CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 50

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1767 - Partie 50

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à M. Thieriot.

 

30 Septembre 1767.

 

 

          Mon ancien ami, j’ai été fort occupé, et ensuite fort malade. Je n’ai pu vous remercier aussitôt que je l’aurais voulu des bons conseils que vous avez donnés à la Duchesne. J’ai chez moi un régiment entier que les tracasseries de Genève nous ont attiré. Aucun des officiers qui sont dans mon château ou dans mon village ne sait si le capitaine Bélisaire a des querelles avec la Sorbonne. Les officiers soupent chez moi pendant que je suis dans mon lit, et les soldats me font un beau chemin aux dépens de mes blés et de mes vignes ; mais ils ne me défendront pas du vent du nord qui va me désoler pendant six mois, ou qui va me tuer.

 

          Tâchez de conserver votre santé, et que je puisse vous dire : Si bene vales, ego quidem valeo.

 

          Je ne sais plus où vous demeurez. J’envoie cette lettre à M. Damilaville, dont la santé m’inquiète beaucoup, et dont l’amitié toujours égale, ardente et courageuse, est pour moi d’un prix inestimable.

 

          Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. le comte de Wargemont.

 

A Ferney, 1er Octobre 1767 (1).

 

 

          Je venais, monsieur, d’écrire à madame la comtesse de Beauharnais, lorsque je reçois la lettre dont vous m’honorez, du 24 septembre. Je vous confirme ce que je dis à madame de Beauharnais que je suis à vos ordres jusqu’au dernier moment de ma vie.

 

          La facétie (2), dont vous avez vu une faible répétition, a été jouée bien supérieurement. Tous les acteurs vous regrettaient, car c’est à vous qu’on veut plaire. On regrettait bien aussi les officiers de la légion de Soubise ; il n’y a point de corps mieux composé. Tel maître, telle légion.

 

          Je suis bien honteux, monsieur, des peines que je vous ai données ; je vous en demande pardon, autant que je vous en remercie. Je ne sais pas trop ou demeure Thieriot ; tout ce que je sais, c’est qu’il est correspondant du roi de Prusse ; c’est une fonction qui ne lui produira pas des pensions de la cour. Si vous vouliez avoir la bonté d’ordonner à votre secrétaire de mettre le paquet pour Thieriot dans celui de Damilaville, et de l’envoyer sur le quai Saint-Bernard, au bureau du vingtième, il serait sûrement rendu. Damilaville n’est que le premier commis du vingtième ; mais c’est un homme d’un mérite rare, et d’une philosophie intrépide. Il a servi, il s’est distingué par son courage ; il se distingue aujourd’hui par un zèle éclairé pour la philosophie et pour la vertu : c’est un homme qui mérite votre protection.

 

          Tout ce qui habite mes déserts vous présente ses hommages. Recevez, monsieur, avec la bonté à laquelle vous m’avez accoutumé, mes très sincères et très tendres respects.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Charlot. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Chenevières.

 

1er Octobre (1).

 

 

          Il est vrai, mon cher confrère, qu’il a couru des bruits ridicules. Une parente (2) de M. le duc de Choiseul a daigné même venir m’en instruire dans ma retraite. Vous savez qu’il suffit d’un homme malintentionné ou mal instruit, pour répandre les rumeurs les plus odieuses. Il n’y avait pas le plus léger fondement à tout ce qu’on a débité ; d’ailleurs je compte sur les bontés de M. le duc de Choiseul, qui me fait l’honneur de m’écrire quelquefois de sa main. M. le duc de Praslin et lui sont mes deux protecteurs très constants, et je crois d’ailleurs mériter leur protection et les bontés du roi par ma conduite.

 

          Si tous ceux qui habitent leurs terres faisaient ce que je fais dans les miennes, l’Etat serait encore plus florissant qu’il ne l’est. J’ai défriché des terrains considérables ; j’ai bâti des maisons pour les cultivateurs ; j’ai mis l’abondance où était la misère ; j’ai construit des églises ; mes curés, tous les gentilshommes mes voisins ne rendent pas de moi de mauvais témoignages, et quand les Fréron et les Pompignan voudront me nuire, ils n’y réussiront pas.

 

          Je vous remercie tendrement de votre attention et de la lettre de notre chevalier (3) ; nous vous embrassons tous, vous et la sœur-du-pot (4).

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Sans doute madame de Saint-Julien. (G.A.)

3 – Rochefort. (G.A.)

4 – Madame la duchesse d’Aiguillon. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le marquis d’Argence de Dirac.

 

A Ferney, 1er Octobre 1767.

 

 

          Par votre lettre du 20 de septembre, mon cher philosophe militaire, vous m’apprenez que MM. de Broglie s’imaginent que je ne leur suis pas attaché ; cela prouve que ni MM. de Broglie ni vous n’avez jamais lu le Pauvre Diable : il a pourtant été imprimé bien souvent. Vous y auriez trouvé ces vers-ci, lesquels sont adressés à un pauvre diable qui voulait faire la campagne :

 

Du duc Broglie osez suivre les pas :

Sage en projets, et vif dans les combats,

Il a transmis sa valeur aux soldats ;

Il va venger les malheurs de la France :

Sous ses drapeaux marchez dès aujourd’hui,

Et méritez d’être aperçu de lui.

 

          Pour moi, je suis un pauvre diable environné actuellement du régiment de Conti, dont trois compagnies sont logées à Ferney. Si elles étaient venues il y a dix ans, elles auraient couché à la belle étoile. Je fais ce que je peux pour que les officiers et les soldats soient contents ; mais mon âge et mes maladies ne me permettent pas de faire les honneurs de mon ermitage comme je le voudrais. Je ne me mets plus à table avec personne. J’achève ma carrière tout doucement ; et, quand je la finirai, vous perdrez un serviteur aussi attaché qu’inutile.

 

 

 

 

 

à M. le marquis Albergati Capacelli.

 

A Ferney, 1er Octobre 1767.

 

 

          Je suis encore entre le mont Jura et les Alpes, monsieur, et j’y finirai bientôt ma vie. Je n’ai point reçu la lettre par laquelle vous me faisiez part de votre chambellante. Je vous aimerais mieux dans votre palais à Bologne, que dans l’anti-chambre d’un prince. J’ai été aussi chambellan d’un roi, mais j’aime cent fois mieux être dans ma chambre que dans la sienne. On meurt plus à son aise chez soi que chez des rois ; c’est ce qui m’arrivera bientôt. En attendant, je vous présente mes respects.

 

 

 

 

 

à M. Damilaville.

 

2 Octobre 1767.

 

 

          Fondez donc cette maudite glande, mon cher et digne ami. Que l’exemple de M. Dubois vous rende bien attentif et bien vigilant  vous n’avez pas, comme lui, cent mille écus de rente à perdre ; mais vous avez à conserver cette âme philosophique et vertueuse, si nécessaire dans un temps où le fanatisme ose combattre encore la raison et la probité. Vous êtes dans la force de l’âge ; vous serez utile aux gens de bien qui pensent comme il faut, et moi je ne suis plus bon à rien. Je suis actuellement obligé de me coucher à sept heures du soir Je ne peux plus travailler.

 

          Que Merlin ne fourre pas mon nom à la bagatelle que je lui ai donnée. Si par hasard son édition a quelque succès dans ce siècle ridicule, je lui prépare un petit morceau (1) sur Henri IV, qu’il pourra mettre à la tête de la seconde édition, et je vous réponds que vous y retrouverez vos sentiments. Je finis ma carrière littéraire par ce grand homme, comme je l’ai commencée, et je finis comme lui. Je suis assassiné par des gueux ; Coger est mon Ravaillac.

 

          Adieu, mon cher ami ; je suis trop malade pour dicter longtemps ; mais ne jugez point de mes sentiments par la brièveté de mes lettres.

 

          Faudra-t-il que je meure sans vous revoir ?

 

 

1 – On ne le connaît pas. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Moreau.

 

Au château de Ferney, le 4 Octobre 1767.

 

 

          Monsieur, voici le mois d’octobre ; il est dans nos cantons le vrai mois de décembre. J’ai fait tous les préparatifs nécessaires pour planter, et je plante même dès aujourd’hui quelques arbres qui me restaient en pépinière.

 

          J’attendrai l’effet de vos bontés pour planter le reste. Je crois que la rigueur du climat ne permet guère de faire un essai aussi considérable, et qu’il ne faut hasarder que ce qui pourrait remplir une charrette. Si elle peut contenir plus de cent arbres, à la bonne heure ; mais je crois que vingt-cinq tiniers, vingt-cinq ormes, autant de platanes, autant de peupliers d’Italie, suffiront pour cette année.

 

          Je réclame donc, monsieur, les bontés que vous avez voulu me témoigner. J’enverrai une charrette à Lyon pour prendre ces arbres ; et si la gelée était trop forte chez moi lorsqu’ils arriveront à Lyon, je les ferais mettre en pépinière à Lyon même, chez un de mes amis. Il n’y aura pas de soin que je ne prenne pour ne pas rendre vos bontés inutiles.

 

          Il est certain qu’on a trop négligé jusqu’ici les forêts en France, aussi bien que les haras. Je ne suis pas de ceux qui se plaignent à tort et à travers de la dépopulation ; je crois au contraire la France très peuplée, mais je crains bien que ses habitants n’aient bientôt plus de quoi se chauffer. Personne n’est plus persuadé et plus touché que moi du service que vous rendez à l’Etat, en établissant des pépinières. Je voulus, il y a trois ans, avoir des ormes à Lyon, de la pépinière royale ; il n’y en avait plus. Je plante des noyers, des châtaigniers, sur lesquels je ne verrai jamais ni noix ni châtaignes ; mais la folie des gens de mon espèce est de travailler pour la postérité. Vous êtes heureux, monsieur, de voir déjà le fruit de vos travaux, c’est un bonheur auquel je ne puis aspirer ; mais je n’en suis pas moins sensible à la grâce que vous me faites. J’ai l’honneur d’être, avec de la reconnaissance, monsieur, votre, etc.

 

 

 

 

 

à M. Marmontel.

 

4 Octobre (1).

 

 

          Mon cher ami, tandis que vous imprimez l’éloge de Henri IV sous le nom de Charlot, on l’a rejoué à Ferney mieux qu’on ne le jouera jamais à la Comédie. Madame Denis m’a donné, en présence du régiment de Conti et de toute la province, la plus agréable fête que j’aie jamais vue. Les princes en peuvent donner de plus magnifiques ; mais il n’y a point de souverain qui en puisse donner de plus ingénieuse.

 

          J’attends avec impatience le recueil qui achève d’écraser les pédants de collège. Savez-vous bien que l’impudent Coger a eu l’insolence et la bêtise de m’écrire ? J’avais préparé une réponse qu’on trouvait assez plaisante ; mais je trouve que ces marauds-là ne valent pas la plaisanterie ; il ne faut pas railler les scélérats, il faut les pendre. Voici donc la réponse que je juge à propos de faire à ce coquin (2). Il m’est très important de détromper certaines personnes sur le Dictionnaire philosophique que Coger m’impute. Vous ne savez pas ce qui se passe dans les bureaux des ministres, et même dans le conseil du roi, et je sais ce qui s’y est passé à mon égard.

 

          Je pense que l’enchanteur Merlin peut bien me rendre le service d’imprimer la réponse à Coger, et vous pourrez la faire circuler pour achever d’anéantir ce misérable.

 

          Je recommande toujours une faible édition de Charlot, afin qu’on puisse corriger dans la seconde ce qui aura paru défectueux dans la première. Il se peut très bien faire que des Welches, qui ont applaudi depuis trois ans à des pièces détestables, se révoltent contre celle-ci. Il y a plus de goût actuellement en province qu’à Paris, et bientôt il y aura plus de talents. J’ai entre les mains un manuscrit admirable contre le fanatisme, fait par un provincial ; j’espère qu’il sera bientôt imprimé.

 

          Je vous supplie, mon cher ami, de donner à Thieriot les rogatons de vers qui sont dans mon paquet ; cela peut servir à sa correspondance.

 

          Je vous embrasse plus tendrement que jamais.

 

          Je tiens qu’il est très bon qu’on envoie cette lettre à Coger, à ses écoliers et aux pères des écoliers. Il ne s’agit pas ici de divertir le public et de plaire, il s’agit d’humilier et de punir un maraud impudent.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Voyez la Lettre de Gérofle à Coger. (G.A.)

 

 

 

 

 

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