THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 9

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 9

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

LES LOIS DE MINOS.

 

 

 

 

______

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

 

TEUCER, DICTIME, UN HÉRAUT.

 

 

 

 

 

 

TEUCER.

 

Que sont-ils devenus ?

 

LE HÉRAUT.

 

Leur fureur inouïe

D’un trépas mérité sera bientôt suivie :

Tout le peuple à grands cris presse leur châtiment ;

Le sénat indigné s’assemble en ce moment.

Ils périront tous deux dans la demeure sainte

Dont ils ont profané la redoutable enceinte.

 

TEUCER.

 

Ainsi l’on va conduire Astérie au trépas.

 

LE HÉRAUT.

 

Rien ne peut la sauver.

TEUCER.

 

Je lui tendais les bras ;

Ma pitié me trompait sur cette infortunée :

Ils ont fait, malgré moi, leur noire destinée.

L’arrêt est-il porté ?

 

LE HÉRAUT.

 

Seigneur, on doit d’abord

Livrer sur nos autels Astérie à la mort ;

Bientôt tout sera prêt pour ce grand sacrifice ;

On réserve Datame aux horreurs du supplice :

On ne veut point sans vous juger son attentat ;

Et la seule Astérie occupe le sénat.

 

TEUCER.

 

C’est Datame, en effet, c’est lui seul qui l’immole ;

Mes efforts étaient vains, et ma bonté frivole.

Revolons aux combats, c’est mon premier devoir,

C’est là qu’est ma grandeur, c’est là qu’est mon pouvoir :

Mon autorité faible est ici désarmée :

J’ai ma voix au sénat, mais je règne à l’armée.

 

LE HÉRAUT.

 

Le père d’Astérie, accablé par les ans,

Les yeux baignés de pleurs, arrive à pas pesants,

Se soutenant à peine et d’une voix tremblante

Dit qu’il apporte ici pour sa fille innocente

Une juste rançon dont il peut se flatter

Que votre cœur humain pourra se contenter.

 

TEUCER.

 

Quelle simplicité dans ces mortels agrestes !

Ce vieillard a choisi des moments bien funestes ;

De quel trompeur espoir son cœur s’est-il flatté ?

Je ne le verrai point : il n’est plus de traité.

 

LE HÉRAUT.

 

Il a, si je l’en crois, des présents à vous faire

Qui vous étonneront.

 

TEUCER.

 

Trop infortuné père !

Je ne puis rien pour lui. Dérobez à ses yeux

Du sang qu’on va verser le spectacle odieux.

 

LE HÉRAUT.

 

Il insiste : il nous dit qu’au bout de sa carrière

Ses yeux se fermeraient sans peine à la lumière,

S’il pouvait à vos pieds se jeter un moment.

Il demanderait Datame avec empressement.

 

TEUCER.

 

Malheureux !

 

LE HÉRAUT.

 

Accordons, seigneur, à sa vieillesse

Ce vain soulagement qu’exige sa faiblesse.

 

TEUCER.

 

Ah ! quand mes yeux ont vu, dans l’horreur des combats,

Mon épouse et ma fille expirer dans mes bras,

Les consolations, dans ce moment terrible,

Ne descendirent point dans mon âme sensible ;

Je n’en avais cherché que dans mes vains projets

D’éclairer les humains, d’adoucir mes sujets,

Et de civiliser l’agreste Cydonie :

Du ciel qui conduit tout la sagesse infinie

Réserve, je le vois, pour de plus heureux temps

Le jour trop différé de ces grands changements.

Le monde avec lenteur marche vers la sagesse.

Et la nuit des erreurs est encor sur la Grèce.

Que je vous porte envie, ô rois trop fortunés,

Vous qui faites le bien dès que vous l’ordonnez !

Rien ne peut captiver votre main bienfaisante,

Vous n’avez qu’à parler, et la terre est contente.

 

 

 

 

 

 

ACTE QUATRIÈME.

 

 

 

 

______

 

 

 

SCÈNE I.

 

 

 

LE VIEILLARD AZÉMON, accompagné D’UN ESCLAVE

qui lui donne la main.

 

 

 

 

 

AZÉMON.

 

Quoi ! nul ne vient à moi dans ces lieux solitaires !

Je ne retrouve point mes compagnons, mes frères !

Ces portiques fameux, où j’ai cru que les rois

Se montraient en tout temps à leurs heureux Crétois,

Et daignaient rassurer l’étranger en armes ;

Un silence profond règne sur ces remparts :

Je laisse errer en vain mes avides regards ;

Datame, qui devait dans cette cour sanglante

Précéder d’un vieillard la marche faible et lente,

Datame devant moi ne s’est point présenté ;

On n’offre aucun asile à ma caducité.

Il n’en est pas ainsi dans notre Cydonie ;

Mais l’hospitalité loin des cours est bannie.

O mes concitoyens, simples et généreux,

Dont le cœur est sensible autant que valeureux,

Que pourrez-vous penser quand vous saurez l’outrage

Dont la fierté crétoise a pu flétrir mon âge !

Ah ! si le roi savait ce qui m’amène ici,

Qu’il se repentirait de me traiter ainsi !

Une route pénible et la triste vieillesse

De mes sens fatigués accablent la faiblesse (1).

 

 

(Il s’assied.)

 

 

Goûtons sous ces cyprès un moment de repos :

Le ciel bien rarement l’accorde à nos travaux.

 

 

 

1 – C’est Azémon-Voltaire qui accourt à Versailles pour obtenir la grâce de d’Etallonde-Morival. (G.A.)

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

 

 

AZÉMON, sur le devant ; TEUCER dans le fond,

Précédé du HÉRAUT.

 

 

 

 

 

 

AZÉMON, au héraut.

 

Irai-je donc mourir aux lieux qui m’ont vu naître,

Sans avoir dans la Crète entretenu ton maître ?

 

LE HÉRAUT.

 

Etranger malheureux, je t’annonce mon roi ;

Il vient avec bonté : parle, rassure-toi.

 

AZÉMON.

 

Va, puisqu’à ma prière il daigne condescendre,

Qu’il rende grâce aux dieux de me voir, de m’entendre.

 

TEUCER.

 

Eh bien ! que prétends-tu, vieillard infortuné ?

Quel démon destructeur, à ta perte obstiné,

Te force à déserter ton pays, ta famille,

Pour être ici témoin du malheur de ta fille ?

 

AZÉMON, s’étant levé.

 

Si ton cœur est humain, si tu veux m’écouter,

Si le bonheur public a de quoi te flatter,

Elle n’est point à plaindre, et, grâce à mon zèle,

Un heureux avenir se déploiera pour elle !

Je viens la racheter.

 

TEUCER.

 

Apprends que désormais

Il n’est plus de rançon, plus d’espoir, plus de paix,

Quitte ce lieu terrible ; une âme paternelle

Ne doit point habiter cette terre cruelle.

.

 

AZÉMON.

 

Va, crains que je ne parte.

 

TEUCER.

 

Ainsi donc de son sort

Tu seras le témoin ! tes yeux verront sa mort !

 

AZÉMON.

 

Elle ne mourra point. Datame a pu t’instruire

Du dessein qui m’amène et qui dut le conduire.

 

TEUCER.

 

Datame de ta fille a causé le trépas.

Loin de l’affreux bûcher précipite tes pas ;

Retourne, malheureux, retourne en ta patrie,

Achève en gémissant les restes de ta vie.

La mienne est plus cruelle ; et, tout roi que je suis,

Les dieux m’ont éprouvé par de plus grands ennuis ;

Ton peuple a massacré ma fille avec sa mère ;

Tu ressens comme moi la douleur d’être père.

Va, quiconque a vécu dut apprendre à souffrir ;

On voit mourir les siens avant que de mourir.

Pour toi, pour ton pays, Astérie est perdue ;

Sa mort par mes bontés fut en vain suspendue ;

La guerre recommence, et rien ne peut tarir

Les nouveaux flots de sang déjà prêts à courir.

 

AZÉMON.

 

Je pleurerais sur toi plus que sur ma patrie,

Si tu laissais trancher les beaux jours d’Astérie.

Elle vivra, crois-moi ; j’ai des gages certains

Qui toucheraient les cœurs de tous ses assassins.

 

TEUCER.

 

Ah ! père infortuné ! quelle erreur te transporte !

 

AZÉMON.

 

Quand tu contempleras la rançon que j’apporte,

Sois sûr que ces trésors à tes yeux présentés

Ne mériteront pas d’en être rebutés ;

Ceux qu’Achille reçut du souverain de Troie

N’égalaient pas les dons que mon pays t’envoie.

 

TEUCER.

 

Cesse de t’abuser ; remporte tes présents.

Puissent les dieux plus doux consoler tes vieux ans !

Mon père, à tes foyers j’aurai soin qu’on te guide.

 

 

 

 

 

 

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