ODE : A la reine de Hongrie
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A LA REINE DE HONGRIE.
MARIE-THÉRÈSE D’AUTRICHE
(1)
− 1742 −
Fille de ces héros que l’Empire eut pour maîtres,
Digne du trône auguste où l’on vit les ancêtres,
Toujours près de leur chute et toujours affermis,
Princesse magnanime,
Qui jouis de l’estime
De tous tes ennemis.
Le Français généreux, si fier et si traitable,
Dont le goût pour la gloire est le seul goût durable,
Et qui vole en aveugle où l’honneur le conduit,
Inonde ton empire,
Te combat et t’admire,
T’adore et te poursuit.
Par des nœuds étonnants l’altière Germanie,
A l’empire français malgré soi réunie,
Fait de l’Europe entière un objet de pitié (2) ;
Et leur longue querelle
Fut cent fois moins cruelle
Que leur triste amitié.
Ainsi de l’équateur et des antres de l’Ourse
Les vents impétueux emportent dans leur course
Des nuages épais l’un à l’autre opposés ;
Et tandis qu’ils s’unissent,
Les foudres retentissent
De leurs flancs embrasés.
Quoi ! des rois bienfaisants ordonnent ces ravages !
Ils annoncent le calme, ils forment les orages !
Ils prétendent conduire à la félicité
Les nations tremblantes,
Par les routes sanglantes
De la calamité !
O vieillard vénérable (3), à qui les destinées
Ont de l’heureux Nestor accordé les années,
Sage que rien n’alarme et que rien n’éblouit,
Veux-tu priver le monde
De cette paix profonde
Dont ton âme jouit ?
Ah ! s’il pouvait encore, au gré de sa prudence,
Tenant également le glaive et la balance,
Fermer, par des ressorts aux mortels inconnus,
De sa main respectée,
La porte ensanglantée
Du temple de Janus !
Si de l’or des Français les sources égarées,
Ne fertilisant plus de lointaines contrées,
Rapportaient l’abondance au sein de nos remparts,
Embellissaient nos villes,
Arrosaient les asiles
Où languissent les arts !
Beaux-Arts, enfants du Ciel, de la Paix et des Grâces,
Que Louis en triomphe amena sur ses traces,
Ranimez vos travaux, si brillants autrefois,
Vos mains découragées,
Vos lyres négligées,
Et vos tremblantes voix.
De l’immortalité vos succès sont le gage.
Tous ces traités rompus et suivis du carnage,
Ces triomphes d’un jour, si vains, si célébrés,
Tout passe et tout retombe
Dans la nuit de la tombe ;
Et vous seuls demeurez.
1 – Ceci est une ode de diplomate. Elle fut faite le 30 Juin 1742, au moment où le cardinal Fleury cherchait à se rapprocher de l’Autriche, qu’il combattait malgré lui. On sait que, deux mois et demi après, la politique cauteleuse de Fleury avait été éventée par l’Autriche elle-même, Voltaire fut envoyé en mission secrète auprès du roi de Prusse. Voyez, sur toutes ces affaires, la CORRESPONDANCE à cette époque, et le chap. VII du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)
2 – La France soutenait Charles-Albert de Bavière contre Marie-Thérèse. (G.A.)
3 – Voyez, le commencement du chap. XVI du Précis du Siècle de Louis XV. On y trouve la raison de cette ode. (G.A.)