CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 14

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1772 - Partie 14

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à M. Thieriot.

 

Ferney, 22 Juin 1772.

 

 

          Mon cher et ancien ami, j’apprends que vous avez été malade d’un asthme assez violent ; mais en même temps je suis consolé en apprenant que vous vous portez mieux. Je vous regarde comme un jeune homme, en comparaison de moi, et je sais que la jeunesse a bien des ressources.

 

          J’apprends aussi que vous voulez faire imprimer le Dépositaire ; mais vous n’en avez qu’une détestable copie, et vous ne savez pas qu’il a déjà été imprimé deux fois dans le pays étranger. Je vous envoie une édition dont vous ferez tout ce qu’il vous plaira, ou plutôt tout ce que vous pourrez : cela pourra vous amuser. Nous devons nous borner, vous et moi, aux seuls amusements ; c’est notre principale et unique affaire dans cette courte vie. Je crois que vous êtes toujours le nouvelliste de la Prusse. On me mande d’étranges choses de ce pays-là.

 

          Vous demandez les Cabales (1) ; on dit qu’on en a fait une détestable édition, et que cette badinerie est entièrement défigurée. Je vous en enverrai une copie correcte. Je vous embrasse de tout mon cœur. Ayez soin de votre santé.

 

 

1 – Voyez aux SATIRES. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Lekain.

 

22 Juin 1772.

 

 

          Mon cher ami, le vieux malade de Ferney et madame Denis seront charmés de vous revoir, et les Génevois le seront de vous entendre. Il est bien triste que ce ne soit que dans trois mois. Nous compterons tous les moments jusqu’à votre apparition ; soyez sûr que quand vous viendrez, vous vous trouverez entre les applaudissements et l’amitié. Je vous embrasse, mon cher ami, de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Schowalow (1)

 

Ferney, par Genève, le 27 Juin 1772.

 

 

          Monsieur, je ne pouvais jamais recevoir une lettre plus agréable ni mieux présentée que celle dont M. le prince Galitzin m’a honoré de la part de votre excellence ; il m’a fait l’honneur de coucher dans mon petit ermitage. L’avantage de voir un de vos neveux m’a fait presque oublier ma vieillesse et tous les maux qui l’accablent. Il ne me manquait que de faire la cour à M. son oncle pour être entièrement consolé. Je trouve M. le prince Galitzin bien bon de quitter Rome pour Genève. Il quitte le sein des beaux-arts pour des écoles un peu sèches. Mais son esprit embellira toutes les sciences auxquelles il voudra s’appliquer. Il a fait la conquête de toutes les dames qui étaient chez moi. Je n’ai jamais senti une plus douce consolation que quand il m’a dit que vous pouviez passer par nos frontières de la Suisse. Il y a bien longtemps que vous êtes absent d’une patrie qui se couvre tous les jours de gloire. Je suis trop heureux de me trouver sur votre route et de vous renouveler le sincère respect et l’attachement inviolable avec lequel j’ai l’honneur d’être, pour le peu de temps que j’ai encore à vivre.

 

 

1 – Cette lettre est adressée à Jean Schowalow. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de La Harpe.

 

Juillet 1772.

 

 

          Vous n’êtes pas, monsieur, le seul à qui l’on ait attribué les vers d’autrui. Il y a eu, de tout temps, des pères putatifs d’enfants qu’ils n’avaient pas faits.

 

          M. d’Hannetaire (1), homme de lettres et de mérite, retiré depuis longtemps à Bruxelles, se plaint à moi, par sa lettre du 6 juin, qu’on ait imprimé sous mon nom (2) une épître en vers qu’il revendique. Elle commence ainsi :

 

En vain en quittant ton séjour,

Cher ami, j’abjurai la rime ;

La même ardeur encor m’anime,

Et semble augmenter chaque jour.

 

          Il est juste que je lui rende son bien, dont il doit être jaloux. Je ne puis choisir de dépôt plus convenable que celui du Mercure, pour y consigner ma déclaration authentique que je n’ai nulle part à cette pièce ingénieuse, qu’on m’a fait trop d’honneur, et que je n’ai jamais vu ni cet ouvrage, ni M. de M… auquel il est adressé, ni le recueil où il est imprimé. Je ne veux point être plagiaire, comme on le dit dans l’Année littéraire. C’est ainsi que je restituai fidèlement, dans les journaux, des vers d’un tendre amant pour une belle actrice de Marseille (3). Je protestai, avec candeur, que je n’avais jamais eu les faveurs de cette héroïne. Voilà comme à la longue la vérité triomphe de tout. Il y a cinquante ans que les libraires ceignent tous les jours ma tête de lauriers qui ne m’appartiennent point. Je les restitue à leurs propriétaires dès que j’en suis informé.

 

          Il est vrai que ces grands honneurs, que les libraires et les curieux nous font quelquefois à vous et à moi, ont leurs petits inconvénients. Il n’y a pas longtemps qu’un homme qui prend le titre d’avocat et qui divertit le barreau, eut la bonté de faire mon testament et de l’imprimer. Plusieurs personnes, dans nos provinces, et dans les pays étrangers, crurent en effet que cette belle pièce était de moi ; mais comme je me suis toujours déclaré contre les testaments attribués aux cardinaux de Richelieu, de Mazarin, et d’Albéroni, contre ceux qui ont couru sous les noms des ministres d’Etat Louvois et Colbert, et du maréchal de Belle-Isle, il est bien juste que je m’élève aussi contre le mien, quoique je sois fort loin d’être ministre. Je restitue donc à M. Marchand, avocat en parlement, mes dernières volontés, qui ne sont qu’à lui ; et je le supplie au moins de vouloir bien regarder cette déclaration comme mon codicille.

 

          En attendant que je le fasse mon exécuteur testamentaire, je dois, pendant que je suis encore en vie, certifier que des volumes entiers de lettres imprimées sous mon nom (4), où il n’y a pas le sens commun, ne sont pourtant pas de moi.

 

          Je saisis cette occasion pour apprendre à cinq ou six lecteurs qui ne s’en soucient guère, que l’article MESSIE imprimé dans le grand Dictionnaire encyclopédique, et dans plusieurs autres recueils, n’est pas mon ouvrage, mais celui de M. Polier de Bottens, qui jouit d’une dignité ecclésiastique dans une ville célèbre (5), et dont la piété, la science et l’éloquence sont assez connues. On m’a envoyé depuis peu son manuscrit qui est tout entier de sa main.

 

          Il est bon d’observer que, lorsqu’on croyait cet ouvrage d’un laïque, plusieurs confrères de l’auteur le condamnèrent avec emportement ; mais quand ils surent qu’il était d’un homme de leur robe, ils l’admirèrent. C’est ainsi qu’on juge assez souvent, et on ne se corrigera pas.

 

          Comme les vieillards aiment à couler, et même à répéter, je vous ramentevrai qu’un jour les beaux esprits du royaume (et c’étaient le prince de Vendôme, le chevalier de Bouillon, l’abbé de Chaulieu, l’abbé de Bussy, qui avait plus d’esprit que son père, et plusieurs élèves de Bachaumont, de Chapelle, et de la célèbre Ninon) disaient à souper tout le mal possible de La Motte-Houdar. Les fables de La Motte venaient de paraître : on les traitait avec le plus grand mépris ; on assurait qu’il lui était impossible d’approcher des plus médiocres fables de La Fontaine. Je leur parlai d’une nouvelle édition de ce même La Fontaine, et de plusieurs fables de cet auteur qu’on avait retrouvées. Je leur en récitai une ; ils furent en extase ; ils se récriaient. Jamais La Motte n’aura ce style, disaient-ils ; quelle finesse et quelle grâce ! on reconnaît La Fontaine à chaque mot. La fable était de La Motte (6).

 

          Passe encore lorsqu’on ne se trompe que sur de telles fables ; mais lorsque le préjugé, l’envie, la cabale, imputent à des citoyens des ouvrages dangereux ; lorsque la calomnie vole de bouche en bouche aux oreilles des puissants du siècle ; lorsque la persécution est le fruit de cette calomnie : alors que faut-il faire ? cultiver son jardin comme Candide.

 

 

1 – Servandoni d’Hannetaire, auteur et acteur, né en 1719, mort en 1780. (G.A.)

2 – Dans l’Evangile du jour, tome VIII. (G.A.)

3 – Voyez au 7 décembre 1769. (G.A.)

4 – Les Recueils de Robinet. (G.A.)

5 – Lausanne. (G.A.)

6 – Voltaire oublie ici de conter que les convives du prince de Vendôme s’étant fait répéter la fable, la trouvèrent détestable. Pareil tour fut joué à Voltaire en 1765, à Ferney. La Harpe lui ayant récité la plus belle strophe de l’ode sur la mort de J.-B. Rousseau, sans lui dire qu’elle était de Le Franc de Pompignan, Voltaire la trouva admirable ; mais il continua d’en parler de la même manière, après avoir su de qui elle était et se l’être fait répéter. (Clogenson.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 4 Juillet 1772.

 

 

          Mon héros, je reçois de votre grâce une lettre qui m’enchante. Elle me fait voir qu’au bout de cinquante ans vous avez daigné enfin me prendre sérieusement. Je vois que notre doyen, quand il veut s’en donner la peine, est le véritable protecteur des lettres : mais ce que vous avez la bonté de me dire sur la perte que vous avez faite a pénétré mon cœur. J’avais déjà pris la liberté de vous ouvrir le mien. Je sentais combien vous deviez être affligé, et à quel point il est difficile de réparer de tels malheurs. Je vous plaignais en vous voyant rester presque seul de tout ce qui a contribué aux agréments de votre charmante jeunesse. Tout est passé, et on passe enfin soi-même pour aller trouver le néant, ou quelque chose qui n’a nul rapport avec nous, et qui est par conséquent le néant pour nous.

 

          Je souhaite passionnément que les affaires et les plaisirs vous distraient longtemps.

 

          La bonté avec laquelle vous vous êtes occupé de la Crète (1) a été pour vous un moment de diversion. Vos réflexions sont très justes ; et quoique cet ouvrage ait beaucoup plus de rapport à la Pologne qu’à la France, cependant il est très aisé d’y trouver des allusions à nos anciens parlements et à nos affaires présentes. Il ne faut pas laisser le moindre prétexte à ces allégories désagréables, et c’est à quoi j’ai travaillé, à la réception de la belle lettre dont vous m’avez honoré. Il y a même beaucoup encore à faire dans le dialogue et dans la versification, pour que la pièce soit digne d’être protégée par monseigneur le maréchal de Richelieu.

 

          Notre doyen sait de quelle difficulté il est d’écrire à la fois raisonnablement et avec chaleur, de ne pas dire un mot inutile, de mêler l’harmonie à la force, d’être aussi exact en vers qu’on le serait dans la prose la plus châtiée. On peut remplir ces devoirs dans cinq ou six vers ; mais il n’a été donné qu’à Jean Racine d’en faire des centaines de suite qui approchent de la perfection ; tout le reste est plein de boue, et les fautes fourmillent au milieu des beautés.

 

          Il ne faut pourtant pas se décourager. Il faut qu’à mon âge je tâche de faire voir qu’il y a encore des ressources, et que ceux qui sont nés lorsque Racine et Boileau vivaient encore, lorsque Louis XIV tenait encore sa brillante cour, lorsque madame la dauphine de Bourgogne commençait à donner les plus grandes espérances, lorsque la France donnait le ton à toutes les nations d’Europe, conservent encore quelques étincelles de ce feu qui nous animait.

 

          Je vous demande en grâce de ne pas laisser sortir de vos mains ma pauvre Crète, jusqu’à ce que j’ai épuisé tout mon savoir-faire.

 

          Pour vous parler des prisonniers français (2) qui se sont beaucoup plus signalés que les Crétois, je vous dirai que je me flatte toujours qu’ils seront reçus magnifiquement à Pétersbourg, qu’on y étalera toute la pompe de la puissance, tout l’éclat de la victoire, et toute la galanterie d’une femme de beaucoup d’esprit. On ne peut mieux réparer la petite fredaine dont vous parlez, et vous m’avouerez que cette fredaine dont vous parlez, et vous m’avouerez que cette fredaine a produit les plus grandes choses. Si vous étiez encore au mois d’auguste dans votre royaume, je vous supplierais de vous y faire donner les Crétois bien corrigés. Le vieux malade aura l’honneur de vous en dire davantage une autre fois ; il est à vos pieds avec le plus tendre respect.

 

 

1 – C’est-à-dire des Lois de Minos. (G.A.)

2 – Voyez la lettre à Richelieu du 30 mai. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

à M. l’abbé du Vernet.

 

          A Ferney, Juillet 1772.

 

 

          Il y a, monsieur, trop de miracles et trop de vers dans ce monde ; mais il n’y a jamais trop d’une prose aussi agréable que la vôtre. Le solitaire octogénaire vous prie, monsieur, de lui faire avoir l’Epître de Boileau, dont on lui a tant parlé et qu’il n’a jamais vue. Vous pourriez la lui envoyer sous le contre-seing de M. de Sauvigny, dont vous vous êtes servi quelquefois.

 

          Ce n’est point contre les Questions sur l’Encyclopédie que M. l’évêque de Tréguier (1) devrait être en colère, mais contre ceux qui ont abusé de son nom pour imprimer une Lettre de Jésus-Christ. Je ne doute pas que Jésus-Christ n’ait écrit cette lettre ; mais, dans les règles de l’honnêteté, on ne publie jamais les lettres d’un homme sans sa permission. A l’égard des miracles que vous avez vus à Paris chez un cabaretier, rue des Moineaux, ces messieurs sont dans l’habitude d’en faire tous les jours depuis les noces de Cana, et les convulsionnaires en ont fait pendant vingt ans de suite dans les cabarets et dans les cimetières.

 

 

1 – Voyez dans le Dictionnaire philosophique, l’article SUPERSTITION, sect. II. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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