DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme ANECDOTE SINGULIERE sur le Père Fouquet

Publié le par loveVoltaire

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A comme ANECDOTE SINGULIÈRE,

 

SUR LE PÈRE FOUQUET, CI-DEVANT JÉSUITE.

 

 

 

[Ce morceau est inséré en partie dans les Lettres juives.]

 

 

 

 

 

 

         En 1723, le Père Fouquet, jésuite, revint en France, de la Chine où il avait passé vingt-cinq ans. Des disputes de religion l’avaient brouillé avec ses confrères. Il avait porté à la Chine un Evangile différent du leur, et rapportait en Europe des mémoires contre eux. Deux lettrés de la Chine avaient fait le voyage avec lui. L’un de ces lettrés était mort sur le vaisseau ; l’autre vint à Paris avec le P. Fouquet. Ce jésuite devait emmener son lettré à Rome, comme un témoin de la conduite de ces bons pères à la Chine. La chose était secrète.

 

         Fouquet et son lettré logeaient à la maison professe, rue Saint-Antoine à Paris. Les révérends pères furent avertis des intentions de leur confrère. Le père Fouquet sut aussi incontinent les desseins des révérends pères ; il ne perdit pas un moment, et partit la nuit en poste pour Rome.

 

         Les révérends pères eurent le crédit de faire courir après lui. On n’attrapa que le lettré. Ce pauvre garçon ne savait pas un mot de français. Les bons pères allèrent trouver le cardinal Dubois, qui alors avait besoin d’eux. Ils dirent au cardinal qu’ils avaient parmi eux un jeune homme qui était devenu fou, et qu’il fallait l’enfermer.

 

         Le cardinal, qui par intérêt eût dû le protéger, sur cette seule accusation, donna sur-le-champ une lettre de cachet, la chose du monde dont un ministre est quelquefois le plus libéral.

 

         Le lieutenant de police vint prendre ce fou qu’on lui indiqua ; il trouva un homme qui faisait des révérences autrement qu’à la française, qui parlait comme en chantant, et qui avait l’air tout étonné. Il le plaignit beaucoup d’être tombé en démence, le fit lier et l’envoya à Charenton  où il fut fouetté, comme l’abbé Desfontaines, deux fois par semaine.

 

         Le lettré chinois ne comprenait rien à cette manière de recevoir les étrangers. Il n’avait passé que deux ou trois jours à Paris ; il trouvait les mœurs des Français assez étranges ; il vécut deux ans au pain et à l’eau entre des fous et des pères correcteurs. Il crut que la nation française était composée de ces deux espèces, dont l’une dansait, tandis que l’autre fouettait l’espèce dansante.

 

Enfin au bout de deux ans le ministère changea ; on nomma un nouveau lieutenant de police. Ce magistrat commença son administration par aller visiter les prisons. Il vit les fous de Charenton. Après qu’il se fut entretenu avec eux, il demanda s’il ne restait plus personne à voir. On lui dit qu’il y avait encore un pauvre malheureux, mais qu’il parlait une langue que personne n’entendait.

 

Un jésuite, qui accompagnait le magistrat, dit que c’était la folie de cet homme de ne jamais répondre en français, qu’on n’en tirerait rien, et qu’il conseillait qu’on ne se donnât pas la peine de le faire venir.

 

Le magistrat, qui avait entendu dire autrefois qu’il y a une province de la Chine appelée Kanton, s’imagina que cet homme en était peut-être. On fit venir un interprète des missions étrangères, qui écorchait le chinois ; tout fut reconnu ; le magistrat ne sut que faire, et le jésuite que dire. M. le duc de Bourbon était alors premier ministre ; on lui conta la chose ; il fit donner de l’argent et des habits au Chinois, et on le renvoya dans son pays, d’où l’on ne croit pas que beaucoup de lettrés viennent jamais nous  voir.

 

Il eût été plus politique de le garder et de le bien traiter que de l’envoyer donner à la Chine la plus mauvaise opinion de la France.

 

 

 

 

 

 

 

 ANECDOTE SINGULIERE

 

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