SATIRE - Lettre de Gérofle à Cogé

Publié le par loveVoltaire

SATIRE - Lettre de Gérofle à Cogé

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LETTRE DE GÉROFLE A COGÉ.

 

 

 

 

- 1767 -

 

 

 

 

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[Voltaire passe ici la plume à son laquais pour répondre à un régent de rhétorique, Coger, dit Cogé-Pecus, qui avait dénoncé le Bélisaire de Marmontel. Voyez le Discours de Me Belleguier. (G.A.)]

 

 

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          Moi, Gérofle, je déclare que mon maître étant trop vieux et trop malade pour répondre à la lettre de maître Cogé, professeur au collège Mazarin, je mets la plume à la main (1) pour mon maître ; étant persuadé qu’un bon domestique doit prendre la défense de son maître, comme le neveu de l’abbé Bazin a soutenu la cause de son oncle. J’entre en matière, car le patron n’aime pas le verbiage.

 

          Si une noble émulation soutenue par le génie produit les bons livres, l’orgueil et l’envie produisent les critiques, on le sait assez. Mais de quel droit maître Cogé serait-il envieux et orgueilleux ?

 

          Quand l’immortel Fénelon donna son roman moral du Télémaque, Faydit et Gueudeville firent des brochures contre lui, et eurent même l’insolence de faire entrer la religion dans leurs rapsodies, dernière ressource des lâches et des imposteurs (2).

 

          Quand un digne académicien a donné le roman moral de Bélisaire, traduit dans presque toutes les langues de l’Europe, il a trouvé son Faydit et son Gueudeville dans le régent de collège Cogé et dans Riballier (3).

 

          Cogé et Riballier ont été les serpents qui, non-seulement ont cru ronger la lime, mais qui ont essayé de mordre l’auteur. Ils se sont imaginé que la nation est au quatorzième siècle, parce qu’ils y sont. Ils ont cabalé dans la sacrée faculté de théologie de Paris pour engager icelle à écrire en latin contre un roman écrit en français. Mais la sacrée faculté ayant eu la modestie de soupçonner que son latin n’est pas celui de Cicéron, et que son français n’est pas celui de Vaugelas, il a semblé bon à ladite faculté de ne se hasarder dans aucune de ces deux langues. On lui a proposé de donner son thème en grec, attendu que Bélisaire parlait grec ; mais elle a répondu que tout cela était du grec pour elle. Qu’est-il arrivé de tout ce fracas ?

 

La Sorbonne en travail enfante une souris.

 

          C’est ainsi que le vinaigrier Abraham Chaumeix, brave convulsionnaire, entreprit d’aigrir les esprits de tous les parlements du royaume contre l’Encyclopédie. Abraham avait été éconduit par les illustres et savants hommes qui dirigeaient ce célèbre recueil des connaissances humaines. Il imagina, pour avoir du pain, d’accuser les auteurs d’athéisme (4) ; et voici comme il s’y prit juridiquement. Les semences de l’athéisme sont jetées, dit-il, au premier volume dans les articles Beurre, Brouette, Chapeau ; elles se développeront dans toute leur horreur, aux articles Falbala, Jésuite, et Culotte.

 

          Cet ouvrage en vingt volumes in-folio, devait immanquablement exciter une sédition dans les halles et au port Landri. L’ouvrage a paru ; tout a été tranquille ; Abraham Chaumeix, honteux d’avoir été faux prophète à Paris, est allé prophétiser à Moscou ; et l’impératrice a daigné mander à mon maître qu’elle avait mis Abraham à la raison (5).

 

          Si votre ami Cogé est prophète aussi, il est assurément prophète de Baal. L’esprit mensonger est au bout de sa plume. Il fait un libelle infâme contre Bélisaire et dans ce libelle, non content de médire, comme un vilain, d’un vieux capitaine qui ne donne que de bons conseils à son empereur, il médit aussi de mon maître qui ne donne des conseils à personne.

 

          C’est une étrange chose que la cuistrerie. Dès que ces drôles-là combattent un académicien sur un point d’histoire et de grammaire, ils mêlent, au plus vite, Dieu et le roi dans leurs querelles. Ils s’imaginent, dans leur galetas, que Dieu et le roi s’armeront en leur faveur de tonnerres et de lettres de cachet. Eh ! maroufles, ne prenez jamais le nom de Dieu et du roi en vain.

 

 

1 – Expression de Larcher, autre adversaire de Voltaire. Voyez la péroraison de la Princesse de Babylone. (G.A.)

2 – L’un fit la Télémachomanie (1713), et l’autre une critique générale du Télémaque, 1700. (G.A.)

3 – Riballier était le principal du collège de Mazarin, où Cogé professait. (G.A.)

4 – Dans ses Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie. (G.A.)

5 – Voyez à la Correspondance, la lettre de Catherine II du 11-22 août 1765. (G.A.)

 

 

 

 

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AUTRE RÉPONSE CATÉGORIQUE AU SIEUR COGÉ.

 

 

 

 

- 1767 -

 

 

(1)

 

 

 

 

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          Mon maître, outre plusieurs lettres anonymes, a reçu deux lettres outrageantes et calomnieuses, signées Cogé, licencié en théologie, et professeur de rhétorique au collège Mazarin.

 

          Mon maître, âgé de soixante-quatorze ans, et achevant ses jours dans la plus profonde retraite, ne savait pas, il y a quelques mois, s’il y avait un tel homme au monde. Il paraît être licencié ; et ses procédés sont assurément d’une grande licence. Il écrit des injures à mon maître ; il dit que mon maître est l’auteur d’une Honnêteté théologique. Mon maître sait quelles malhonnêtetés théologiques on a faites à M. Marmontel, qui est son ami depuis vingt ans ; mais il n’a jamais fait d’Honnêteté théologique (2). Il ne conçoit pas même comment ces deux mots peuvent se trouver ensemble. Quiconque dit que mon maître a fait une pareille honnêteté est un malhonnête homme et a menti. On est accoutumé à de pareilles impostures. Mon maître n’a pas même lu cet ouvrage, et n’en a jamais entendu parler. Il a lu Bélisaire, et l’a admiré avec toute l’Europe. Il a lu les plats libelles du sieur Cogé contre Bélisaire, et, ne sachant pas de qui ils étaient, il a écrit à M. Marmontel qu’ils ne pouvaient être que d’un maraud.

 

          Si l’on a imprimé à Paris la lettre de mon maître, si l’on y a mis le nom de Cogé, on a eu tort ; mais le sieur Cogé a eu cent fois plus de tort d’oser insulter. M. Marmontel, dont il n’est pas digne de lire les ouvrages. Un régent de collège qui fait des libelles mérite d’être renfermé dans une maison qui ne s’appelle pas collège.

 

 

1 – Cette autre réponse se trouve dans la correspondance de Grimm de janvier 1768. (G.A.)

2 – L’Honnêteté théologique est de Damilaville. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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