THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

THÉÂTRE - Les lois de Minos - Partie 6

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

LES LOIS DE MINOS.

 

 

 

 

______

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

 

 

TEUCER, DICTIME, GARDES.

 

 

 

 

TEUCER.

 

Il faut prendre un parti : ma triste nation

N’écoute que la voix de la sédition ;

Ce sénat orgueilleux contre moi se déclare ;

On affecte ce zèle implacable et barbare

Que toujours les méchants feignent de posséder,

A qui souvent les rois sont contraints de céder :

J’entends de mes rivaux la funeste industrie

Crier de tous côtés : Religion, patrie !

Tout prêts à m’accuser d’avoir trahi l’Etat

Si je m’oppose encore à cet assassinat.

Le nuage grossit, et je vois la tempête

Qui, sans doute, à la fin tombera sur ma tête.

 

DICTIME.

 

J’oserais proposer, dans ces extrémités,

De vous faire un appui des mêmes révoltés,

Des mêmes habitants de l’âpre Cydonie,

Dont nous pourrions guider l’impétueux génie :

Fiers ennemis d’un joug qu’ils ne peuvent subir,

Mais, amis généreux, ils pourraient nous servir.

Il en est un, surtout, dont l’âme noble et fière

Connaît l’humanité dans son audace altière :

Il a pris sur les siens, égaux par la valeur,

Ce secret ascendant que se donne un grand cœur ;

Et peu de nos Crétois ont connu l’avantage

D’atteindre à sa vertu, quoique dure et sauvage.

Si de pareils soldats pouvaient marcher sous vous,

On verrait tous ces grands si puissants, si jaloux

De votre autorité qu’ils osent méconnaître.

Porter le joug paisible, et chérir un bon maître.

Nous voulions asservir des peuples généreux :

Faisons mieux, gagnons-les ; c’est là régner sur eux.

 

TEUCER.

 

Je le sais. Ce projet peut sans doute être utile ;

Mais il ouvre la porte à la guerre civile :

A ce remède affreux faut-il m’abandonner ?

Faut-il perdre l’Etat pour le mieux gouverner ?

Je veux sauver les jours d’une jeune barbare ;

Du sang des citoyens serais-je moins avare ?

Il le faut avouer, je suis bien malheureux !

N’ai-je donc des sujets que pour m’armer contre eux ?

Pilote environné d’un éternel orage,

Ne pourrai-je obtenir qu’un illustre naufrage ?

Ah ! je ne suis pas roi, si je ne fais le bien.

 

DICTIME.

 

Quoi donc ! contre les lois la vertu ne peut rien !

Le préjugé fait tout ! Pharès impitoyable

Maintiendra malgré vous cette loi détestable !

Il domine au sénat ! on ne veut désormais

Ni d’offres de rançon, ni d’accord, ni de paix !

 

TEUCER.

 

Quel que soit son pouvoir, et l’orgueil qui l’anime,

Va, le cruel du moins n’aura point sa victime ;

Va, dans ces mêmes lieux, profanés si longtemps,

J’arracherai leur proie à ces monstres sanglants.

 

DICTIME.

 

Puissiez-vous accomplir cette sainte entreprise !

 

TEUCER.

 

Il faut bien qu’à la fin le ciel la favorise ;

Et lorsque les Crétois, un jour plus éclairés,

Auront enfin détruit ces attentats sacrés

(Car il faut les détruire, et j’en aurai la gloire),

Mon nom, respecté d’eux, vivra dans la mémoire.

 

DICTIME.

 

La gloire vient trop tard, et c’est un triste sort.

Qui n’est de ses bienfaits payé qu’après la mort,

Obtînt-il des autels, est encor trop à plaindre.

 

TEUCER.

 

Je connais, cher ami, tout ce que je dois craindre ;

Mais il faut bien me rendre à l’ascendant vainqueur

Qui parle en sa défense, et domine en mon cœur.

Gardes, qu’en ma présence à l’instant on conduise

Cette Cydonienne, entre nos mains remise.

 

 

(Les gardes sortent.)

 

 

Je prétends lui parler avant que, dans ce jour,

On ose l’arracher du fond de cette tour.

Et la rendre au cruel armé pour son supplice,

Qui presse au nom des dieux ce sanglant sacrifice.

Demeure. La voici : sa jeunesse, ses traits,

Toucheraient tous les cœurs, hors celui de Pharès.

 

 

 

 

 

______

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

 

 

TEUCER, DICTIME, ASTÉRIE, GARDES.

 

 

 

 

 

 

ASTÉRIE.

 

Que prétend-on de moi ? quelle rigueur nouvelle,

Après votre promesse, à la mort me rappelle ?

Allume-t-on les feux qui m’étaient destinés ?

O roi ! vous m’avez plainte et vous m’abandonnez !

 

TEUCER.

 

Non ; je veille sur vous, et le ciel me seconde.

 

ASTÉRIE.

 

Pourquoi me tirez-vous de ma prison profonde ?

 

TEUCER.

 

Pour vous rendre au climat qui vous donna le jour ;

Vous reverrez en paix votre premier séjour :

Malheureuse étrangère et respectable fille,

Que la guerre arracha du sein de sa famille,

Souvenez-vous de moi loin de ces lieux cruels.

Soyez prête à partir…. Oubliez nos autels….

Une escorte fidèle aura soin de vous suivre.

Vivez …. Qui mieux que vous a mérité de vivre !

 

ASTÉRIE.

 

Ah, seigneur ! ah, mon roi ! je tombe à vos genoux ;

Tout mon cœur qui m’échappe a volé devant vous ;

Image des vrais dieux, qu’ici l’on déshonore,

Recevez mon encens : en vous je les adore.

Vous seul, vous m’arrachez aux monstres infernaux

Qui me parlant en dieux, n’étaient que des bourreaux.

Malgré ma juste horreur de servir sous un maître,

Esclave auprès de vous, je me plairais à l’être.

 

TEUCER.

 

Plus je l’entends parler, plus je suis attendri…

Est-il vrai qu’Azémon, ce père si chéri,

Qui, près de son tombeau, vous regrette et vous pleure,

Pour venir vous reprendre a quitté sa demeure ?

 

ASTÉRIE.

 

On le dit. J’ignorais, au fond de ma prison,

Ce qui s’est pu passer dans ma triste maison.

 

TEUCER.

 

Savez-vous que Datame, envoyé par un père,

Venait nous proposer un traité salutaire,

Et que des jours de paix pouvaient être accordés ?

 

ASTÉRIE.

 

Datame ! lui, seigneur ! que vous me confondez !

Il serait dans les mains du sénat de la Crète ?

Parmi mes assassins ?

 

TEUCER.

 

Dans votre âme inquiète

J’ai porté, je le vois, de trop sensibles coups ;

Ne craignez rien pour lui. Serait-il votre époux ?

Vous serait-il promis ? est-ce un parent, un frère ?

Parlez ; son amitié m’en deviendra plus chère.

Plus on vous opprima, plus je veux vous servir.

 

ASTÉRIE.

 

De quelle ombre de joie, hélas ! puis-je jouir ?

Qui vous porte à me tendre une main protectrice ?

Quels dieux en ma faveur ont parlé ?

 

TEUCER.

 

La justice.

 

ASTÉRIE.

 

Les flambeaux de l’hymen n’ont point brillé pour moi,

Seigneur ; Datame m’aime, et Datame a ma foi ;

Nos serments sont communs, et ce nœud vénérable

Est plus sacré pour nous, et plus inviolable

Que tout cet appareil formé dans vos Etats

Pour asservir des cœurs qui ne se donnent pas.

Le mien n’est plus à moi. Le généreux Datame

Allait me rendre heureuse en m’obtenant pour femme,

Quand vos lâches soldats, qui, dans les champs de Mars,

N’oseraient sur Datame arrêter leurs regards.

Ont ravi loin de lui des enfants sans défense,

Et devant vos autels ont traîné l’innocence :

Ce sont là les lauriers dont ils se sont couverts.

Un prêtre veut mon sang, et j’étais dans ses fers.

 

TEUCER.

 

Ses fers !... ils sont brisés, n’en soyez point en doute,

C’est pour lui qu’ils sont faits ; et si le ciel m’écoute,

Il peut tomber un jour au pied de cet autel

Où sa main veut sur vous porter le coup mortel.

Je vous rendrai l’époux dont vous êtes privée,

Et pour qui du trépas les dieux vous ont sauvée ;

Il vous suivra bientôt : rentrez ; que cette tour,

De la captivité jusqu’ici le séjour,

Soit un rempart du moins contre la barbarie.

On vient. Ce sera peu d’assurer votre vie ;

J’abolirai nos lois, ou j’y perdrai le jour.

 

ASTÉRIE.

 

Ah ! que vous méritez, seigneur, une autre cour,

Des sujets plus humains, un culte moins barbare !

 

TEUCER.

 

Allez : avec regret de vous je me sépare ;

Mais de tant d’attentats, de tant de cruauté

Je dois venger mes dieux, vous, et l’humanité.

 

ASTÉRIE.

 

Je vous crois, et de vous je ne puis moins attendre.

 

 

 

 

 

 

Publié dans Théâtre

Commenter cet article