OPUSCULE - Le cri des nations - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

OPUSCULE - Le cri des nations - Partie 2

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LE CRI DES NATIONS.

 

 

- Partie 2 -

 

 

 

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Quelle peut être la cause de toutes ces prétentions.

 

 

 

          Les usurpations de la cour romaine sont grandes et ruineuses ; ses prétentions sont innombrables. Sur quoi sont-elles fondées ? pourquoi l’évêque de Rome serait-il le despote de l’Eglise, le souverain des lois et des rois ? Est-ce parce qu’il se nomme pape ? mais ce titre est encore celui de tout prêtre de l’Eglise grecque, mère de l’Eglise romaine, et qui n’a jamais souscrit aux usurpations de sa fille. Est-ce parce que Jésus-Christ a dit expressément : « Il n’y aura parmi vous ni premiers ni derniers ? » Est-ce parce qu’il a dit que « celui qui voudrait s’élever au-dessus de ses frères serait obligé de les servir ? »

 

          Est-ce parce que les papes se sont dits successeurs de saint Pierre ? mais il est démontré que saint Pierre n’a jamais eu aucune juridiction sur les apôtres, ses confrères ; et il n’est pas moins démontré que saint Pierre n’a jamais été à Rome (1). S’il avait fait ce voyage, les Actes des apôtres en auraient parlé ; la première église qu’on eût bâtie à Rome aurait été bâtie en l’honneur de Pierre, et non pas en l’honneur de Jean ; l’église de Saint-Jean de Latran ne serait pas encore regardée aujourd’hui par les Romains comme la première église de l’Occident.

 

          Des auteurs qui ne sont pas des de Thou, un Abdias, un Marcel, un Hégésippe, écrivent que Simon Barjone, surnommé Pierre, vint à Rome sous l’empereur Néron ; qu’il y rencontra Simon le magicien  qu’ils s’envoyèrent l’un et l’autre faire des compliments par leurs chiens ; qu’ils disputèrent à qui ressusciterait un parent de Néron qui venait de mourir ; que Simon le magicien n’opéra entièrement ; qu’ils se défièrent ensuite à qui volerait le plus haut dans l’air, en présence de l’empereur ; que Simon Pierre, en faisant le signe de la croix, fit tomber son rival de la moyenne région, ce qui fut cause qu’il se cassa les deux jambes ; et que saint Pierre, ayant vécu vingt-cinq ans à Rome, sous Néron, qui ne régna que treize années, fut crucifié la tête en bas (2)

 

          Est-il possible que ce soit sur de pareils contes que l’imbécillité humaine ait établi, dans des temps barbares, la plus énorme puissance qui ait jamais opprimé la terre, et en même temps la plus sacrée ?

 

          Ceux qui ont voulu donner une ombre de vraisemblance à ces incompréhensibles usurpations ont dit que Rome ayant été la capitale du monde politique, elle devait être la capitale du monde chrétien. Mais, par cette raison, si l’empereur Charlemagne avait établi le siège de son empire à Vaugirard,  si sa race avait conservé sa puissance au lieu de la démembrer, s’il y avait eu enfin un évêque à Vaugirard, ce prélat aurait donc été le maître des empereurs, des rois, et de l’Eglise universelle ?

 

          Quand même saint Pierre aurait fait le voyage de Rome, en quoi l’évêque de cette ville aurait-il eu la prééminence sur les autres ? Rome n’avait point été le berceau du christianisme, c’était Jérusalem. La primauté appartenait naturellement à l’évêque de cette ville, comme les trésors appartiennent de droit à ceux sur le terrain desquels on les a trouvés.

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article VOYAGE DE SAINT PIERRE A ROME. (G.A.)

2 – Voyez la Relation de Marcel. (G.A.)

 

 

 

 

 

Fraudes dont on s’est appuyé pour

autoriser une domination injuste.

 

 

          On frémit quand on envisage ce long amas d’impostures, dont le tissu a formé enfin la tiare qui a opprimé tant de couronnes. Je ne parle pas des fausses constitutions apostoliques, des fausses citations, des mauvais vers attribués aux prétendues sibylles, des fausses lettres de saint Paul à Sénèque, des fausses récognitions du pape Clément, et de ce nombre innombrable de fraudes qu’on appelait autrefois fraudes pieuses  je parle de la prétendue donation de Constantin (1) qui est du neuvième siècle, et qu’on était obligé de croire, sous peine d’excommunication ; je parle des absurdes Décrétales (2) qui ont été si longtemps le fondement du droit canon, et qui ont corrompu la jurisprudence de l’Europe ; je parle de la prétendue concession faite par Charlemagne à l’évêque de Rome de la Sardaigne et de la Sicile, que ce monarque n’a jamais possédées. Chaque année ajouta un chaînon à la chaîne de fer dont l’ambition, revêtue des habits de la religion, liait les peuples ignorants. On ne peut faire un pas dans l’histoire sans y trouver des traces de ce mépris avec lequel Rome traita le genre humain, ne daignant pas même employer la vraisemblance pour le tromper.

 

 

1 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article DONATIONS. (G.A.)

2 – Voyez, dans le même Dictionnaire, l’article DÉCRÉTALES. (G.A.)

 

 

 

 

 

De l’indépendance des souverains.

 

 

 

          Souveraineté et dépendance sont contradictoires. Toute monarchie, toute république n’a que Dieu pour maître : c’est le droit naturel, c’est le droit de propriété. Deux choses seules peuvent vous en priver, la force d’un brigand usurpateur, ou votre imbécillité. Les Goths s’emparent de l’Espagne par la force ; les Tartares s’emparent de l’Inde ; Jean-sans-Terre donne l’Angleterre au pape. On se réintègre dans le droit naturel, contre l’usurpation, quand on a du courage ; on reprend son royaume des mains du pape, quand on a le sens commun.

 

 

 

 

 

Des royaumes donnés par les papes.

 

 

 

          Quiconque a lu sait que les papes ont donné ou cru donner tous les royaumes de l’Europe, sans en excepter aucun, depuis les montagnes glacées de la Norvège jusqu’au détroit de Gibraltar. Ceux qui n’ont pas lu ne le croiront pas, parce que d’un côté ce comble d’audace, et de l’autre cet excès d’avilissement, semblent incompréhensibles.

 

          Hildebrand ou Childebrand, moine de Cluny, pape sous le nom de Grégoire VII, est le premier qui, au bout de mille ans, pervertit à ce point le christianisme. Il ose citer l’empereur Henri IV à comparaître devant lui en 1076 ; il prononce contre cet empereur un arrêt de déposition, la même année : « Je lui défends, dit-il, de gouverner le royaume teutonique, et je délie tous ses sujets du serment de fidélité. »

 

          L’année suivante, ayant soulevé contre lui l’Allemagne, il le force à venir lui demander pardon pieds nus, et revêtu d’un cilice.

 

          En 1088, le même Childebrand donne, de son autorité privée, l’empire à Rodolphe, duc de Souabe.

 

          Urbain II, moine de Cluny, comme Grégoire VII, marche sur les mêmes traces.

 

          Pascal II va plus loin, il arme le fils de Henri IV contre son père, et en fait un parricide.

 

          Enfin, ce grand empereur meurt en 1106, dépouillé de l’empire, et réduit à l’indigence. On l’enterre à Liège ; mais comme il était excommunié, son propre fils, Henri V, le fait exhumer, et un manœuvre l’enterre à Spire, dans une cave.

 

          Après cet horrible exemple, il est inutile de rapporter tous les attentats sans nombre que les papes exercèrent contre tant d’empereurs, et les calamités de la maison de Souabe.

 

          Les papes ne permettaient pas qu’on lût l’Ecriture sainte ; il suffisait qu’on sût qu’ils étaient les vicaires de Dieu, et qu’en cette qualité ils devaient disposer de tous les royaumes de la terre. C’était précisément ce que le diable proposa à Jésus-Christ sur la montagne où il est dit qu’il le transporta.

 

 

 

 

 

Nouvelles preuves du droit de disposer de

tous les royaumes, prétendu par les papes.

 

 

 

          Il y a cent bulles d’évêques de Rome qui assurent expressément que les royaumes ne sont que des concessions de la chair pontificale. Arrêtons-nous à celle d’Adrien IV au roi d’Angleterre, Henri II. « On ne doute pas, et vous êtes persuadé que tout royaume chrétien est du patrimoine de saint Pierre, et que l’Irlande et toutes les îles qui ont reçu la foi appartiennent à l’Eglise romaine. Nous apprenons que vous voulez subjuguer cette île, pour faire payer un denier à saint Pierre par chaque maison, ce que nous vous accordons avec plaisir, etc. »

 

          Il n’est presque point d’Etat en Europe où des bulles à peu près semblables n’aient fait répandre des torrents de sang. Ne parlons ici que des papes qui osèrent excommunier les rois de France, Robert, Philippe Ier, Philippe-Auguste, Louis VIII, père de saint Louis, excommunié par un simple légat, acceptant pour pénitence de payer au pape le dixième de son revenu de deux années, et de se présenter nu-pieds et en chemise à la porte de Notre-Dame de Paris, avec une poignée de verges, pour être fouetté par les chanoines ; pénitence, dit-on, que ses domestiques accomplirent pour leur maître ; Philippe-le-Bel, livré au diable par Boniface VIII ; son royaume en interdit (1) et transféré à Albert d’Autriche ; enfin le bon roi Louis XII excommunié par Jules II, et la France mise encore en interdit par ce vieux et fougueux soldat, évêque de Rome.

 

          Les plaies que les papes fauteurs de la Ligue ont faites à la France ont saigné trente années, depuis que le cordelier Sixte-Quint eut l’audace d’appeler Henri IV « génération bâtarde et détestable de la maison de Bourbon (2), » et de la déclarer incapable de posséder un seul de ses héritages. Il faut le dire à nos contemporains, et les conjurer de redire à nos descendants, que ce sont ces seuls maximes qui portèrent le couteau dans le cœur du plus grand de nos héros et du meilleur de nos rois. Il faut, en versant des larmes sur la destinée de ce grand homme, répéter qu’on eut une peine extrême à obtenir de Clément VIII qu’il lui donnât une absolution dont il n’avait que faire, et à empêcher que ce pape n’insérât dans cette absolution « qu’il réintégrât de sa pleine autorité Henri IV dans le royaume de France. »

 

          Quelques personnes, plus confiantes qu’éclairées, veulent nous consoler, en nous disant que ces abominations ne reviendront plus. Hélas ! qui vous l’a dit ? le fanatisme est-il entièrement extirpé ? ne savez-vous pas de quoi il est capable ? La plupart des honnêtes gens sont instruits, je l’avoue ; les maximes des parlements sont dans nos bouches et dans nos cœurs : mais la populace n’est-elle pas ce qu’elle était du temps de Henri III et de Henri IV ? n’est-elle pas toujours gouvernée par des moines ? n’est-elle pas trois cents fois au moins plus nombreuse que ceux qui ont reçu une éducation honnête ? n’est-ce pas enfin une traînée de poudre à laquelle on peut mettre un jour le feu ?

 

          Jusqu’à quand se contentera-t-on de palliatifs dans la plus horrible et la plus invétérée des maladies ? Jusqu’à quand se croira-t-on en pleine santé, parce que nos maux ont quelque relâche ? C’est aux magistrats,  c’est aux hommes qui partagent le fardeau du gouvernement, à voir quelle digue ils peuvent mettre à ces débordements qui nous ont inondés depuis tant de siècles. Chaque père de famille est conjuré de peser ces grandes vérités, de les graver dans la tête de ses enfants, et de préparer une postérité qui ne connaisse que les lois et la patrie.

 

          On se sert encore parmi nous du mot dangereux des deux puissances (3) ; mais Jésus-Christ ne l’a jamais employé ; il ne se trouve dans aucun père de l’Eglise ; il a été toujours inconnu à l’Eglise grecque ; et, en dernier lieu, un évêque grec a été déposé par un synode d’évêques pour avoir usé de cette expression révoltante.

 

          Il n’y a qu’une puissance, celle du souverain : l’Eglise conseille, exhorte, dirige ; le gouvernement commande. Non, il n’est certes qu’une puissance. La cour de Rome a cru que c’était la sienne ; mais quel gouvernement ne secoue pas aujourd’hui le joug de cette absurde tyrannie ? Pourquoi donc le nom subsiste-t-il encore, quand la chose même est détruite ? Pourquoi laisser sous la cendre un feu qui peut se rallumer ? N’y a-t-il pas assez de malheurs sur la terre, sans mettre encore aux prises la discipline du sacerdoce avec l’autorité souveraine ?

 

          Nous n’entrerons pas ici dans cette grande question si les dignités temporelles conviennent à des ecclésiastiques de l’Eglise de Jésus, qui leur a si expressément et si souvent ordonné d’y renoncer. Nous n’examinons point si, dans ces temps d’anarchie, les évêques de Rome et d’Allemagne, les simples abbés, ont dû s’emparer les droits régaliens : c’est un objet de politique qui ne nous regarde pas ; nous respectons quiconque est revêtu du pouvoir suprême. Dieu nous préserve de vouloir troubler la paix des Etats, et de remuer des bornes posées depuis si longtemps ! Nous ne voulons que soutenir les droits incontestables des rois, de toute la magistrature, de tous nos concitoyens ; et nous nous flattons que ces droits, sur lesquels repose la félicité publique, seront désormais inébranlables.

 

 

1 – Le commun des lecteurs ignore la manière dont on interdisait un royaume. On croit que celui qui se disait le père commun des chrétiens se bornait à priver une nation de toutes les fonctions du christianisme, afin qu’elle méritât sa grâce en se révoltant contre le souverain. Mais on observait dans cette sentence des cérémonies qui doivent passer à la postérité. D’abord on défendait à tout laïque d’entendre la messe, et on n’en célébrait plus au maître-autel. On déclarait l’air impur. On ôtait tous les corps saints de leurs châsses, et on les étendait par terre dans l’église, couverts d’un voile. On dépendait les cloches, et on les enterrait dans des caveaux. Quiconque mourait dans le temps de l’interdit était jeté à la voirie. Il était défendu de manger de la chair, de se raser, de se saluer. Enfin le royaume appartenait de droit au premier occupant ; mais le pape prenait toujours soin d’annoncer ce droit par une bulle particulière, dans laquelle il désignait le prince qu’il gratifiait de la couronne vacante.

 

2 – Quand Voltaire rappelait cette injure, tous les Bourbons, par suite du pacte de famille, s’étaient prononcés contre le pape. (G.A.)

 

3 – Voyez les Remontrances du clergé au roi, en 1755, ses Actes de 1765, etc. On souffre ses entreprises parce qu’il les forme dans des assemblées où il donne quelques millions, et que l’on n’a pas encore osé le soumettre, comme les pairs du royaume, à la capitation et au vingtième, quoiqu’un grand vicaire soit souvent beaucoup mieux payé qu’un maréchal de France. (K.) – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article PUISSANCE. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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