ODE : La félicité des temps, ou l'éloge de la France

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LA FÉLICITÉ DES TEMPS,

 

OU L’ÉLOGE DE LA FRANCE.

 

 

 

(1)

 

 

 

− 1746 −

 

 

 

 

 

Est-il encor des satiriques

Qui, du présent toujours blessés,

Dans leurs malins panégyriques

Exaltent les siècles passés ;

Qui, plus injustes que sévères,

D’un crayon faux peignent leurs pères

Dégénérant de leurs aïeux,

Et leur contemporains coupables,

Suivis d’enfants plus condamnables,

Menacés de pires neveux ?

 

Silence, imposture outrageante ;

Déchirez-vous, voiles affreux ;

Patrie auguste et florissante,

Connais-tu des temps plus heureux ?

De la cime des Pyrénées

Jusqu’à ces rives étonnées

Où la Mort vole avec l’Effroi,

Montre ta gloire et ta puissance ;

Mais pour mieux connaître la France,

Qu’on la contemple dans son roi.

 

Quelquefois la grandeur trop fière,

Sur son front portant les dédains,

Foule aux pieds, dans sa marche altière,

Les rampants et faibles humains.

Les Prières humbles, tremblantes,

Pâles, sans force, chancelantes,

Baissant leurs yeux mouillés de pleurs,

Abordent ce monstre farouche,

Un indigne éloge à la bouche,

Et la haine au fond de leurs cœurs.

 

Favori du dieu de la guerre,

Héros dont l’éclat nous surprend,

De tous les vainqueurs de la terre

Le plus modeste et le plus grand.

O modestie ! ô douce image

De la belle âme du vrai sage !

Plus noble que la majesté,

Tu relèves le diadème,

Tu décores la valeur même,

Comme tu pares la beauté.

 

Nous l’avons vu ce roi terrible

Qui, sur des remparts foudroyés (2),

Présentait l’olivier paisible

A ses ennemis effrayés :

Tel qu’un dieu guidant les orages,

D’une main portant les ravages

Et les tonnerres destructeurs,

De l’autre versant la rosée

Sur la terre fertilisée,

Couverte de fruits et de fleurs.

 

L’airain gronde au loin sur la Flandre,

Il n’interrompt point nos loisirs,

Et quand sa voix se fait entendre,

C’est pour annoncer nos plaisirs ;

Les Muses en habit de fêtes,

De lauriers couronnant leurs têtes,

Eternisent ces heureux temps ;

Et, sous le bonheur qui l’accable,

La Critique est inconsolable

De ne plus voir de mécontents.

 

Venez, enfants des Charlemagne,

Paraissez, ombres des Valois ;

Venez contempler ces campagnes

Que vous désoliez autrefois :

Vous verrez cent villes superbes

Aux lieux où d’inutiles herbes

Couvraient la face des déserts,

Et sortir d’une nuit profonde

Tous les arts, étonnant le monde

De miracles toujours divers.

 

Au lieu des guerres intestines

De quelques brigands forcenés,

Qui se disputaient les ruines

De leurs vassaux infortunés,

Vous verrez un peuple paisible,

Généreux, aimable, invincible ;

Un prince au lieu de cent tyrans ;

Le joug porté sans esclavage,

Et la concorde heureuse et sage

Du roi, des peuples, et des grands.

 

Souvent un laboureur habile,

Par des efforts industrieux,

Sur un champ rebelle et stérile

Attira les faveurs des cieux ;

Sous ses mains la terre étonnée

Se vit de moissons couronnée

Dans le sein de l’aridité ;

Bientôt une race nouvelle

De ces champs préparés pour elle

Augmenta la fécondité.

 

Ainsi Pyrrhus après Achille

Fit encore admirer son nom ;

Ainsi le vaillant Paul-Emile

Fut suivi du grand Scipion ;

Virgile, au-dessus de Lucrèce,

Aux lieux arrosés du Permesse

S’éleva d’un vol immortel ;

Et Michel-Ange vit paraître,

Dans l’art que sa main fit renaître,

Les prodiges de Raphaël.

 

Que des vertus héréditaires

A jamais ornent ce séjour !

Vos avez imité vos pères,

Qu’on vous imite à votre tour.

Loin ce discours lâche et vulgaire,

Que toujours l’homme dégénère,

Que tout s’épuise et tout finit :

La Nature est inépuisable,

Et le Travail infatigable

Est un dieu qui la rajeunit.

 

 

 LA FELICITE DES TEMPS

 

 

 

 

1 – Voltaire, reçu à l’Académie le 9 Mai 1746 récita cette ode dans la séance publique du 25 Août. A cette époque, le roi se trouvait dans les Pays-Bas autrichiens à la tête d’une armée victorieuse. Voyez le chapitre XVIII du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

2 – A Anvers. (G.A.)

 

 

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