CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 24

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 24

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à M. Marin.

 

19 Novembre 1773 (1).

 

 

          J’ai retrouvé les cornes du Taureau ; mais je n’ai pu retrouver encore sa queue. Je suis dans mon lit depuis près de quinze jours, mon cher ami ; je n’ai pu mettre aucun ordre dans le tas énorme de mes paperasses.

 

          Ne manquez pas, je vous en conjure, de m’instruire de votre épisode dans la comédie de madame Goezmann.

 

          Voulez-vous bien avoir la bonté de faire passer ces deux petits paquets à leur adresse ? Votre, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Moline.

 

Ferney, 22 Novembre 1773.

 

 

          Agréez, monsieur, les remerciements que je vous dois de votre lettre obligeante, et de la notice des services rendus à la France par M. le maréchal duc de Richelieu, notice dont vous ornez la Galerie française (1). Il est vrai qu’on m’avait proposé de travailler à cet article ; mais je ne m’en serais jamais acquitté si bien que vous. D’ailleurs les justes éloges que vous lui donnez, monsieur, seront mieux reçus de votre part que de la mienne : j’aurais pu paraître suspect à quelques personnes par un attachement de près de soixante ans à M. le maréchal de Richelieu.

 

          Mon portrait, que vous me faites l’honneur de m’envoyer, m’est un témoignage de votre bonté. Moins je mérite une place dans la Galerie française, plus je vous dois de reconnaissance. C’est avec ces sentiments bien véritables que j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Cette publication était faite par livraisons. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis Albergati Capacelli.

 

A Ferney, 22 Novembre 1773 (1).

 

 

          Le malade octogénaire de Ferney est bien flatté et bien consolé de recevoir, avant de quitter ce monde, une petite marque du souvenir de M. le marquis Albergati. Il serait encore plus aise (s’il pouvait lire) de lire sa comédie que la tragédie d’un autre.

 

          Il est vrai que le malade n’écrit à personne. Qu’aurait-il à mander ? Qu’il achève sa vie dans un désert au milieu des neiges, et qu’il va bientôt en sortir.

 

          Il mourra avec le regret de n’avoir pu embrasser M. le marquis Albergati.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Marin.

 

A Ferney, 26 Novembre 1773 (1).

 

 

          Vraiment, non seulement il était huguenot, mais il était prédicant, le traître (2) ! Et il avait été reçu en cette qualité en 1745. C’était un plaisant apôtre. Je ne crois pas qu’il y ait rien dans le monde de plus bas, de plus lâche, de plus insolent, de plus fripon que cette canaille de la littérature ; vous devez vous en apercevoir, mon cher ami.

 

          Votre affaire va-t-elle son train ? Je ne la puis encore regarder comme une affaire sérieuse. Il est impossible qu’elle vous fasse le moindre tort. On débite que M. de Goezmann va être premier président en Corse. Je vous ai prié de m’en dire des nouvelles. Vous savez que je vous ai promis de ne croire que ce que vous me diriez.

 

          Linguet est-il toujours exilé ?

 

          Voulez-vous bien avoir la bonté d’épargner un port de lettre à notre ami La Harpe, et … une pour M. d’Argental ?

 

P.S. – On dit que ce pauvre Baculard (3) a fait une grande perte par trop de confiance. La même chose m’est arrivée. Nous autres gens de lettres, nous sommes assez sujets à ces petits inconvénients. Conservez toujours un peu d’amitié au vieux malade.

 

 

1 – La Beaumelle. (G.A.)

2 – Qui avait aussi son rôle dans l’affaire Goezmann. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

… Novembre 1773 (1).

 

 

          Mon cher ange, mon écrivain n’y est pas ; je n’ai ni papier ni plumes, je suis aveugle et sourd ; j’écris comme je peux. La neige couvre Ferney ; elle est dans mon corps. Je suis mort.

 

          Voici (2) à peu près ce que veulent des dames qui font les sucrées, et qui toutes auraient épousé Massinisse. J’écrirai à Lekain, quand je pourrai. Dites un De profundis pour Syphax et pour moi.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Corrections pour Sophonisbe. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Milly.

 

A Ferney, 25 Novembre 1773.

 

 

          Un vieux malade octogénaire reçoit la lettre dont M. le comte de Milly l’honore. Je me souviens en effet, monsieur, d’avoir fait autrefois la plaisanterie de l’Homme aux quarante écus (1). Il ne serait pas étonnant que cette idée fût tombée aussi dans la tête de quelque autre. On dit un jour à un nommé Autreau : Voilà monsieur qui se dit l’auteur de votre pièce. – Pourquoi ne l’aurait-il pas faite ? répondit-il : je l’ai bien faite, moi.

 

          Si la personne dont vous me parlez, monsieur, a aussi ses quarante écus, cela fait quatre-vingts avec les miens. Il n’y a pas là de quoi aller au bout de l’année ; mais aussi il faut avoir un métier, et c’est à quoi ne pensent pas assez ceux qui n’ont point de fortune, et qui ont beaucoup de vanité.

 

          C’est tout ce que je puis vous dire sur cette petite affaire dont vous me parlez. J’ai l’honneur d’être, etc. LE VIEUX MALADE DE FERNEY, votre confrère à l’Académie de Lyon.

 

 

1 – Publiée en 1768. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Ossun.

 

Au château de Ferney, 28 Novembre 1773 (1).

 

 

          Monsieur, votre excellence me permettra de profiter de l’occasion qui se présente pour vous renouveler les sentiments de reconnaissance que je dois depuis longtemps à vos bontés.

 

          Un jeune horloger français, correspondant de la colonie établie à Ferney, aura l’honneur de vous présenter cette lettre. J’ose vous demander votre protection pour lui. Il a autant de probité que d’intelligence, et je suis persuadé qu’il sera digne de vos bontés. J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, etc.

 

 

1 – Editeurs, E. Bavoux et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Condorcet.

 

5 Décembre 1773.

 

 

          C’est bien vous qui êtes mon maître, monsieur le marquis, et qui l’auriez été de Bernard de Fontenelle. C’est vous qui êtes un vrai philosophe, et un philosophe éloquent. On m’a parlé d’un éloge de M. Fontaine (1), qui est un chef-d’œuvre. Vous ne sauriez croire quel plaisir vous me feriez de me le faire parvenir.

 

          Je ne connais guère que vous et M. d’Alembert qui sachiez présenter les objets dans leur jour, et écrire toujours d’un style convenable au sujet. J’ai cherché dans mes paperasses la mauvaise plaisanterie sur les comètes (2), je ne l’ai point trouvée. On dit qu’il y en a deux, l’une de moi, l’autre que je ne connais pas  mais, dans l’état où je suis, souffrant continuellement, et près de quitter ce petit globe, je dois prendre peu d’intérêt à ceux qui roulent comme nous dans l’espace, et avec qui probablement je ne serai jamais en liaison.

 

          Il est vrai que, dans les intervalles que mes maladies me laissent quelquefois, je m’amuse à la poésie, que j’aime toujours, quand ce ne serait que pour donner un os à ronger à Clément et à Sabatier ; mais j’aime mieux votre prose que tous les vers du monde. Ce que j’aime autant que votre prose, c’est votre personne. Jamais les belles-lettres et la philosophie n’ont été si honorées que par vous.

 

          Agréez, monsieur, le très tendre respect du vieux malade de Ferney.

 

 

1 – Fontaines de Bertins, géomètre, mort en 1771. C’est Condorcet qui est l’auteur de l’Eloge. (G.A.)

2 – Lettre sur la prétendue comète. Voyez aux ARTICLES DE JOURNAUX. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

5 Décembre 1773 (1).

 

 

          Je suis bien affligé, mon cher ange, de la mort de M. de Chauvelin (2) ; voilà encore un ancien ami que vous perdez. Je n’espérais pas le revoir ; car vous voyez bien que je dois mourir au pied des Alpes ; mais vous savez combien je devais lui être attaché. Qui osera désormais parler à certains soupers (3), comme vous m’apprîtes qu’il avait parlé ? ce ne sera pas le maître des jeux (4), dont la conduite ne paraît pas compréhensible, et que je comprends pourtant très bien et trop bien.

 

          Vous avez dû recevoir le petit emplâtre que j’ai mis à la précipitation avec laquelle Sophonisbe convole en secondes noces. Vous me direz peut-être que cet emplâtre est un mauvais palliatif, mais je ne sais qu’y faire : il y a des maladies qu’on ne peut guérir. Quant à Teucer (5) ; le temps est passé où son aventure pouvait exciter la curiosité des Welches. Cependant, si cette pièce était bien jouée, elle pourrait faire quelque plaisir ; et, puisqu’on l’a répétée le carême passé, on pourrait bien la jouer le carême qui vient : c’est mon droit après tout. Les comédiens sont-ils assez ingrats et assez puissants pour m’ôter mon droit ?

 

          Vous m’avez parlé, il y a trois semaines, d’une lettre que vous m’aviez écrite, et qu’un homme, connu de madame de Saint-Julien, devait me rendre ; je n’ai vu ni la lettre ni l’homme. Vous m’y nommiez, dites-vous, l’auteur de cette maudite édition (6), qui m’a fait tant de tort. Nommez-le-moi donc, je vous prie, et je vous promets le secret ; je vous promets même de ne point me fâcher ; je n’en ai plus la force. Si je me fâchais, ce serait contre la nature, qui vous enlève vos amis, et qui m’avertit tous les jours de les aller trouver. Je lui pardonne, si elle conserve la santé à madame d’Argental ; pour la vôtre, j’en suis sûr heureusement, et c’est mon unique consolation dans mes misères de plus d’une espèce (7).

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Frappé d’apoplexie, en jouant au piquet avec Louis XV, dans les petits appartements, chez madame du Barry. (A. François.)

3 – Ceux du roi. (G.A.)

4 – Richelieu. (G.A.)

5 – Les Lois de Minos. (G.A.)

6 – L’édition Valade. (G.A.)

7 – Cette dernière phrase est de la main de Voltaire. (A. François.)

 

 

 

 

 

à M. Colini.

 

A Ferney, 8 Décembre 1773.

 

 

          Je vous adresse, mon cher ami, la lettre que je dois à celui (1) qui m’a fait l’honneur de traduire la Henriade en italien. J’écris bien rarement ; mais quand j’écris mes dernières volontés, je pense à vous.

 

 

1 – Marenzi. Nous doutons que ce billet porte sa véritable date. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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