EPITRE : A M. le duc de Sully

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A M. LE DUC DE SULLY

 

 

– 1720 –

 

 

 

 

 

J’irai chez vous, duc adorable,

Vous dont le goût, la vérité,

L’esprit, la candeur, la bonté,

Et la douceur inaltérable,

Font respecter la volupté,

Et rendent la sagesse aimable.

Que dans ce champêtre séjour

Je me fais un plaisir extrême

De parler sur la fin du jour,

De vers de musique, et d’amour,

Et pas un seul mot du système (1),

De ce système tant vanté,

Par qui nos héros de finance

Emboursent l’argent de la France,

Et le tout par pure bonté !

Pareils à la vieille sibylle

Dont il est parlé dans Virgile,

Qui, possédant pour tout trésor

Des recettes d’énergumène,

Prend du Troyen le rameau d’or

Et lui rend des feuilles de chêne.

Peut-être, les larmes aux yeux,

Je vous apprendrai pour nouvelle

Le trépas de ce vieux goutteux

Qu’anima l’esprit de Chapelle :

L’éternel abbé de Chaulieu

Paraîtra bientôt devant Dieu,

Et si d’une muse féconde

Les vers aimables et polis

Sauvent une âme en l’autre monde,

Il ira droit en paradis.

L’autre jour, à son agonie,

Son curé vint de grand matin

Lui donner en cérémonie,

Avec son huile et son latin,

Un passeport pour l’autre vie.

Il vit tous ses péchés lavés

D’un petit mot de pénitence,

Et reçut ce que vous savez

Avec beaucoup de bienséance (2).

Il fit même un très beau sermon,

Qui satisfit tout l’auditoire.

Tout haut il demanda pardon

D’avoir eu trop de vaine gloire.

C’était là, dit-il, le péché

Dont il fut le plus entiché ;

Car on sait qu’il était poète,

Et que sur ce point tout auteur,

Ainsi que tout prédicateur,

N’a jamais eu l’âme bien nette.

Il sera pourtant regretté,

Comme s’il eût été modeste.

Sa perte au Parnasse est funeste :

Presque seul il était resté

D’un siècle plein de politesse.

On dit qu’aujourd’hui la jeunesse

A fait à la délicatesse

Succéder la grossièreté,

La débauche à la volupté,

Et la vaine et lâche paresse

A cette sage oisiveté

Que l’étude occupait sans cesse,

Loin de l’envieux irrité.

Pour notre petit Genonville,

Si digne du siècle passé,

Et des faiseurs de vaudeville,

Il me paraît très empressé

D’abandonner pour vous la ville.

Le système n’a point gâté

Son esprit aimable et facile ;

Il a toujours le même style,

Et toujours la même gaieté.

Je sais que, par déloyauté,

Le fripon naguère a tâté

De la maîtresse tant jolie

Dont j’étais si fort entêté (3).

Il rit de cette perfidie,

Et j’aurais pu m’en courroucer :

Mais je sais qu’il faut se passer

Des bagatelles dans la vie.

 

 

EPITRE-A M. LE DUC DE SULLY

 

 

 

 

1 –Le système de Law, qui bouleversa la France. (G.A.)

 

2 – J.-B. Rousseau trouvait qu’on ne devait pas traiter d’une façon aussi cavalière le plus auguste des sacrements. (G.A.)

 

3 – Voyez l’Epître à la Faluère de Genonville. (G.A.)

 

 

 

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