OPUSCULE - Réponse aux remontrances de la cour des aides
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RÉPONSE AUX REMONTRANCES
DE LA COUR DES AIDES,
PAR UN MEMBRE DES NOUVEAUX CONSEILS SOUVERAINS
- 1769 -
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Les remontrances de la cour des aides (2) sont d’autant plus respectables, que cette cour n’a aucun intérêt à l’affaire qu’elle a traitée ; elles sont d’autant plus éloquentes, que le fond de la question n’a pas plus été entamé par elle que par les parlements, c’est-à-dire point du tout ; et que l’auteur, débarrassé du soin de discuter les faits, s’est livré aux mouvements de son cœur patriotique et de son génie supérieur.
Il s’agit de soulager six provinces très considérables ; il s’agit de délivrer près de quatre millions de citoyens, de la cruelle nécessité d’aller plaider à cent lieues de leurs habitations, devant un tribunal dont ils ne connaissent pas les usages, et qui ne connaît point leurs coutumes (3) ; il s’agit de les sauver de la ruine. La nation soupirait depuis des siècles après cette réforme. Le roi lui accorde enfin un bien si nécessaire. C’est la grâce la plus signalée qu’un monarque ait jamais conférée à son peuple ; c’est l’objet principal qu’on devait discuter (4) ; et on n’en a parlé dans aucune des remontrances. On dit seulement en passant que ceux qui ont accepté des charges dans les conseils souverains nouvellement établis se déshonorent.
Non, je ne suis point déshonoré pour avoir étudié les lois de ma patrie, pour avoir mérité peut-être d’être choisi pour juge par mon roi qui sera le juge de nos arrêts.
Je ne suis ni un lâche, ni un prévaricateur, pour être utile à ma province.
J’espère que la loi seule, et non l’esprit de corps, dictera toujours mes avis ; qu’il ne sortira jamais de notre tribunal aucun arrêt, qu’il ne soit motivé ; que, dans tous les cas où la moindre lueur pourra frapper nos yeux en faveur d’un accusé, l’indulgence l’emportera sur la rigueur ; que, lorsque la loi ne sera pas claire, nous consulterons les organes des lois qui résident auprès du trône dont elles sont émanées.
J’espère que le roi, seul législateur en France, donnera des règles suivant lesquelles nous ne livrerons point aux horreurs de la torture (supplice pire que la mort) des hommes qui sont nos frères, et qui peuvent être innocents.
Je me flatte qu’il nous apprendra à distinguer entre les délits ceux qui, partant d’un cœur atroce et incorrigible, exigent les châtiments les plus sévères, non pas pour la vengeance, mais pour l’utilité publique.
Nous saurons mettre quelque différence entre ce qui est crime chez toutes les nations, et ce qui étant crime dans un pays, est presque vertu dans un autre (5).
La vaine idée d’obtenir plus de considération ne nous inspirera point, hors de nos tribunaux, une morgue qu’on pourrait prendre pour de l’insolence ; nous ne nous ferons point une barbare joie d’être cruels pour nous faire respecter.
Nous n’entendrons point autour de nous, dans les places publiques, ces mots terribles : Voilà celui qui a le premier donné sa voix pour verser le sang innocent ; voilà le barbare qui ameuta ses confrères pour livrer au supplice des parricides mon ami, mon parent, mon fils coupable d’une faute passagère. Les termes de meurtrier, d’assassin, ne retentiront point à nos oreilles.
Enfin, nous prétendrons être toujours justes, en nous souvenant toujours que nous sommes citoyens. Et c’est en jouissant du précieux avantage de rendre gratuitement la justice que nous serons plus justes (6).
Avec de tels sentiments, nous n’essuierons jamais le déshonneur dont on nous menace.
Voilà la question qu’on pouvait traiter, et qui n’a pas été seulement effleurée.
Le roi fait à la nation le plus grand bien qu’aucun monarque lui ait jamais fait, et on détourne les yeux de cette grâce accordée à tant de peuples pour ne s’occuper que d’une querelle particulière.
C’est à l’occasion de cette querelle funeste qu’on veut priver Paris du même avantage que le roi accorde à ses provinces. On fait à ceux qui rempliraient à Paris les places de la première magistrature les mêmes reproches qu’à nous ; on les charge des mêmes outrages.
Nous n’entrons pas ici dans le labyrinthe obscur où se perd l’origine du parlement de Paris ; nous ne rappellerons point les anciens droits de la pairie ; nous ne porterons point un œil trop curieux dans le différend qui a causé enfin la rupture entre le conseil suprême du roi et le tribunal séant dans sa capitale. L’auteur des Remontrances n’en parle pas. Nous suivrons son exemple. Nous nous bornons à respecter le malheur des magistrats exilés ; nous rendons justice à la pureté de leurs intentions (7) ; nous honorons leurs personnes. Nous savons par l’expérience de tous les siècles que les orages se dissipent en peu de temps ; et puisque les grandes tempêtes qui bouleversèrent la France sous Charles VI et du temps de la Ligue et de la Fronde, sont passées sans retour, les petits nuages qui obscurcissent aujourd’hui les plus beaux jours passeront de même. Nous sommes très sûrs que bientôt les exilés reviendront dans le sein de leurs familles, et que tout sera oublié. Que n’oublie-t-on pas dans Paris !
Mais quels que soient les magistrats qui composeront le parlement de Paris, croit-on de bonne foi qu’ils ne soient pas citoyens ? Ils le seront d’autant plus qu’on les accuse de ne pas l’être, avant même qu’ils soient tous nommés.
Quel est le soldat qui, en entrant dans un nouveau régiment, ne se piquera pas d’être brave ? Quel est l’avocat, le gradué qui, étant choisi pour magistrat, ne se fera pas un devoir de soutenir les droits de la nation, les libertés de l’Eglise gallicane (qui sont les libertés de l’Eglise universelle), et les lois anciennes qu’on appelle fondamentales ? Qui d’entre eux ne s’empressera pas de porter au trône les plaintes du peuple, quand le peuple sera opprimé par les exacteurs ? Ces fonctions sont à la fois si essentielles et si nobles, elles sont si naturellement liées à la place qu’on occupe, elles deviennent tout d’un coup si indispensables, que si le Barigel de Rome était nommé conseiller au parlement, il penserait comme de Thou l’historien, et comme l’abbé Pucelle.
Que le parlement de Paris soit composé d’anciens membres ou de nouveaux, il sera toujours le même : il sentira également ses devoirs. Pourquoi donc dire que ceux qui accepteront ces places, signeront leur déshonneur ?
Qu’on m’en donne une (8), je signerai qu’il n’y a de déshonneur qu’à refuser de servir sa patrie. Je ne demanderai certainement pas l’emploi qu’un autre exercerait, et qu’il ne voudrait pas quitter ; c’est là où serait la honte, et personne ne s’y exposera ; mais je prendrai celui qui sera vacant, et je m’en rendrai digne.
Mais, quelque parti que le roi embrasse, je maintiendrai qu’il ne pouvait rien faire de plus juste et de plus utile, que d’administrer la justice aux nombreux habitants des provinces, dans leurs provinces mêmes, sans la leur faire payer.
Nous nous joignons à la cour des aides, à tous les corps du royaume, pour demander le retour des exilés ; mais nous nous joignons à six provinces entières, pour rendre au roi les actions de grâces les plus méritées.
1 – Maupeou fit faire une édition de cette brochure. (G.A.)
2 – Les Remontrances de la cour des aides sont du 18 février 1771. Elles avaient été rédigées par Malesherbes, président de cette cour. (G.A.)
3 – La France a cent quarante-quatre coutumes qui se subdivisent encore. La plupart de ces coutumes ne se trouvent plus chez les libraires, et il y en a qui n’ont jamais été imprimées.
4 – Cette phrase ne se trouve pas dans l’édition Maupeou. (G.A.)
5 – Variante de l’édition Maupeou : « … un autre. Les juges qui ne proportionnant pas les peines aux délits respecteraient trop peu la vie des hommes, ne seraient à nos yeux que des assassins en robe. Nous prétendrons être toujours justes, etc. » (G.A.)
6 – Variante de l’édition Maupeou : « Les lois et la police, voilà nos objets, nos fonctions, et nos bornes. Le gouvernement de l’Etat n’a jamais regardé la magistrature ; nous ne sommes ni princes, ni pairs, ni grands officiers de la couronne, ni généraux d’armée, ni ministres. Nous obéirons aux lois, et nous aurons soin que les peuples leur obéissent. » (G.A.)
7 – Phrase supprimée dans l’édition Maupeou. (G.A.)
8 – Ces mots ne sont pas dans l’édition Maupeou. (G.A.)