Quand François-Marie Arouet devient VOLTAIRE - Partie 1

Publié le par loveVoltaire

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CORRESPONDANCE GÉNÉRALE

 

 

 

AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION

 

 

 

 

 

 

 

            « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme ce sera moi. » Ainsi dit un jour Jean-Jacques Rousseau, tout débordant d’orgueil et de rancune, et patiemment, artistement, il composa ses fameuses Confessions.

 

Voltaire, lui, qui jamais ne songea à se confesser en forme à la postérité, mais qui ne cessa pas une minute de correspondre par écrit avec tel ou tel de ses contemporains, meurt en laissant dispersés aux quatre vents ses lettres et billets quotidiens, et voilà que ces feuilles, recueillies et publiées en bloc, nous montrent un homme bien autrement réel que le héros repentant de la plus habile et de la mieux filée de toutes les confessions posthumes.

 

         Jamais vie, en effet, n’a encore été mieux sue et n’a moins prêté à la légende que celle de Voltaire, car jamais homme n’a laissé plus de traces authentiques de ses moindres instants. Presque toujours exilé de Paris ou retenu par le travail dans la solitude, il lui fallait, pour la plus petite chose, jeter un mot à la poste, et ses actes ont ainsi été enregistrés par lui à l’heure même de leur accomplissement. Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a voulu, nous le voyons par ses lettres qui ne sont ni de rêverie ni de bavardage. Aussi est-ce la lecture la plus fortifiante à laquelle on puisse se livrer. Il n’y a pas là une seule ligne qui sente la dissipation, le découragement ou la lassitude. Le mot que Rousseau s’est appliqué à lui-même convient bien mieux à Voltaire : « Qu’un seul dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là. »

 

         A propos de l’étendue de cette CORRESPONDANCE, on a parlé souvent du caractère expansif du philosophe ; mais c’est surtout sa tactique de propagande qu’il aurait fallu signaler. Voltaire a le premier compris toute l’influence qu’une correspondance assidue et des confidences personnelles ont sur les esprits pour les gagner à la cause que l’on défend. Il opérait par ses lettres non moins que par ses livres, ses brochures et ses pièces de théâtre. Ce n’est pas qu’il y prêche pour endoctriner ; non, il écrit pour faire faire quelque chose à quelqu’un, il ne correspond que pour agir, et il lui suffit d’une phrase, d’un mot, sorte de coup de fouet qu’il redouble souvent trois ou quatre jours de suite, pour tenir son homme en éveil. Mais son bulletin est toujours rédigé dans la langue la plus franche, la plus souple, la plus harmonieuse qu’un Français puisse rêver. Aussi de son vivant, ses lettres passionnaient-elles ceux-là même qui n’avaient pas commerce avec le philosophe ; on se les arrachait dans les salons ; on les vendait sous le manteau dans les jardins publics.

 

         Combien Voltaire a-t-il écrit de ces lettres ? Voilà certes un problème qu’on ne résoudra jamais même par approximation. Si, pendant soixante ans, il ne passa pas un seul jour sans expédier quelques billets, il est difficile d’estimer le nombre qu’il en rédigea par jour. On en compte souvent vingt ou trente, mais de ces vingt ou trente c’est à peine si l’on en a recueilli trois ou quatre. Que sont devenus les autres ? Ou perdus à jamais, ou dispersés encore.

 

         Il est certain que beaucoup de lettres ont été égarées ou saisies avant même d’arriver à leurs adresses. Si Voltaire les envoyait la plupart du temps sous le couvert d’un homme en place et les signait d’un pseudonyme ou d’une simple initiale, cela n’empêchait pas la police de s’en emparer, de les reconnaître et de ne plus les rendre. A ces victimes de l’arbitraire, il faut ajouter celles qui ont été détruites pour l’amour de Dieu par des personnes pieuses, et nous aurons un assez beau chiffre à inscrire au bilan des pertes.

 

         Quant aux lettres qui sont encore inédites, il ne serait pas étonnant qu’elles égalassent en nombre celles qui ont figuré jusqu’ici dans les Œuvres complètes. Chaque année il s’en publie quelques-unes ; presque tous les dix ans, c’est le recueil entier d’une correspondance particulière qui voit le jour ; et, sans parler de la correspondance avec madame du Châtelet dont on ne connaît guère le sort, ni de la correspondance avec Turgot, qui doit dormir dans quelque coin, nous savons que plusieurs centaines de lettres de Voltaire sont tenues sous clef par de riches amateurs d’autographes. Quand tout cela paraîtra-t-il ou sera-t-il réuni aux Œuvres complètes ? Pas avant un siècle ou deux, sans doute. Les amateurs sont avares de leurs trésors, et la plupart des éditeurs se contentent trop volontiers de ce qu’ils ont sous la main.

 

         Quant à nous, qui nous sommes engagés, dès le début, à rendre notre édition aussi complète que possible, nous avons la bonne fortune de pouvoir offrir à nos lecteurs une CORRESPONDANCE GÉNÉRALE, augmentée de plus de treize cents lettres inédites. Il nous a été permis de puiser dans les précieux recueils que MM. A. François de Cayrol et Evariste Bavoux ont publiés, il y a quelques années (1), et nous avons usé de la permission sans la moindre réserve. Tout leur trésor a passé dans la CORRESPONDANCE GÉNÉRALE qu’on a là sous les yeux. Que ces honorables éditeurs veuillent bien, en faveur de l’œuvre, nous pardonner notre liberté grande, et accepter ici nos remerciements.

 

         Un mot de confession, maintenant, à propos de l’ordonnance de cette masse épistolaire. Il semble au premier coup d’œil que toutes ces lettres sont rangées dans l’ordre le plus parfait, et que le texte en est reproduit dans son entière pureté ; mais, hélas ! si l’on examine à la loupe toute cette collection, on reconnaît bien vite que le désordre règne dans un grand nombre de ses parties. Voltaire a souvent négligé de mettre à ses lettres le quantième, le mois ou l’année. Les éditeurs de Kehl, qui se sont chargés du premier classement, ont donc été forcés de disposer nombre de pièces à l’aveuglette, et bien des fois ils se sont trompés de place. Quand il était trop tard pour réparer l’erreur, ils n’ont eu garde de la signaler, et même ils ont préféré enlever, dans les lettres suivantes, les passages qui les auraient trahis. Mais ce n’est rien encore. Il leur a fallu aussi, par égard pour certains personnages, adoucir, émonder, sacrifier bien d’autres choses ; et ils ont jugé bon également, pour ne pas trop multiplier les billets ayant trois ou quatre lignes, d’en faire de vraies lettres en les cousant ensemble sans trop se soucier de leur date. C’est en retrouvant quelques originaux qu’on a pu, de nos jours, découvrir tout ce désordre. Il est grand, comme on voit, et il faudra bien des années avant que la CORRESPONDANCE GÉNÉRALE de Voltaire soit rétablie dans son état normal. Peut-être même devra-t-on attendre que la dernière lettre inédite ait été publiée. Il n’en faut pas moins, pourtant, s’employer dès aujourd’hui à la révision de l’œuvre. Quelques éditeurs ont déjà remédié à quelques-unes des fautes commises, et nous-mêmes nous avons vaillamment mis la main à ce travail réparateur. Espérons que les admirateurs du philosophe nous sauront gré de ces petits raccord et replâtrages.

 

 

Georges AVENEL.

 

 

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1 – Lettres inédites de Voltaire recueillies par M. de Cayrol et annotées par M. Alphonse François, précédées d’une préface de M. Saint-Marc Girardin, de l’Académie française ; deux volumes in-8°, Paris, Didier et compagnie, libraires-éditeurs.

 

Voltaire à Ferney. Sa correspondance avec la duchesse de Saxe-Gotha, suivie d’autres lettres et de notes pour Mézerai contre le P. Daniel, entièrement inédites, recueillies et publiées par MM. Evariste Bavoux, et A.F., 2° édition, augmentée de vingt-sept lettres inédites ;  un volume in-8° ; Paris, Didier et compagnie ; libraires-éditeurs. (G.A.)

 

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