THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 7

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THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 7

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LES LOIS DE MINOS.

 

 

 

 

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SCÈNE IV.

 

 

 

TEUCER, DICTIME, MÉRIONE.

 

 

 

 

 

 

MÉRIONE. (1)

 

Seigneur, sans passion pourrez-vous bien m’entendre ?

 

TEUCER.

 

Parlez.

 

MÉRIONE.

 

Les factions ne me gouvernent pas.

Et vous savez assez que dans nos grands débats,

Je ne me suis montré le fauteur ni l’esclave

Des sanglants préjugés d’un peuple qui vous brave.

Je voudrais, comme vous, terminer l’erreur

Qui séduit sa faiblesse, et nourrit sa fureur.

Vous pensez arrêter d’une main courageuse

Un torrent débordé dans sa course orageuse ;

Il vous entraînera, je vous en averti.

Pharès a pour sa cause un violent parti,

Et d’autant plus puissant contre le diadème,

Qu’il croit servir le ciel et vous venger vous-même.

« Quoi ! dit-il, dans nos champs la fille de Teucer,

A son père arrachée, expira sous le fer ;

Et, du sang le plus vil indignement avare,

Teucer dénaturé respecte une barbare !...

Lui seul est inhumain ; seul à la cruauté

Dans son cœur insensible il joint l’impiété ;

Il veut parler en roi, quand Jupiter ordonne ;

L’encensoir du pontife offense sa couronne :

Il outrage à la fois la nature et le ciel,

Et contre tout l’empire il se rend criminel… »

Il dit ; et vous jugez si ces accents terribles

Retentiront longtemps sur ces âmes flexibles,

Dont il peut exciter ou calmer les transports

Et dont son bras puissant gouverne les ressorts.

 

TEUCER.

 

Je vois qu’il vous gouverne, et qu’il sut vous séduire.

M’apportez-vous son ordre, et pensez-vous m’instruire ?

 

MÉRIONE.

 

Je vous donne un conseil.

 

TEUCER.

 

Je n’en ai pas besoin.

 

MÉRIONE.

 

Il vous serait utile.

 

TEUCER.

 

Epargnez-vous ce soin !

Je sais prendre, sans vous, conseil de ma justice.

 

MÉRIONE.

 

Elle peut sous vos pas creuser un précipice :

Tout noble, dans notre île, a le droit respecté

De s’opposer d’un mot à toute nouveauté (2).

 

TEUCER.

 

Quel droit !

 

MÉRIONE.

 

Notre pouvoir balance ainsi le vôtre ;

Chacun de nos égaux est un frein l’un à l’autre.

 

TEUCER.

 

Oui, je le sais ; tout noble est tyran tour à tour.

 

MÉRIONE.

 

De notre liberté condamnez-vous l’amour ?

 

TEUCER.

 

Elle a toujours produit le public esclavage.

 

MÉRIONE.

 

Nul de nous ne peut rien, s’il lui manque un suffrage.

 

TEUCER.

 

La discorde éternelle est la loi des Crétois.

 

MÉRIONE.

 

Seigneur, vous l’approuviez quand de vous on fit choix.

 

TEUCER.

 

Je la blâmais dès lors ; enfin je la déteste :

Soyez sûr qu’à l’Etat elle sera funeste.

 

MÉRIONE.

 

Au moins, jusqu’à ce jour, elle en fut le soutien :

Mais vous parlez en prince.

 

TEUCER.

 

En homme, en citoyen ;

Et j’agis en guerrier, quand mon honneur l’exige :

A ce dernier parti gardez qu’on ne m’oblige.

 

MÉRIONE.

 

Vous pourriez hasarder, dans ces dissensions,

De véritables droits pour des prétentions…

Consultez mieux l’esprit de notre république.

 

TEUCER.

 

Elle a trop consulté la licence anarchique.

 

MÉRIONE.

 

Seigneur, entre elle et vous marchant d’un pas égal,

Autrefois votre ami, jamais votre rival,

Je vous parle en son nom.

 

TEUCER.

 

Je réponds, Mérione,

Au nom de la nature, et pour l’honneur du trône.

 

MÉRIONE.

 

Nos lois…

 

TEUCER.

 

Laissez vos lois, elles me font horreur ;

Vous devriez rougir d’être leur protecteur.

 

MÉRIONE.

 

Proposez une loi plus humaine et plus sainte ;

Mais ne l’imposez pas : seigneur, point de contrainte ;

Vous révoltez les cœurs, il faut persuader.

La prudence et le temps pourront tout accorder.

 

TEUCER.

 

Que le prudent me quitte, et le brave me suive.

Il est temps que je règne, et non pas que je vive.

 

MÉRIONE.

 

Régnez ; mais redoutez les peuples et les grands.

 

TEUCER.

 

Ils me redouteront. Sachez que je prétends

Etre impunément juste, et vous apprendre à l’être.

Si vous ne m’imitez, respectez votre maître…

Et nous, allons, Dictime, assembler nos amis,

S’il en reste à des rois insultés et trahis.

 

 

 

1 – On voulut voir dans Mérione le Suédois d’Hessenstein ; Voltaire protesta en déclarant que Mérione n’était qu’un petit fanatique, et qu’il n’avait pas la noblesse d’âme du comte suédois. (G.A.)

 

2 – C’est le liberum veto des Polonais, droit cher et fatal qui a causé beaucoup plus de malheurs qu’il n’en a prévenu. C’était le droit des tribuns de Rome, c’était le bouclier du peuple entre les mains de ses magistrats ; mais quand cette arme est dans les mains de quiconque entre dans une assemblée, elle peut devenir une arme offensive trop dangereuse, et faire périr toute une république Comment a-t-on pu convenir qu’il suffirait d’un ivrogne pour arrêter les délibérations de cinq ou six mille sages, supposé qu’un pareil nombre de sages puisse exister ! Le feu roi de Pologne, Stanislas Leczinski, dans son loisir en Lorraine, écrivit souvent contre ce liberum veto, et contre cette anarchie dont il prévit les suites. Voici les paroles mémorables qu’on trouve dans son livre intitulé la Voix du citoyen, imprimé en 1749 : « Notre tour viendra sans doute, où nous serons la proie de quelque fameux conquérant ; peut-être même les puissances voisines s’accorderont-elles à partager nos Etats. » (page 19). La prédiction vient de s’accomplir : le démembrement de la Pologne est le châtiment de l’anarchie affreuse dans laquelle un roi sage, humain, éclairé, pacifique, a été assassiné dans sa capitale, et n’a échappé à la mort que par un prodige. Il lui reste un royaume plus grand que la France, et qui pourra devenir un jour florissant, si on peut y détruire l’anarchie, comme elle vient d’être détruite dans la Suède, et si la liberté peut y subsister avec la royauté. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

 

 

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SCÈNE I.

 

 

 

DATAME, CYDONIENS.

 

 

 

 

 

 

 

DATAME.

 

Pensent-ils m’éblouir par la pompe royale,

Par ce faste imposant que la richesse étale ?

Croit-on nous amollir ? Ces palais orgueilleux

Ont de leur appareil effarouché mes yeux ;

Ce fameux labyrinthe, où la Grèce raconte

Que Minos autrefois ensevelit sa honte,

N’est qu’un repaire obscur, un spectacle d’horreur ;

Ce temple, où Jupiter avec tant de splendeur

Est descendu, dit-on, du haut de l’empyrée,

N’est qu’un lieu de carnage à sa première entrée ;

Et les fronts des béliers égorgés et sanglants

Sont de ces murs sacrés les honteux ornements :

Ces nuages d’encens, qu’on prodigue à toute heure

N’ont point purifié son infecte demeure.

Que tous ces monuments, si vantés, si chéris,

Quand on les voit de près, inspirent de mépris !

 

UN CYDONIEN.

 

Cher Datame, est-il vrai qu’en ces pourpris funestes,

On n’offre que du sang aux puissances célestes ?

Est-il vrai que ces Grecs, en tous lieux renommés,

Ont immolé des Grecs aux dieux qu’ils ont formés ?

La nature à ce point serait-elle égarée ?

 

 

DATAME.

 

A des flots d’imposteurs on dit qu’elle est livrée,

Qu’elle n’est plus la même, et qu’elle a corrompu

Ce doux présent des dieux, l’instinct de la vertu :

C’est en nous qu’il réside, il soutient nos courages :

Nous n’avons point de temple en nos déserts sauvages ;

Mais nous servons le ciel, et ne l’outrageons pas

Par des vœux criminels et des assassinats.

Puissions-nous fuir bientôt cette terre cruelle,

Délivrer Astérie, et partir avec elle !

 

LE CYDONIEN.

 

Rendons tous les captifs entre nos mains tombés,

Par notre pitié seule au glaive dérobés,

Esclave pour esclave, et quittons la contrée

Où notre pauvreté, qui dut être honorée.

N’est, aux yeux des Crétois, qu’un objet de dédain ;

Ils descendaient vers nous par un accueil hautain.

Leurs bontés m’indignaient. Regagnons nos asiles,

Fuyons leurs dieux, leurs mœurs, et leurs bruyantes villes.

Ils sont cruels et vains, polis et sans pitié

La nature entre nous mit trop d’inimitié.

 

DATAME.

 

Ah ! surtout de leurs mains reprenons Astérie.

Pourriez-vous reparaître aux yeux de la patrie

Sans lui rendre aujourd’hui son plus bel ornement ?

Son père est attendu de moment en moment :

En vain je la demande aux peuples de la Crète ;

Aucun n’a satisfait ma douleur inquiète,

Aucun n’a mis le calme en mon cœur éperdu ;

Par des pleurs qu’il cachait un seul m’a répondu.

Que veulent, cher ami, ce silence et ces larmes ?

Je voulais à Teucer apporter mes alarmes ;

Mais on m’a fait sentir que, grâces à leurs lois.

Des hommes tels que nous n’approchent point des rois :

Nous sommes leurs égaux dans les champs de Bellone :

Qui peut donc avoir mis entre nous et leur trône

Cet immense intervalle, et ravir aux mortels

Leur dignité première et leurs droits naturels ?

Il ne fallait qu’un mot, la paix était jurée ;

Je voyais Astérie à son époux livrée ;

On payait sa rançon, non du brillant amas

Des métaux précieux que je ne connais pas,

Mais des moissons, des fruits, des trésors véritables,

Qu’arrachent à nos champs nos mains infatigables :

Nous rendons nos captifs ; Astérie avec nous

Revolait à Cydon dans les bras d’un époux.

Faut-il partir sans elle, et venir la reprendre

Dans des ruisseaux de sang, et des monceaux de cendre ?

 

 

 

 

 

 

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