CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1770 - Partie 18

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à M. Thieriot.

 

17 Juin 1770.

 

 

          Mon ancien ami, c’est dommage que M. Guy-Duchesne ait imprimé avec tant de fautes de commission et d’omission la vieille Sophonisbe de Mairet, rajeunie par M. Lantin. Vous connaissez ce Lantin, auteur du conte de la Fourmi. Son neveu, qui demeure à Dijon, est bien indigné qu’on attribue à d’autres qu’à lui le rapetassage de cette vieille Sophonisbe. C’est, à ce que je vois, le Rajeunissement inutile (1). On a une étrange rage dans Paris de vouloir toujours nommer au hasard les pères des enfants trouvés : sans cela vous auriez déjà mademoiselle Ninon (2) aux Tuileries (3).

 

          Vous souvenez-vous d’une espèce de Vie de Catherin Fréron, dit Aliboron, que vous m’envoyâtes manuscrite il y a vraiment dix années ? Je ne savais ce qu’elle était devenue : je la trouve imprimée dans un recueil intitulé : les Choses utiles et agréables ; mais on en a fait une autre édition particulière, à laquelle on ajoute la lettre du sieur Royou, beau-frère d’Aliboron, avocat au parlement de Rennes, lequel se plaint que son beau-frère, ayant servi d’espion dans les troubles de Bretagne, l’accusa d’avoir écrit en faveur de M. de La Chalotais, obtint une lettre de cachet contre lui, vint lui-même le saisir avec des archers, le fit enchaîner, et le conduisit en prison en tenant le bout de la chaîne. Fréron mettra apparemment cet évènement dans son Année littéraire.

 

          Portez-vous bien, mon ancien ami, et jouissez de l’hiver de la vie autant que vous le pourrez.

 

 

1 – Titre d’une poésie de Moncrif. (G.A.)

2 – C’est-à-dire le Dépositaire. (G.A.)

3 – La Comédie-Française était alors aux Tuileries. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

A Ferney, dimanche au soir, 17 Juin 1770.

 

 

          Permettez-moi, mon très aimable résident, de ne point envoyer Daloz devant un auditeur qui est Génevois. Nous n’attendons ni ne voulons aucune justice de ces messieurs. Nous pensons que c’est à M. le duc de Choiseul qu’il faut envoyer sa déposition, seulement pour l’amuser, en attendant qu’il rende aux vingt-quatre (1) et aux vingt-cinq (2) tout ce qu’il leur doit.

 

          Pigalle est venu. Vous seriez charmant, si vous vouliez venir quelqu’un de ces jours avec un recueil de vos plus belles estampes : vous raisonneriez peinture et sculpture avec un homme qui est assurément digne de vous entendre. Maman vous fait mille compliments.

 

 

1 – Commissaires génevois pour la médiation. (G.A.)

2 – Membres du petit conseil. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame la marquise du Deffand.

 

A Ferney, 18 Juin 1770.

 

 

          On fait ce qu’on peut, madame, dans nos déserts, pour vous faire passer quelques minutes à Saint-Joseph ; et, malgré la crainte de vous ennuyer, on vous envoie ces deux feuilles détachées. Imposez silence à votre lecteur, sitôt que vous vous sentiez la moindre envie de bâiller.

 

          J’ignore tout ce qui se fait à présent sur la terre. Je ne sais pas même si Lacédémone appartient à Catherine II ou à Moustapha  je ne sais où est votre grand’maman, et c’est ce qui m’intéresse davantage. Si elle est dans son palais de Chanteloup, occupée de sa florissante colonie, je la déclare philosophe. J’entends surtout, par ce mot, philosophe-pratique  car ce n’est pas assez de penser avec justesse, de s’exprimer avec agrément, de fouler aux pieds les préjugés de tant de pauvres femmes, et même de tant de sots hommes, de connaître bien le monde, et par conséquent de le mépriser ; mais se retirer de la foule pour faire du bien, encourager les arts nécessaires, être supérieur à son rang par ses actions comme par son esprit, n’est-ce pas là la véritable philosophie ?

 

          Je vous plains toutes deux de ne pouvoir pas aller ensemble dans le paradis terrestre de Chanteloup. Il faut toujours, madame, que je vous remercie de toutes les bontés dont elle m’a comblé, car sans vous elle m’aurait peut-être ignoré. Elle protège, du haut de sa colonie de Carthage, la colonie de mon hameau ; elle me fait goûter chaque jour le plaisir de la reconnaissance. Je me flatte qu’elle était dans son royaume dans le temps que les badauds de Paris se tuaient au milieu des fêtes, assez près de son hôtel ; elle aurait été trop sensiblement frappée de ce désastre. Est-il possible qu’on s’égorge pour aller voir des lampions !

 

          Adieu, madame ; conservez du moins votre santé ; la mienne est désespérée. Mille tendres respects.

 

 

 

 

 

à M. Hennin.

 

Lundi, à dix heures trois quarts.

 

 

          Vous êtes trop bon, monsieur, et Dalloz est un animal. Je vous l’envoie tout malade qu’il est ; je le suis aussi. Il jure toujours qu’il y a eu du cul dans cette affaire. Le mien est dans un piteux état ; il n’est pas fait pour être sculpté par Pigalle. Prêtez-nous le vôtre, ou plutôt votre belle mine.

 

Consulte Fabricio dignumque unumismate vultum.

 

 

 

 

 

à M. Christin.

 

17 Juin (1).

 

 

          Mon cher petit philosophe, nous avons donc été malades, éloignés l’un de l’autre, et c’est ce qui m’afflige doublement. Il est vrai que le libraire de Genève avait vendu quelques exemplaires (2), quoiqu’il n’en dût pas vendre. On a pris alors le parti d’en faire une nouvelle édition. Vous verrez combien elle était nécessaire par la copie de ma lettre à M. de Cléry. Vous verrez combien on craint que vous ne soyez renvoyés au parlement de Besançon. Je frappe à toutes les portes pour parer ce coup, qui serait funeste aux habitants.

 

          Il me semble qu’il y a un ancien édit qui porte : Nulle servitude sans titre. N’est-ce pas au roi d’expliquer cet édit, émané de l’autorité royale ?

 

          Bonsoir, mon cher philosophe ; je vous embrasse bien tendrement.

 

 

P.S. – On vous envoie quelques exemplaires de la nouvelle fournée, qui pourra adoucir un peu les chanoines.

 

          Le sieur Buvard, dont vous me parlez, a voulu sans doute faire sa cour à ses maîtres aux dépens de ces concitoyens.

 

 

1 – Editeurs de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Du mémoire au roi pour les serfs de Saint-Claude. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé Audra.

 

Le 19 Juin 1770.

 

 

          Mon très cher philosophe, vous m’avez raccommodé avec Sirven. Je vois avec plaisir qu’il poursuit son affaire ; je ne doute pas qu’un homme aussi sage et aussi éloquent que M. de La Croix ne lui fasse remporter une victoire entière. Tous les honnêtes gens lui applaudiront. Dites-lui, je vous prie, qu’il ait la bonté d’adresser son mémoire à M Vasselier, premier commis de la poste de Lyon. Il ne serait pas mal qu’il y en eût deux exemplaires dans le paquet, l’un pour M. Vasselier, l’autre pour moi. Vive désormais le parlement de Toulouse !

 

          Je dois vous dire que j’ai prié M. de La Croix de gronder Sirven d’avoir été six mois entiers sans écrire à ses filles.

 

          A l’égard de votre sage hardiesse, vous n’avez rien à craindre. Il n’y a pas un mot dans votre Abrégé (1) sur lequel on puisse vous inquiéter. On sera fâché, mais comme les plaideurs qui ont perdu leur procès. Vous avez d’ailleurs un archevêque (2) qui pense comme vous, qui est prudent comme vous, et qui sera bientôt de l’Académie ; il ne ressemble point du tout à Martin Le Franc de Pompignan.

 

          Je vous demande votre bénédiction, mon cher docteur de Sorbonne ; et je vous donne la mienne, en qualité de capucin.

 

 

1 – De l’Essai sur les mœurs. (G.A.)

2 – Loménie de Brienne. (G.A.)

 

 

 

 

 

à Madame Necker.

 

Ferney, 19 Juin 1770.

 

 

          Quand les gens de mon village ont vu Pigalle déployer quelques instruments de son art : Tiens, tiens, disaient-ils, on va le disséquer ; cela sera drôle. C’est ainsi, madame, vous le savez, que tout spectacle amuse les hommes ; on va également aux marionnettes, au feu de la Saint-Jean, à l’Opéra-Comique, à la grand’messe, à un enterrement. Ma statue fera sourire quelques philosophes, et renfrognera les sourcils réprouvés de quelque coquin d’hypocrite ou de quelque polisson de folliculaire : vanité des vanités !

 

          Mais tout n’est pas vanité ; ma tendre reconnaissance pour mes amis et surtout pour vous, madame, n’est pas vanité. Mille tendres obéissances à M. Necker.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Schomberg.

 

23 Juin 1770.

 

 

          Mon aimable commandant (1) est ici, monsieur ; ma consolation aurait été parfaite, si vous étiez venu avec lui. Pigalle a déjà modelé le squelette dont l’âme subsiste encore, et vous sera très attachée jusqu’au moment où elle sera dissipée, et rendu à la matière subtile dont elle est venue.

 

          Je vous sais bien bon gré de ne point aimer du tout ce fanatique de Joad. Je bénis Dieu de ce que le petit-fils de Henri IV pense comme vous sur ce barbare énergumène.

 

          J’ai raisonné beaucoup avec Pigalle sur le veau d’or qui fut jeté en fonte, en une nuit, par cet autre grand-prêtre Aaron ; il m’a juré qu’il ne pourrait jamais faire une telle figure en moins de six mois. J’en ai conclu pieusement que Dieu avait fait un miracle pour ériger le veau d’or en une nuit, et pour avoir le plaisir de punir de mort vingt-trois mille Juifs qui murmuraient de ce qu’il était trop longtemps à écrire ses deux tables (2).

 

          Agréez toujours, monsieur, ma tendre reconnaissance de toutes les bontés que vous me témoignez.

 

 

1 – Jaucourt. (G.A.)

2 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article FONTE. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de la Tourette.

 

23 Juin 1770.

 

 

          Vous savez peut-être, monsieur, qu’on a imprimé, dans la gazette de Berne, que Jean-Jacques Rousseau vous avait écrit une lettre, par laquelle il souscrivait entre vos mains pour certaine statue. Je vous prie de me dire si la chose est vraie. J’ai peur que les gens de lettres de Paris ne veuillent point admettre d’étranger. Ceci est une galanterie toute française. Ceux qui l’ont imaginée sont tous ou artistes ou amateurs. M. le duc de Choiseul est à la tête, et trouverait peut-être mauvais que l’article de la gazette se trouvât vrai.

 

          Madame Denis vous fait les plus sincères compliments. Agréez, monsieur, les assurances de mon tendre attachement pour vous et pour toute votre famille.

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 25 Juin 1770.

 

 

          J’apprends que le vainqueur de Mahon et le dictateur des Feurches-Caudines de Closter-Severn (1) a bien voulu faire pour son vieux serviteur ce que les Génois (2) firent pour mon héros, proportion gardée, s’entend, entre le héros et le barbouilleur de papier. Je le prie de recevoir les très humbles remerciements du squelette de Ferney, que Pigalle a su rendre vivant. Ce squelette n’est en vie que pour sentir la reconnaissance qu’il doit à son doyen de l’Académie.

 

          Comme vous serez un jour le doyen des pairs, permettez-moi de vous féliciter sur le succès indubitable du procès que M. le duc d’Aiguillon a voulu absolument avoir devant les pairs. Il ne tiendrait qu’à vous d’avoir la bonté de faire gagner le procès des Guèbres au parlement du parterre de Bordeaux. Un mot à l’avocat général M. Dupaty, qui est un franc Guèbre, ferait l’affaire.

 

          On dit que vous protégez prodigieusement une nouvelle pièce de Palissot, intitulée le Satirique (3) ; c’est un beau grenier à tracasseries. Je vois que vous faites la guerre aux philosophes, ne pouvant plus la faire aux Anglais et aux Allemands : cela vous amuse, et c’est toujours beaucoup. Puissiez-vous vous amuser pendant tout le siècle où nous sommes ! Vous en avez fait l’ornement, et vous en ferez la satire mieux que personne.

 

          Je voudrais bien avoir une copie de votre statue, pour que la mienne fût aux pieds de la vôtre. Agréez toujours, monseigneur, mon tendre respect.

 

 

1 – Voyez le Précis du Siècle de Louis XV, ch. XXXVIII. (G.A.)

2 – Ils élevèrent une statue à Richelieu. (G.A.)

3 – Pièce qui fut défendue. (G.A.)

 

 

 

 

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