ZAIRE - Partie 12

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Z A Ї R E

 

 

___________

 

 

 

 

 

SCÈNE IX.

 

_______

 

OROSMANE, ZAÏRE et FATIME,

 

marchant pendant la nuit dans l’enfoncement du théâtre.

 

_______

 

 

 

ZAÏRE.

 

Viens, Fatime.

 

OROSMANE.

 

Qu’entends-je ? Est-ce là cette voix

Dont les sons enchanteurs m’ont séduit tant de fois ?

Cette voix qui trahit  un feu si légitime ?

Cette voix infidèle, et l’organe du crime ?

Perfide ! … vengeons-nous… quoi ! c’est elle ? ô destin !

 

(Il tire son poignard.)

 

Zaïre ! ah ! Dieu ! … Ce fer échappe de ma main.

 

ZAÏRE, à Fatime

 

C’est ici le chemin, viens, soutiens mon courage.

 

FATIME.

 

Il va venir.

 

OROSMANE.

 

Ce mot me rend toute ma rage.

 

ZAÏRE.

 

Je marche en frissonnant, mon cœur est éperdu…

Est-ce vous, Nérestan, que j’ai tant attendu ?

 

OROSMANE, courant à Zaïre.

 

C’est moi que tu trahis : tombe à mes pieds, parjure !

 

ZAÏRE, tombant dans la coulisse.(1)

 

Je me meurs, ô mon Dieu ! (2)

 

OROSMANE.

 

J’ai vengé mon injure.

Otons-nous de ces lieux. Je ne puis… Qu’ai-je fait ?...

Rien que de juste… Allons, j’ai puni son forfait.

Ah ! voici son amant, que mon destin m’envoie

Pour remplir ma vengeance et ma cruelle joie.

 

 

 

 

 

SCÈNE X.

 

_______

 

OROSMANE, ZAÏRE, NÉRESTAN,

CORASMIN, FATIME, ESCLAVES.

 

 

_______

 

 

 

OROSMANE.

 

Approche, malheureux, qui viens de m’arracher,

De m’ôter pour jamais ce qui me fut si cher ;

Méprisable ennemi, qui fais encor paraître

L’audace d’un héros avec l’âme d’un traître ;

Tu m’imposais ici pour me déshonorer.

Va, le prix en est prêt, tu peux t’y préparer.

Tes maux vont égaler les maux où tu m’exposes,

Et ton ingratitude, et l’horreur que tu causes.

Avez-vous ordonné son supplice ?

 

CORASMIN.

 

Oui, seigneur.

 

OROSMANE.

 

Il commence déjà dans le fond de ton cœur.

Tes yeux cherchent partout, et demandent encore

La perfide qui t’aime, et qui me déshonore.

Regarde, elle est ici.

 

NÉRESTAN.

 

Que dis-tu ? Quelle erreur ?

 

OROSMANE.

 

Regarde-la, te dis-je.

 

NÉRESTAN.

 

Ah ! que vois-je ! Ah ! ma sœur !

Zaïre  (3) … elle n’est plus ! Ah ! monstre ! ah ! jour horrible !

 

OROSMANE.

 

Sa sœur ! qu’ai-je entendu ? Dieu ! serait-il possible ?

 

NÉRESTAN.

 

Barbare, il est trop vrai : viens épuiser mon flanc

Du reste infortuné de cet auguste sang.

Lusignan, ce vieillard, fut son malheureux père ;

Il venait dans mes bras d’achever sa misère,

Et d’un père expiré j’apportais en ces lieux

La volonté dernière et les derniers adieux ;

Je venais, dans un cœur trop faible et trop sensible,

Rappeler des chrétiens le culte incorruptible.

Hélas ! elle offensait notre Dieu, notre loi ;

Et ce Dieu la punit d’avoir brûlé pour toi.

 

OROSMANE.

 

Zaïre !... Elle m’aimait ? Est-il bien vrai, Fatime ?

Sa sœur ? … J’étais aimé ?

 

 

FATIME.

 

Cruel ! voilà son crime.

Tigre altéré de sang, tu viens de massacrer

Celle qui, malgré soi, constante à t’adorer,

Se flattait, espérait que le Dieu de ses pères

Recevrait le tribut de ses larmes sincères,

Qu’il verrait en pitié cet amour malheureux,

Que peut-être il voudrait vous réunir tous deux.

Hélas ! à cet excès son cœur l’avait trompée ;

De cet espoir trop tendre elle était occupée ;

Tu balançais son Dieu dans son cœur alarmé.

 

OROSMANE.

 

Tu m’en as dit assez. O ciel ! j’étais aimé !

Va, je n’ai pas besoin d’en savoir davantage…

 

NÉRESTAN.

 

Cruel ! qu’attends-tu donc pour assouvir ta rage ?

Il ne reste que moi de ce sang glorieux

Dont ton père et ton bras ont inondé ces lieux ;

Rejoins un malheureux à sa triste famille,

Au héros dont tu viens d’assassiner la fille.

Tes tourments sont-ils prêts ? Je puis braver tes coups ;

Tu m’as fait éprouver le plus cruel de tous ;

Mais la soif de mon sang, qui toujours te dévore,

Permet-elle à l’honneur de te parler encore !

En m’arrachant le jour, souviens-toi des chrétiens

Dont tu m’avais juré de briser les liens :

Dans sa férocité, ton cœur impitoyable

De ce trait généreux serait-il bien capable ;

Parle ; à ce prix encor je bénis mon trépas.

 

OROSMANE, allant vers le corps de Zaïre.

 

Zaïre !

 

CORASMIN.

 

Hélas ! seigneur, où portez-vous vos pas ?

Rentrez, trop de douleur de votre âme s’empare ;

Souffrez que Nérestan…

 

NÉRESTAN.

 

Qu’ordonnes-tu, barbare ?

 

OROSMANE, après une longue pause.

 

Qu’on détache ses fers. Ecoutez, Corasmin,

Que tous ses compagnons soient délivrés soudain.

Aux malheureux chrétiens prodiguez mes largesses ;

Comblés de mes bienfaits, chargés de mes richesses,

Jusqu’au port de Joppé vous conduirez leurs pas.

 

CORASMIN.

 

Mais, seigneur…

 

OROSMANE.

 

Obéis, et ne réplique pas ;

Vole, et ne trahis point la volonté suprême

D’un soudan qui commande, et d’un ami qui t’aime ;

Va, ne perds point de temps, sors, obéis…

 

(A Nérestan.)

 

Et toi

Guerrier infortuné, mais moins encor que moi,

Quitte ces lieux sanglants ; remporte en ta patrie

Cet objet que ma rage a privé de la vie.

Ton roi, tous tes chrétiens, apprenant tes malheurs,

N’en parleront jamais sans répandre des pleurs.

Mais si la vérité par toi se fait connaître,

En détestant mon crime, on me plaindra peut-être.

Porte aux tiens ce poignard, que mon bras égaré

A plongé dans un sein qui dût m’être sacré ;

Dis-leur que j’ai donné la mort la plus affreuse

A la plus digne femme, à la plus vertueuse,

Dont le ciel ait formé les innocents appas ;

Dis-leur qu’à ses genoux j’avais mis mes Etats ;

Dis-leur que dans son sang cette main s’est plongée ;

Dis que je l’adorais, et que je l’ai vengée  (4).

 

(Il se tue.)

 

(Aux siens.)

 

Respectez ce héros, et conduisez ses pas. (5)

 

NÉRESTAN.

 

Guide-moi, Dieu puissant ! je ne me connais pas.

Faut-il qu’à t’admirer ta fureur me contraigne,

Et que dans mon malheur ce soit moi qui te plaigne !

 

 

 

F.I.N

 

 ZAIRE - Acte cinquième - partie 2

 

 

1 – C’est tomber selon les règles classiques ; on n’assassinait pas sur le théâtre.Voltaire proteste contre cette prétendue loi dans sa préface de Brutus. (G.A.)

 

2 – « De toutes les tragédies qui sont au théâtre, dit Jean-Jacques Rousseau, nulle autre ne montre avec plus de charme le pouvoir de l’amour et l’empire de la beauté, et on y apprend encore, pour surcroît de profit, à ne pas juger sa maîtresse sur les apparences. Qu’Orosmane immole Zaïre à sa jalousie, une femme sensible y voit sans effroi le transport de la passion : car c’est un moindre malheur de périr par la main de son amant, que d’en être médiocrement aimée. » (G.A.)

 

3 – L’effet théâtral est grand, dit M. Villemain, malgré cette exclamation assez froide : Sa sœur ! qu’ai-je entendu ! (G.A.)

 

4 – Comparez Shakespeare. (G.A.)

 

5 – Zaïre fut traduite en italien par Gozzi, qui amplifia au dénouement : « Après qu’Orosmane s’est frappé, dit Lessin, Voltaire lui fait dire encore quelques mots pour nous rassurer sur le sort de Nérestan. Qu’imagine Gozzi ? L’Italien, trouvant sans doute trop froid de faire mourir un Turc aussi tranquillement, met dans la bouche d’Orosmane une tirade pleine d’exclamations, de gémissements et de désespoir. Il est curieux de voir combien le goût allemand diffère du goût italien. Pour l’italien, Voltaire est trop bref ; pour l’allemand, il est trop long. A peine Orosmane aurait dit qu’il adorait Zaïre et qu’il la vengerait, à peine se serait-il donné le coup mortel, que nous ferions baisser le rideau. » Lessing dit encore : « Chez aucune nation Zaïre n’a rencontré de critiques plus acharnées que chez les Hollandais. Frédéric Duim, parent sans doute du célèbre acteur de ce nom qui jouait sur le théâtre d’Amsterdam, ; trouva d’autant plus à critiquer qu’il ne trouvait rien de plus facile que de faire mieux. Il fit, en effet, une autre Zaïre, Zaïre ou la Turque convertie, pièce dans laquelle la conversion de Zaïre était l’affaire principale, et qui se terminait par le sacrifice qu’Orosmane faisait de son amour, et par le renvoi de la chrétienne Zaïre dans son pays, avec tous les honneurs dus au rang qui lui était destiné. Le vieux Lusignan mourait de joie. » Ce dénouement eût assurément plu à Rousseau (j’entends ici le Jean-Baptiste, et non pas le Jean-Jacques). (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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