CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 7

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1773 - Partie 7

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à M. le comte de Rochefort.

 

A Ferney, Mars 1773.

 

 

          Mon cher Christin m’a montré, monsieur, la lettre que vous lui avez écrite ; vous lui avez fait une belle peur, et à moi encore davantage. Je ne serais pas étonné qu’en effet il y eût de ces incidents singuliers dans les mauvaises pièces qu’on joue aujourd’hui sur votre théâtre. Vous dites à Christin que vous m’avez écrit sous l’enveloppe de M. Marin ; je n’ai point reçu cette lettre. Il faut que quelque malin enchanteur ait escamoté ce que vous m’écriviez : cela redouble encore mes inquiétudes. Je suis un peu comme Atticus, attaché à César et à Pompée, et par conséquent fort embarrassé. Je trouve la comparaison d’Atticus fort bonne, car cet Atticus était malingre comme moi ; mais, ne pouvant plus supporter la vie, il se tua, et je ne me tue point ; je suis seulement confondu de ce que César, qui vous croit probablement ami de Pompée, vous ait défendu de rire devant lui (1).

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

 

          Je vous envoie un neuvième (2) dont plusieurs endroits vous feront rire quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Pour madame Dixneufans, on dit qu’elle n’a été occupée que de danser chez  madame la dauphine. Tâchez tous deux de venir voir cet été madame votre mère, et de faire chez nous une longue pause.

 

          Embrassez tous deux pour moi mon cher d’Alembert, quand vous le verrez. L’oncle et la nièce vous font les plus tendres compliments.

 

 

1 – Dans les éditions précédentes, la lettre entière à Rochefort du 3 mars se trouve cousue à cet alinéa. (G.A.)

2 – Neuvième tome des Questions. Ces deux derniers alinéas ont dû faire partie d’une autre lettre. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental.

 

6 Avril 1773.

 

 

          Il s’en faut bien, mon cher ange, que je sois guéri. Les apparences sont que j’irai bientôt trouver votre ami M. de Croismare (1), qui était mon cadet.

 

          Permettez-moi de vous citer un vers de ces pauvres Lois de Minos :

 

On voit périr les siens avant que de mourir.

 

Act. IV, sc. II.

 

Mais, à mesure qu’on est privé de ses anciens amis, on s’attache plus à ceux qui nous restent, et c’est ce que j’attends de votre cœur sensible : c’est moi qui ai plus que jamais besoin de consolation. La petite cabale qui me persécute fait débiter dans Paris deux volumes (2) d’horreurs affreuses qu’elle m’attribue, et qu’on a imprimées à la suite du Dépositaire et des Pélopides, afin de faire passer la calomnie à la faveur de la vérité. On a inséré dans ce recueil infâme le Catéchumène, qui est, comme on le sait, d’un académicien de Lyon.

 

          Outre ces infamies scandaleuses et punissables, on a inséré dans ce recueil je ne sais quel écrit fait contre les anciens parlements, et jusqu’à des pièces relatives à l’attentat commis contre le roi de Pologne, imprimées à Varsovie, et dans lesquelles il y a beaucoup de termes que je n’entends point.

 

          Enfin il est bien démontré aux yeux de tout homme impartial et de tout esprit raisonnable que non seulement je n’ai pas plus de part à cette édition qu’à celle de Valade, mais qu’elle a été faite uniquement dans l’intention de me perdre, et de plonger dans le désespoir les derniers moments de ma vie. Voilà tout ce que les belles-lettres m’ont produit. Une statue ne console pas, lorsque tant d’ennemis conspirent à la couvrir de fange. Cette statue n’a servi qu’à irriter la canaille de la littérature. Cette canaille aboie, elle excite les dévots ; ces dévots cabalent ; et les honnêtes gens sont très indifférents.

 

          Je ne sais comment faire pour vous faire parvenir un autre recueil plus honnête à la suite des Lois de Minos. Je crains pour les recueils. On me dira : Si vous avez fait celui-ci, vous pouvez bien avoir fait l’autre, dont vous vous plaignez. Heureux qui vit et qui meurt inconnu ! qui bene latuit, bene vixit : je n’ai pas eu ce bonheur.

 

          Je n’ai point de nouvelles de M. le maréchal de Richelieu. Je lui ai pourtant dédié cette véritable édition des Lois de Minos. Elle réussit beaucoup chez l’étranger. Je ne suis toléré dans ma patrie qu’à la longue ; mais, entre les Alpes et le mont Jura, a-t-on une patrie ? un ami tel que vous en tient lieu.

 

          Adieu. Non seulement je vous souhaite une vieillesse plus heureuse que la mienne, mais je suis sûr que vous l’aurez ; j’en dis autant à madame d’Argental.

 

 

1 – Gouverneur de l’Ecole militaire, mort le 22 mars. (G.A.)

2 – Les onzième et douzième parties des Nouveaux Mélanges. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Thibouville.

 

A Ferney, 6 Avril 1773.

 

 

          Oh ! pour ces vers-là, je les trouve fort bons ; mais je ne les mérite guère. Ma maladie m’a laissé des suites affreuses :

 

La Renommée est vanité ;

Courir après elle est folie :

Qu’importe l’immortalité,

Quand on souffre pendant sa vie ?

 

          Portez-vous bien ; tout le reste est bien peu de chose. Continuez-moi vos bontés ; elles font ma consolation.

 

          Madame Denis vous fait mille compliments par ce pauvre malade ; cela lui est plus aisé que d’écrire.

 

          Pour moi, je n’ai pas le courage de vous parler de spectacles ni de plaisirs ; je ne puis vous parler que de mon attachement, de ma reconnaissance, et de la patience avec laquelle il faut que je supporte toutes les douleurs du corps, et de ce qu’on appelle âme.

 

 

 

 

 

à M. Laus de Boissy.

 

A Ferney, .6 Avril 1773

 

 

          Une très longue maladie, monsieur, m’a mis jusqu’à présent hors d’état de vous remercier et de vous témoigner toute mon estime, ainsi que ma reconnaissance. Je ne saurais me plaindre d’un ennemi tel que l’abbé Sabatier, puisqu’il m’a valu un défenseur tel que vous (1).

 

          Je sais qu’on a payé cet abbé pour me nuire ; mais vous, monsieur, vous n’avez écouté que la noblesse de votre âme, et vous faites autant d’honneur aux belles-lettres que tous ces écrivains mercenaires et calomniateurs y jettent de honte et d’opprobre.

 

          Je cherche à vous faire parvenir mon petit hommage (2) par M. Bacon, substitut de M. le procureur général. J’espère qu’il vous sera rendu, malgré la difficulté de la correspondance du pays où j’achève mes jours, avec votre belle et dangereuse ville de Paris.

 

          J’ai l’honneur d’être avec les sentiments sincères que je vous dois, et j’ose dire même avec amitié, etc.

 

 

1 – Boissy venait de publier : Addition à l’ouvrage intitulé les Trois Siècles de notre littérature, ou Lettre critique adressée à M. l’abbé Sabatier de Castres, soi-disant auteur de ce dictionnaire. (G.A.)

2 – Les Lois de Minos. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Sartines.

 

A Ferney, 6 Avril 1773 (1).

 

 

          Monsieur, je ne puis trop vous remercier de vos bontés ni trop respecter vos sages ménagements pour la personne qui a pu vendre ce manuscrit au libraire Valade. Cette affaire n’est qu’une bagatelle, et mon seul but était de vous convaincre que je n’avais point fait débiter ce petit ouvrage dans le pays étranger, comme Valade m’en accusait, pour se justifier. Puisque vous avez bien voulu approfondir la vérité, cela me suffit, et je suis trop content.

 

          Il y a plus de quarante ans que je suis accoutumé non seulement à voir falsifier mes ouvrages, mais à me voir imputer des choses que je n’ai jamais faites ni jamais sues. Ma profonde retraite et mon âge de près de quatre-vingts ans n’ont pu me mettre à l’abri de cette vexation ; c’est un inconvénient qu’il faut souffrir, ainsi que tous les autres chagrins auxquels la vie de l’homme est exposée. C’est une grande consolation pour les véritables gens de lettres d’être sous la protection d’un magistrat aussi éclairé et aussi prudent qu’équitable. Personne n’est plus sensible que moi à ce bonheur dont on jouit à Paris, et dont je ressens les effets jusque dans le pays étranger. J’ai l’honneur d’être, avec bien du respect et de la reconnaissance, monsieur, votre, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Tabareau.

 

A Ferney, 9 Avril 1773 (1).

 

 

          L’oncle et la nièce sont également pénétrés, monsieur, de vos bontés ; mais je crains qu’ils ne puissent pas en profiter sitôt. Vous savez probablement quel rendez-vous secret on a donné à l’oncle (2), et le temps de ce rendez-vous est encore un peu incertain. La santé de ce pauvre oncle n’est pas rétablie ; il s’en faut beaucoup.

 

          Il lui faudrait plus d’un jour pour se mettre en état de faire le voyage.

 

          Il y a encore une autre raison qui pourrait empêcher l’oncle et la nièce de hasarder l’aventure d’une loge grillée à une première représentation. Vous savez combien le parterre de Lyon est tumultueux ces jours-là, et tout ce qui peut arriver de désagréable. Il me semble qu’il faudrait au moins attendre la seconde journée, supposé qu’il y en ait une ; enfin il faut que les Lois de Minos et l’auteur aient un peu de santé. Mais ce qui est bien sûr, c’est que si je suis en vie, je ferai tôt ou tard un petit voyage incognito pour venir vous remercier, pour vous embrasser, pour vous dire que vous n’avez point de serviteur plus tendrement attaché que le vieux malade de Ferney et de Prangins.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Par Richelieu, à Lyon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Bordes.

 

A Ferney, 10 Avril 1773.

 

 

          Vraiment, c’est bien vous, monsieur, qui avez plus d’un ton. Il s’en faut bien, à mon gré, que Ver-Vert, avec ses b et ses f, qui voltigeaient sur son bec, soit aussi agréable que Parapilla (1). Quand vous aurez mis la dernière main à cet agréable ouvrage, il sera un des meilleurs que nous ayons dans ce genre, en italien et en français. Nous avons à Genève un homme dont le nom était précisément celui du premier héros du poème : il a changé son nom en celui de Planteamour, comme l’ex-jésuite Fesse, de Lyon, qui m’a volé pendant trois ans de suite, avait changé son nom en celui de P. Fessi.

 

          Je crois que les notes à la suite des Lois de Minos ne vous auront pas déplu, et que vous serez content du Discours de l’avocat Belleguier, pour les prix de l’université. Que dites-vous du recteur, qui ne sait pas le latin, et qui a pris magis pour minus ?

 

          Je suis bien fâché qu’Aufresne ne puisse aller à Lyon ; on dit que c’est un acteur qui a des moments et des éclairs admirables. Il me semble quelquefois que, si on pouvait représenter sur le beau théâtre de Lyon les Lois de Minos avec quelque succès, je pourrais faire un effort, et oublier assez mes maux pour venir vous embrasser. J’ai des raisons essentielles pour avoir un prétexte plausible de ce petit voyage. Que de choses j’aurais à vous dire, et que de choses à entendre !

 

          Aimons-nous, mon cher philosophe, car les ennemis de la raison n’aiment guère ceux qui pensent comme nous.

 

 

 

 

1 – Poème de Bordes. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Harpe.

 

10 Avril 1773.

 

 

          Je viens de retrouver une lettre de Clément (1), qu’il est bon de faire connaître à mon cher successeur. Il n’y a pas six mois d’intervalle entre cette lettre tout à fait cordiale et les pouilles qu’il nous chante à tous deux. Cela prouve que les grands hommes changent d’opinion volontiers, et se rétractent comme saint Augustin.

 

          Le Mercure me paraît le greffe où cette lettre doit être déposée, avec quelques petites réflexions de votre part sur les progrès que font en peu de temps les hommes de génie, et sur la rapidité avec laquelle ils passent du pour ou contre.

 

          Je ne sais quand vous recevrez les Lois de Minos. La contrebande devient difficile. La pièce est suivie de notes fort édifiantes, du Discours de l’avocat Belleguier, et de plusieurs pièces dans ce goût, qui ne passeront jamais à la douane de la pensée.

 

 

1 – Dans cette lettre du 5 décembre 17689, Clément se déclarait l’admirateur de Voltaire et lui demandait sa protection pour obtenir un emploi. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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