LA PUCELLE D'ORLEANS : Avertissement
Jeanne d'Arc
(1412 - 1431)
LA PUCELLE D’ORLÉANS,
POÈME EN VINGT ET UN CHANTS.
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AVERTISSEMENT POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.
Un jour de 1730, Voltaire soupant chez Richelieu, on parla de Chapelain, et tous les convives déclarèrent que rien n’était plus ridicule que son poème sur la Pucelle. Vous vous en seriez mieux tiré, dit-on à l’auteur de la Henriade ; mais celui-ci avoua qu’il ne le pensait pas, que le sujet n’avait rien d’épique et ne pouvait convenir qu’au genre badin, comme le Roland furieux. Tous alors de l’inviter à prouver son dire par l’exemple même, et, quelques semaines après, Voltaire leur faisait lecture de quatre chants héroï-comiques sur Jeanne.
Telle est l’origine bien simple de la fameuse Pucelle. Il ne s’agissait pas là, comme on voit, d’un projet sacrilège, d’une profanation nationale, mais d’une question purement esthétique. Sans Chapelain, Voltaire n’eût chanté.
Il est même croyable que le poète n’aurait pas poussé plus loin le badinage, s’il n’y avait été encouragé par les applaudissements de ses amis des deux sexes, et s’il n’avait bientôt senti dans cette débauche d’esprit, dans cette gaieté poétique, la distraction la plus salutaire et la plus à sa main qu’un homme de cabinet pût prendre sous le poids des lourds travaux scientifiques et d’histoire dont alors il s’était surchargé.
De 1730 à 1760, cette Pucelle fut, en effet, la compagne idéale du grand homme. Après un mémoire sur les forces motrices ou sur le feu, après quelques pages sur les croisades ou sur le saint Empire, c’était sa Jeanne que, fatigué, Voltaire évoquait, et avec laquelle il s’ébattait dans le silence des nuits. S’il fuyait de Berlin et courait les grandes routes sans trop savoir où prendre gîte, c’était Jeanne encore qui se trouvait à ses côtés et qui le consolait des infortunes du jour. A elle seule, peut-être devons-nous attribuer cette longue santé d’esprit que Voltaire conserva en dépit des plus rudes fatigues, et cette égalité d’âme qu’il retrouvait toujours à la suite des plus violentes secousses. Il ne se sépara d’elle que le jour où, réfugié en Suisse, il épousa la liberté. Aussi dirons-nous que si la Pucelle historique du moyen-âge a mérité des autels civiques pour avoir sauvé la France, c’est sottise que de jeter la pierre à la Pucelle poétique du dix-huitième siècle, qui maintint, pendant trente ans, claire et sereine la plus haute intelligence dont s’honore l’humanité de notre âge.
Ce poème n’est donc pas la satire des mœurs et des héros du temps jadis : il n’a rien d’archéologique. Il nous montre, au contraire, la vie des cours, des rois et des prêtres de l’époque voltairienne. En lisant la Pucelle, les contemporains du poète ne songeaient qu’à Louis XV, à la Châteauroux, à la Pompadour, aux jansénistes, aux jésuites, etc. ; ils ne s’étonnaient pas de voir Charles VII rencontrer sur sa route les Fréron, les La Beaumelle et autres ennemis des philosophes, de même qu’en face de ces peintures vivantes, ils ne s’inquiétaient non plus si le poème avait un plan ou une fin ; car chaque page intéressait, et on le lisait par pages, comme Voltaire l’avait composé. Tout le monde du dix-huitième siècle s’en nourrit, y compris Marie-Antoinette, y compris Malesherbes, y compris nos pères de 89 et de 93, qui à table, au camp, à la tribune, dans les journaux, prenaient volontiers leurs traits dans la Pucelle.
Ce fut au moment de la réaction contre le dix-huitième siècle qu’on s’avisa de crier à la profanation ; et celui qui donna le signal fut, comme toujours, l’homme qui devait le plus à Voltaire, le renégat La Harpe. Bientôt s’ajoutèrent au chœur hypocrite des repentis, les voix béates des romantiques de la Restauration, et c’en fut fait de la Pucelle voltairienne. On crut réellement que l’auteur de l’Essai sur les mœurs avait voulu commettre un sacrilège national, lui qui n’avait cessé de réclamer l’apothéose pour l’héroïne d’Orléans.
On n’a aucun texte parfaitement pur de la Pucelle. La version officielle publiée par Voltaire en 1762 est différente de celle des éditions clandestines ; il y a même des chants entiers de supprimés. Nous donnerons donc plusieurs variantes, mais en ayant soin de reproduire surtout celles qui ont un intérêt philosophique ou historique.
GEORGES AVENEL.