ERIPHYLE - Partie 8 : Acte cinquième

Publié le par loveVoltaire

ERIPHYLE---ACTE-CINQ.jpg

Photo de KHALAH

 

 

 

 

 

É R I P H Y L E

 

 

 

ACTE CINQUIÈME.

 

(1)

 

 

(Sur un côté du parvis on voit, dans l’intérieur du temple de Jupiter, des vieillards et de jeunes enfants qui embrassent un autel ; de l’autre côté la reine, sortant de son palais, soutenue par ses femmes, est bientôt suivie et entourée d’une foule d’Argiens des deux sexes qui viennent partager sa douleur.)

 

 

SCÈNE I.

 

_______

 

ÉRIPHYLE, ZÉLONIDE, LE CHŒUR.

 

_______

 

 

 

ZÉLONIDE

 

Oui, les dieux irrités nous perdent sans retour ;

Argos n’est plus ; Argos a vu son dernier jour,

Et la main d’Hermogide en ce moment déchire

Les restes malheureux de ce puissant empire.

De tous ses partisans l’adresse et les clameurs

Ont égaré le peuple et séduit tous les cœurs.

Le désordre est partout ; la discorde, la rage,

D’une vaste cité font un champ de carnage ;

Les feux sont allumés, le sang coule en tous lieux,

Sous les murs du palais, dans les temples des dieux ;

Et les soldats sans frein, en proie à leur furie,

Pour se donner un roi renversent la patrie.

Vous voyez devant vous ces vieillards désolés

Qu’au pied de nos autels la crainte a rassemblés,

Ces vénérables chefs de nos tristes familles,

Ces enfants éplorés, ces mères et ces filles

Qui cherchent en pleurant d’inutiles secours

Dans le temple des dieux armés contre nos jours.

 

ÉRIPHYLE, aux femmes qui l’entourent.

 

Hélas ! De mes tourments compagnes gémissantes,

Puis-je au ciel avec vous lever mes mains tremblantes ?

J’ai fait tous vos malheurs ; oui, c’est moi qui sur vous

Des dieux que j’offensai fais tomber le courroux.

Oui, vous voyez la mère, hélas ! la plus coupable,

La mère la plus tendre et la plus misérable.

 

LE CHOEUR

 

Vous, madame !

 

ÉRIPHYLE

 

Alcméon, ce prince, ce héros

Qui soutenait mon trône et qui vengeait Argos,

Lui pour qui j’allumais les flambeaux d’Hyménée,

Lui pour qui j’outrageais la nature étonnée,

Lui dont l’amitié tendre abusait mes esprits…

 

LE CHOEUR

 

Ah ! Qu’il soit votre époux !

 

ÉRIPHYLE

 

Peuples, il est mon fils.

 

LE CHOEUR

 

Qui ! Lui ?

 

ÉRIPHYLE

 

D’Amphiaraüs c’est le précieux reste.

L’horreur de mon destin l’entraînait à l’inceste :

Les dieux au bord du crime ont arrêté ses pas.

Dieux, qui me poursuivez, ne l’en punissez pas !

Rendez ce fils si cher à sa mère éplorée ;

Sa mère fut cruelle et fut dénaturée ;

Que mon cœur est changé ! Dieux ! Si le repentir

Fléchit votre vengeance et peut vous attendrir,

Ne pourrai-je attacher sur sa tête sacrée

Cette couronne, hélas ! que j’ai déshonorée ?

Qu’il règne, il me suffit, dût-il en sa fureur…

 

 

1 – Ce cinquième acte ne ressemble en rien à l’acte primitif. (G.A.)

 

 

 

SCÈNE II.

 

_______

 

ÉRIPHYLE, ZÉLONIDE, THÉANDRE, LE CHŒUR.

 

_______

 

 

ÉRIPHYLE

 

Ah ! Mon fils est-il roi ? Mon fils est-il vainqueur ?

 

THÉANDRE

 

Il le sera, du moins si nos dieux équitables

Secourent l’innocence et perdent les coupables ;

Mais jusqu’à ce moment son rival odieux

A partagé l’armée, et le peuple, et nos dieux.

Hermogide ignorait qu’il combattait son maître :

Le peuple doute encor du sang qui l’a fait naître ;

Quelques-uns à grands cris le nommaient votre époux ;

Les autres s’écriaient qu’il était né de vous.

Il ne pouvait, madame, en ce tumulte horrible,

Eclaircir à leurs yeux la vérité terrible.

Il songeait à combattre, à vaincre, à vous venger ;

Mais entouré des siens qu’on venait d’égorger,

De ses tristes sujets déplorant la misère,

Avec le nom de roi prenant un cœur de père,

Il se plaignait aux dieux que le sang innocent

Souillait le premier jour de son règne naissant.

Il s’avance aussitôt ; ses mains ensanglantées

Montrent de l’olivier les branches respectées.

Ce signal de la paix étonne les mutins,

Et leurs traits suspendus s’arrêtent dans leurs mains.

« Amis, leur a-t-il dit, Argos et nos provinces

Ont gémi trop longtemps des fautes de leurs princes ;

Sauvons le sang du peuple, et qu’Hermogide et moi

Attendent de ses mains le grand titre de roi.

Voyons qui de nous deux est plus digne de l’être.

Oui, peuple, en quelque rang que le ciel m’ait fait naître,

Mon cœur est au-dessus ; et ce cœur aujourd’hui

Ne veut qu’une vengeance aussi noble que lui.

Pour le traître et pour moi choisissez une escorte

Qui du temple d’Argos environne la porte .

Et toi, viens, suis mes pas sur ce tombeau sacré,

Sur la cendre d’un roi par tes mains massacré.

Combattons devant lui, que son ombre y décide

Du sort de son vengeur et de son parricide. »

Ah ! madame, à ces mots ce monstre s’est troublé ;

Pour la première fois Hermogide a tremblé.

Bientôt il se ranime, et cette âme si fière

Dans ses yeux indignés reparaît tout entière,

Et bravant à la fois le ciel et les remords :

« Va, dit-il, je ne crains ni les dieux ni les morts,

Encor moins ton audace ; et je vais te l’apprendre

Au pied de ce tombeau qui n’attend que ta cendre. »

Il dit ; un nombre égal de chefs et de soldats

Vers ce tombeau funeste accompagne leurs pas ;

Et moi des justes dieux conjurant la colère,

Je viens joindre mes vœux aux larmes d’une mère.

Puisse le ciel vengeur être encor le soutien

De votre auguste fils, qui fut longtemps le mien.

 

ÉRIPHYLE

 

Quoi ! Seul et sans secours il combat Hermogide ?

 

THÉANDRE

 

Oui, madame.

 

ÉRIPHYLE

 

Mon fils se livre à ce perfide !

Mon fils, cher Alcméon ! mon cœur tremble pour toi ;

Le cruel te trahit s’il t’a donné sa foi.

Ta jeunesse est crédule, elle est trop magnanime ;

Hermogide est savant dans l’art affreux du crime,

Dans ses pièges sans doute il va t’envelopper.

Sa seule politique est de savoir tromper.

Crains sa barbare main par le meurtre éprouvée,

Sa main de tout ton sang dès longtemps abreuvée.

Allons, je préviendrai ce lâche assassinat ;

Courons au lieu sanglant choisi pour le combat.

Je montrerai mon fils.

 

THÉANDRE

 

Reine trop malheureuse !

Osez-vous approcher de cette tombe affreuse ?

Les morts et les vivants y sont vos ennemis.

 

ÉRIPHYLE

 

Que vois-je ? Quel tumulte ! on a trahi mon fils !

 

 

SCÈNE III.

 

_______

 

ÉRIPHYLE, ALCMÉON, HERMOGIDE, THÉANDRE, SOLDATS

 

Qui entrent sur la scène avec HERMOGIDE.

 

_______

 

 

ÉRIPHYLE, aux soldats d’HERMOGIDE

 

Cruels, tournez sur moi votre inhumaine rage.

 

ALCMÉON

 

J’espère en la vertu, j’espère en mon courage.

 

HERMOGIDE, aux siens.

 

Amis, suivez-moi tous, frappez, imitez-moi.

 

ALCMÉON, aux siens.

 

Vertueux citoyens, secondez votre roi.

 

 

(Alcméon, Hermogide, entrent avec leur escorte dans le temple où est le tombeau d’Amphiaraüs.)

 

 

ÉRIPHYLE, aux soldats qu’elle suit.

 

O peuples, écoutez votre reine et sa mère !

 

 

(Elle entre après eux dans le temple.)

 

 

 

SCÈNE IV.

 

_______

 

THÉANDRE, LE CHŒUR.

 

 

_______

 

 

THÉANDRE

 

Reine, arrête ! Ou vas-tu ! crains ton destin sévère.

Ciel ! Remplis ta justice, et nos maux sont finis ;

Mais pardonne à la mère et protège le fils.

Ah ! Puissent les remords dont elle est consumée

Eteindre enfin ta foudre à nos yeux allumée !

Impénétrables dieux ! est-il donc des forfaits

Que vos sévérités ne pardonnent jamais !

Vieillards, qui, comme moi, blanchis dans les alarmes,

Pour secourir vos rois n’avez plus que des larmes,

Vous, enfants réservés pour de meilleurs destins ;

Levez aux dieux cruels vos innocentes mains.

 

LE CHŒUR

 

O vous, maîtres des rois et de la destinée,

Epargnez une reine assez infortunée :

Ses crimes, s’il en est, nous étaient inconnus.

Nos cœurs reconnaissants attestent ses vertus.

 

THÉANDRE

 

Entendez-vous ces cris ? … Polémon…

 

 

SCÈNE V.

 

_______

 

 

THÉANDRE, POLÉMON, LE CHŒUR,

 

qui se compose du peuple, des ministres du temple, de soldats.

 

_______

 

 

POLÉMON

 

Cher Théandre…

 

THÉANDRE

 

Quel désastre ou quel bien venez-vous nous apprendre ?

Quel est le sort du prince ?

 

POLÉMON

 

Il est rempli d’horreur.

 

THÉANDRE

 

Les dieux l’ont-ils trahi ?

 

POLÉMON

 

Non : son bras est vainqueur.

 

THÉANDRE

 

Eh bien !

 

POLÉMON

 

Ah ! De quel sang sa victoire est ternie

Par quelles mains, ô ciel ! Eriphyle est punie !

Dans l’horreur du combat, son fils, son propre fils…

Vous conduisez ses coups, dieux toujours ennemis !

J’ai vu, n’en doutez point, une horrible Furie

D’un héros malheureux guider le bras impie.

Il vole vers sa mère ; il ne la connaît pas,

Il la traîne, il la frappe… O jour plein d’attentats (1) !

O triste arrêt des dieux, cruel, mais légitime !

Tout est rempli, le crime est puni par le crime.

Ministre infortuné des décrets du destin,

Lui seul ignore encor les forfaits de sa main.

Hélas ! Il goûte en paix sa victoire funeste.

 

 

SCÈNE VI.

 

_______

 

ALCMÉON, HERMOGIDE, THÉANDRE, POLÉMON,

SUITE D’ALCMÉON, SOLDATS D’HERMOGIDE, CAPTIFS, LE CHŒUR.

 

_______

 

 

ALCMÉON, à ses soldats.

 

Enchainez ce barbare, épargnez tout le reste ;

Il a trop mérité ces supplices cruels

Réservés par nos lois pour les grands criminels ;

Sa perte par mes mains serait trop glorieuse :

Ainsi que ses forfaits que sa mort soit honteuse.

 

(A Hermogide)

 

Et pour finir ta vie avec plus de douleur,

Traître, vois, en mourant, ton roi dans ton vainqueur.

Tes crimes sont connus, ton supplice commence.

Vois celui dont ta rage avait frappé l’enfance ;

Vois le fils de ton roi.

 

HERMOGIDE

 

Son fils ! Ah ! Dieu vengeurs !

Quoi ! J’aurais cette joie au comble des malheurs !

Quoi ! Tu serais son fils ! Est-il bien vrai ?

 

ALCMÉON

 

Perfide !

Qui peut te transporter ainsi ?

 

HERMOGIDE

 

Ton parricide.

 

ALCMÉON

 

Qu’on suspende sa mort … Arrête, éclaircis moi,

Ennemi de mon sang…

 

HERMOGIDE

 

Je le suis moins que toi.

Va, je te crois son fils, et ce nom doit me plaire ;

Je suis vengé : tu viens d’assassiner ta mère.

 

ALCMÉON

 

Monstre !

 

HERMOGIDE

 

Tourne les yeux : je triomphe de toi, je voi

Que vous êtes tous deux plus à plaindre que moi.

Je n’ai plus qu’à mourir.

 

(On l’emmène.)

 

 

1 – Il y a là encore une réminiscence d’Hamlet ; mais on s’en rendra mieux compte dans Sémiramis. (G.A.)

 

 

 

SCÈNE VII.

 

_______

 

 

ALCMÉON, ÉRIPHYLE, THÉANDRE, ZÉLONIDE,

SUITE DE LA REINE, LE CHŒUR.

 

_______

 

 

 

ALCMÉON

 

Ah ! Grands dieux ! Quelle rage !

 

(Il aperçoit Eriphyle.)

 

Malheureux !... quel objet !... que vois-je ?

 

ÉRIPHYLE, soutenue par ses femmes.

 

Ton ouvrage,

Ma main, ma faible main volait à ton secours ;

Je voulais te défendre, et tu tranches mes jours.

 

ALCMÉON

 

Qui ! moi ! J’aurais sur vous porté mon bras impie !

Moi ! qui pour vous cent fois aurais donné ma vie !

Ma mère ! vous mourez !

 

ÉRIPHYLE

 

Je vois à ta douleur

Que les dieux malgré toi conduisaient ta fureur,

Du crime de ton bras ton cœur n’est pas complice ;

Ils égaraient tes sens pour hâter mon supplice.

Je te pardonne…

 

ALCMÉON

 

Ah ! Dieux !

 

(A sa suite.)

 

Courez… qu’un prompt secours…

 

ÉRIPHYLE

 

Epargne-toi le soin de mes coupables jours.

Je ne demande point de revoir la lumière ;

Je finis sans regret cette horrible carrière…

Approche-toi, du moins ; malgré mes attentats,

Laisse-moi la douceur d’expirer dans tes bras.

Ferme ces tristes yeux qui s’entr’ouvrent à peine.

 

ALCMÉON, se jetant aux genoux d’Eriphyle.

 

Ah ! j’atteste des dieux la vengeance inhumaine,

Je jure par mon crime et par votre trépas

Que mon sang à vos yeux…

 

ÉRIPHYLE

 

Mon fils, n’achève pas.

 

ALCMÉON

 

Moi ! votre fils ! qui moi ! ce monstre sanguinaire !

 

ÉRIPHYLE

 

Va, tu ne fus jamais plus chéri de ta mère.

Je vois ton repentir… il pénètre mon cœur…

Le mien n’a pu des dieux apaiser la fureur.

Un moment de faiblesse, et même involontaire,

A fait tous mes malheurs, a fait périr ton père…

Souviens-toi des remords qui troublaient mes esprits…

Souvient-toi de ta mère… ô mon fils… mon cher fils !...

C’en est fait.

(Elle meurt.)

 

ALCMÉON

 

Sois content, impitoyable père !

Tu frappes par mes mains ton épouse et ma mère.

Viens combler mes forfaits, viens la venger sur moi,

Viens t’abreuver du sang que j’ai reçu de toi.

Je succombe, je meurs, la rage est assouvie.

 

(Il tombe évanoui.)

 

THÉANDRE

 

Secourez Alcméon, prenez soin de sa vie.

Que de ce jour affreux l’exemple menaçant

Rende son cœur plus juste, et son règne plus grand !

 

 

ERIPHYLE - ACTE CINQ 

 

 

F I N.

 

 

Publié dans Théâtre

Commenter cet article