SATIRES - Lettre de M. Formey

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LETTRE DE M. FORMEY,

 

QUI PEUT SERVIR DE MODÈLE AUX LETTRES

A INSÉRER DANS LES JOURNAUX.

 

 

 

– 1762 –

 

 

[ Dans cette lettre qui n’est qu’une plaisanterie, Voltaire imite le style de Formey, professeur d’éloquence et de philosophie à Berlin. Elle parut à la suite de la Réponse de M. de Voltaire au sieur Fez, libraire d’Avignon. ] (G.A.)

 

 

___________

 

 

 

          Tout le monde est instruit à Paris, à Londres, en Italie, en Allemagne, de ma querelle avec l’illustre M. Boullier (1) ; on ne s’entretient dans toute l’Europe que de cette dispute. Je croirais manquer au public, à la vérité, à ma profession, et à moi-même (comme on dit), si je restais muet vis-à-vis M. Boullier. J’ai pris des engagements vis-à-vis le public, il faut les remplir. L’univers a lu mes Pensées raisonnables, que je donnai en 1749, au mois de juin. Je ne sais si je dois les préférer à la lettre que je lâchai sous le nom de M. Gervaise Holmes, en 1750 (2). Tout Paris, vis-à-vis les Pensées raisonnables, est pour la lettre de M. Gervaise Holmes, et tout Londres est pour les Pensées. Je peux dire, vis-à-vis de Londres et de Paris, qu’il y a quelque chose de plus profond dans les Pensées, et je ne sais quoi de plus brillant dans la lettre.

 

          Le Journal de Trévoux, du mois de juin 1751, et l’Avant-Coureur, du 5 juillet, sont de mon avis. Il est vrai que le Journal chrétien se déclare absolument contre les Pensées raisonnables. Je vais reprendre cette matière, puisque je l’ai discutée au long dans le Mercure de février 1753, page 55 et suivantes (3), comme tout le monde le sait.

 

          Quelques personnes de considération, pour qui j’aurai toute ma vie une déférence entière, m’ont conseillé de ne point répondre à M. Boullier directement, attendu qu’il est mort il y a deux ans ; mais, avec tout le respect que je dois à ces messieurs, je leur dirai que je ne puis être de leur avis, par des raisons tirées du fond des choses que j’ai expliquées ailleurs ; et, pour le prouver, je rappellerai en peu de mots ce que j’ai dit dans le 295° tome (4) de ma Bibliothèque impartiale, page 75, rapporté très infidèlement dans le Journal littéraire, année 1759. Il s’agit, comme on sait, des compossibles et des idées contraires qui ne répugnent point l’une à l’autre. J’avoue que le révérend père Hayer (5) a traité cette matière, dans son 17° tome, avec sa sagacité ordinaire ; mais tous ceux qui ont lu les 101e, 102e, et 103e tomes (6) de ma Bibliothèque germanique, ont de quoi confondre le P. Hayer ; ils verront aisément la différence entre les compossibles, les possibles simples, les non-possibles et les impossibles. Il serait aisé de s’y méprendre, si on n’avait pas étudié à fond cette matière dans les articles 7, 9 et 11 de ma Dissertation de 1760, qui a eu un si prodigieux succès (7).

 

          Feu, M. de Cahusac (8) me manda, quelque temps avant qu’il fût attaqué dans la pie-mère, qu’il avait entendu dire à l’abbé Trublet, que lui abbé tenait de M. de La Motte, que non-seulement madame de Lambert avait un mardi, mais qu’elle avait aussi un mercredi ; et que c’était dans une des assemblées du mercredi qu’on avait agité la question si M. Needham (9) fait des anguilles avec de la farine, comme l’assure positivement M. de Maupertuis. Ce fait est lié nécessairement au système des compossibles.

 

          Je ne répondrai pas ici aux injures grossières qu’on a vomies publiquement contre moi à Paris, dans la dernière assemblée du clergé. Le député de la province de Champagne dit à l’oreille du député de la province de Languedoc, que l’ennui et mes ouvrages étaient au rang des compossibles. Cette horreur a été répétée dans vingt-sept journaux. J’ai déjà répondu à cette calomnie abominable, dans ma Bibliothèque germanique, d’une manière victorieuse.

 

          Je distingue trois sortes d’ennuis : 1° L’ennui qui est fondé dans le caractère du lecteur, qu’on ne peut ni amuser ni persuader ; 2° l’ennui qui vient du caractère de l’auteur, et cela se subdivise en quarante-huit sortes ; 3° l’ennui provenant de l’ouvrage : cet ennui vient de la matière ou de la forme ; c’est pourquoi je reviens à M. Boullier, mon adversaire, que j’estimai toujours pour la conformité qu’il avait avec moi. Il fit, en 1730, son Âme des bêtes (10). Un mauvais plaisant dit à ce sujet que M. Boullier était un excellent citoyen, mais qu’il n’était pas assez instruit de l’histoire de son pays : cette plaisanterie est déplacée, comme il est prouvé dans le Journal helvétique, octobre 1739. Ensuite il donna ses admirables Pensées, sur les pensées qu’un homme avait données à propos des pensées d’un autre (11).

 

          On sait quel bruit cet ouvrage fit dans le monde. Ce fut à cette occasion que je conçus le premier dessein de mes Pensées raisonnables. J’apprends qu’un savant de Vittembert a écrit contre mon titre, et qu’il y trouve une double erreur. J’en ai écrit à M. Pitt, en Angleterre, et à milord Holderness ; je suis étonné qu’ils ne m’aient point fait de réponse. Je persiste dans le dessein de faire l’Encyclopédie tout seul (12) ; si M. Cahusac n’était pas mort, nous aurions été deux.

 

          J’oubliais un article assez important, c’est la fameuse réponse de M. Pfaff, recteur de l’université de Vittemberg (13), au révérend père Croust, recteur des révérends pères jésuites de Colmar. On en a fait coup sur coup trois éditions, et tous les savants ont été partagés. J’ai pleinement éclairci cette matière, et j’ai même quatre volumes sous presse, dans lesquels j’examine ce qui m’avait échappé. Ils coûteront trois livres le tome ; c’est marché donné.

 

          Il y a longtemps que je n’ai eu de nouvelles du célèbre professeur Vernet, connu dans tout l’univers par son zèle pour les manuscrits (14). Son Catéchisme chrétien, ainsi que mon Philosophe chrétien (15) et le Journal chrétien, sont les trois meilleurs ouvrages dont l’Europe puisse se vanter, depuis les Bigarrures du sieur Des Accords.

 

          Mais, jusqu’à présent, personne n’a assez approfondi le sens du fameux passage qu’on trouve dans la Vie de Pythagore, par le P. Gretser, dans son vingt-unième in-folio. Il s’est totalement trompé sur ce chapitre, comme je le prouve.

 

          Je reçois en ce moment, par le chariot de poste, les dix-huit tomes de la Théologie de notre illustre ami M. Onekre. J’en rendrai compte dans mon prochain journal. Il y a des souscripteurs qui me doivent plus de six mois ; je les prie de me lire et de me payer.

 

 

 

 

SATIRES - Lettre de M. FORMEY

 

1 – Ministre protestant, né à Utrecht en 1699, mort en 1759. Il écrivit contre Voltaire et tous les philosophes. (G.A.)

 

2 – Lettre de M. Gervaise Holmes à l’auteur de la Lettre sur les aveugles (Diderot), 1750. (G.A.)

 

3 – Citation pour rire. (G.A.)

 

4 – Autre bouffonnerie. (G.A.)

 

5 – Récollet, adversaire de Voltaire. Voyez le Russe à Paris. (G.A.)

 

6 – Même plaisanterie que ci-dessus. (G.A.)

 

7 – Dissertation imaginaire. (G.A.)

 

8 – Voltaire s’est souvent moqué de Cahusac, auteur d’une Histoire de la danse ancienne et moderne, et il ne pouvait pardonner aux encyclopédistes de l’avoir accepté pour collaborateur. Cahusac était mort en 1759. (G.A.)

 

9 – Voyez, sur Needham, aux FACÉTIES, Questions sur les miracles. (G.A.)

 

10 – Essai sur l’âme des bêtes, 1728. (G.A.)

 

11 – Défense des Pensées de Pascal (à propos des remarques de Voltaire sur les Pensées du même écrivain). (G.A.)

 

12 – Il voulait faire une Encyclopédie abrégée. (G.A.)

 

13 – Voyez dans SATIRES, Lettres de M. de Clocpitre à M. Eratou. (G.A.)

 

14 – Voltaire l’accuse dans une lettre à D’Alembert (1757) d’avoir volé des manuscrits. Voyez, sur Vernet, la Lettre curieuse de Robert Covelle. (G.A.)

 

15 – Voyez sur Le Franc de Pompignan, aux POÉSIES et aux FACÉTIES.

 

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