Paris cette erreur avec tant d’assurance, que je fis écrire à M. le comte de Holstein de Bavière, gouverneur du pays d’Amberg. Il donna un certificat authentique qu’un fondeur de canons, nommé Martin, assez fameux pour son temps, était mort en 1501. On mit un petit canon sur son tombeau, avec la date 1501. Il eut la bonté d’envoyer une copie figurée de l’inscription. Il est étonnant qu’on ait pris 1501 pour 1301 ; mais les historiens aiment l’antique et le merveilleux.

 

Je n’ai guère plus de foi à la bombarde de Froissart, qui avait plus de « cinquante pieds de long, et qui menait si grande noise au décliquer, qu’il semblait que tous les diables d’enfer fussent en chemin. » C’était apparemment une espèce de baliste.

 

Je doute beaucoup encore du registre de Du Drach, trésorier des guerres en 1338 : « A Henri Faumechon, pour avoir poudre et autres choses nécessaires aux canons, devant Puisguillaume. » Du Cange rapporte ce trait, mais il se borne à le rapporter. Il n’examine point s’il y avait alors des trésoriers des guerres Il ne s’informe pas si on assiégea un Puisguillaume ou un Puisguiliem dans le Périgord. Il ne paraît pas qu’on ait fait le moindre exploit de guerre en Périgord en l’an 1338. Si l’on entend le petit hameau de Puisguillaume en Bourbonnais, on ne voit pas qu’il eût un château. Il faut donc douter, et c’est presque toujours le seul parti à prendre.

 

Ce qui paraît certain, c’est que trois moines ont contribué à détruire les hommes et les villes par l’artillerie ; et en ajoutant à ces trois moines les jésuites Shall et Berbiest, cela fera cinq. (1775.)

 

5 – Lorsqu’on tire un boulet, ou qu’on lance une flèche horizontalement, elle tend à décrire une ligne droite ; mais la gravitation la fait descendre continuellement dans une autre ligne droite vers le centre de la terre ; et de ces deux directions se compose la ligne courbe nommée parabole, à la lettre, allant au-delà. Si un canonnier s’occupait de toutes les propriétés de cette ligne courbe, il n’aurait jamais le temps de mettre le feu à son canon. (1775.)

 

6 – Ce Français, au service de la Turquie, avait établi, en 1771, une fonderie de canons à Constantinople. (G.A.)

 

7 – Il s’est élevé sur ces vers une grande dispute. Les uns ont pris ces vers pour un reproche, les autres pour une louange. Il est clair qu’on ne peut faire un plus grand éloge d’un guerrier qu’en le mettant au-dessus du prince Eugène et du grand Gustave. On a dit que vouloir condamner cette comparaison, c’était vouloir faire une querelle d’Allemand. (1775.)

 

8 – Voyez la Correspondance avec Frédéric, fin de 1773 et commencement de 1774. Le roi de Prusse fut vivement blessé de ces vers. (G.A.)

 

9 – Les parlementaires. (G.A.)

 

10 – Le roi de Prusse a formé lui-même tous ses généraux. (1775.)

 

11 – Richelieu. Voyez le chapitre XV du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

12 – Voyez les notes sur le Dialogue de Pégase et du Vieillard. (1775).

 

13 – M. Guilbert a fait une tragédie du Connétable de Bourbon, dans laquelle le chevalier Bayard dit des choses admirables. (1775.)

 

14 – L’idée d’une paix perpétuelle entre tous les hommes est plus chimérique sans doute que le projet d’une langue universelle. Il est trop vrai que la guerre est un fléau contradictoire avec la nature humaine et avec presque toutes les religions, et cependant un fléau aussi ancien que cette nature humaine, et antérieur à toute religion. Il est aussi difficile d’empêcher les hommes de se faire la guerre que d’empêcher les loups de manger des moutons.

 

La guerre a quelque chose de si exécrable, que plus nos nations barbares qui sont venues envahir, ensanglanter, ravager toute notre Europe, se sont un peu policées plus elles ont adouci les horreurs que la guerre entraînait après elles.

 

Ce n’est point assurément l’ouvrage immense de Grotius, le droit prétendu de la guerre et de la paix, qui a rendu les hommes moins féroces ; ce ne sont point ses citations de Carnéade, de Quintilien, de Porphire, d’Aristote, de Javénal, et du Pentateuque ; ce n’est point parce qu’après le déluge il fut défendu de manger des animaux avec leur âme et leur sang, comme le rapporte Barbeirac son commentateur; ce n’est point, en un mot, par tous les arguments profondément frivoles de Grotius et de Puffendorf ; c’est uniquement parce qu’on ne voit plus parmi nous des hordes sauvages et affamées sortir de leur pays pour en détruire un autre. Nos peuples ne font plus la guerre. Des rois, des évêques, des électeurs, des sénateurs, des bourgmestres, ont un certain terrain à défendre. Des hommes qui sont leurs troupeaux paissent dans ce terrain. Les maîtres ont pour eux la laine, le lait, la peau, et les cornes, avec quoi ils entretiennent des chiens armés d’un collier pour garder le pré, et pour prendre celui du voisin dans l’occasion. Ces chiens se battent ; mais les moutons, les bœufs, les ânes, ne se battent pas : ils attendent patiemment la décision, qui leur apprendra à quel maître leur laine, leurs cornes, leur peau appartiendront.

 

Quand le prince Eugène assiégeait Lille, les dames de la ville allèrent à la comédie pendant tout le siège  et dès que la capitulation fut faite, le peuple paya tranquillement à l’empereur ce qu’il payait auparavant au roi de France. Point de pillage, point de massacre, point d’esclavage, comme du temps des Huns, des Alains, des Visigoths, des Francs.

 

Le duc de Marlborough faisait garder très soigneusement tous les domaines de ce Fénelon, archevêque de Cambrai, citoyen de toute l’Europe par son amour du genre humain, amour plus dangereux peut-être à sa cour que son amour de Dieu.

 

Quand les Français eurent remporté la célèbre victoire de Fontenoy, tous les habitants de Tournay et des environs s’empressèrent de loger chez eux les prisonniers blessés ; tous eurent soin d’eux comme de leurs frères, et les femmes prodiguèrent tant de délicatesses sur leurs tables, que les médecins et les chirurgiens furent obligés de modérer cet excès de zèle, devenu dangereux.

 

A Rosbach, on vit le roi de Prusse lui-même acheter tout le linge d’un château voisin pour le service de nos blessés ; et quand il les eut fait guérir, il les renvoya sur leur parole, en disant : « Je ne puis m’accoutumer à verser le sang des Français. »

 

Quelle humanité, quelle belle âme le prince héréditaire de Brunswick ne déploya-t-il pas, lorsqu’il reçut prisonnier à Crevelt ce comte de Gisors, ce fils du maréchal de Belle-Isle, cet espoir du royaume, ce jeune homme si valeureux, si instruit, si aimable ! Le prince de Brunswick ne sortit point d’auprès de son lit et le baigna de larmes, en le voyant expirer entre ses bras. Il pleurait celui des Français auquel il ressemblait davantage.

 

Portons nos regards chez cette nation nouvelle qui naît tout d’un coup pour être l’émue des plus policées, et l’exemple des autres. Voyons un comte Alexis Orlof prendre un vaisseau turc chargé des femmes, des esclaves, des meubles, de l’or, de l’argent, des bijoux du plus riche bacha de la Turquie, et lui renvoyer tout à Constantinople. Ce même bacha, quelque temps après, commande un corps d’armée contre les Russes ; il s’avance hors des rangs avec un interprète et demande à parler « Avez-vous, dit-il, à votre tête un comte Orlof ? – Non ; que lui voudriez-vous ? –Me jeter à ses pieds, » répliqua le Turc.

 

Pouvons-nous rien ajouter à ces traits, sinon l’accueil, les attentions nobles et délicates, les fêtes, les présents, les bienfaits que reçurent les prisonniers turcs dans Saint-Pétersbourg, d’une impératrice qui leur enseignait la guerre, la politesse et la générosité ?

 

Nous ne voyons point de telles leçons dans Grotius. Il vous dit bien, dans son chapitre du Droit de ravager, que les Juifs étaient obligés de ravager au nom du Seigneur ; mais il ne trouve chez le peuple saint aucun trait qui ressemble aux exemples profanes que nous venons de rapporter.

 

Voilà donc le diclame que l’humanité des grands cœurs répand sur les maux que fait la guerre  mais ces consolations divines nous démontrent que la guerre est infernale. (1775.)

 

 

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