CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - 1743 - Partie 51

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214 – DE VOLTAIRE

 

 

 

 

C’est vous qui savez captiver

Mon cœur aux autres rois rebelle ;

C’est vous en qui je dois trouver

Une douceur toujours nouvelle :

C’est chez vous qu’il faut achever

Ma vieille Histoire universelle,

Dépuceler, enjoliver,

Dans vingt chants, Jeanne La Pucelle.

Et surtout à jamais braver des Dévots l’infâme séquelle.

 

 

Je partirai donc, mon adorable maître, pour revenir, dès que j’aurai mis ordre à mes affaires. Je vous parle avec ma franchise ordinaire. J’ai cru m’apercevoir que je vous serais moins agréable si je venais ici avec d’autres, et je vous avoue qu’appartenant uniquement à votre majesté, j’aurai l’âme plus à l’aise.

 

Je n’ambitionne point du tout d’être chargé d’affaires comme Destouches et Prior, deux poètes qui ont fait deux paix entre la France et l’Angleterre (1). Vous ferez ce qu’il vous plaira avec tous les rois de ce monde, sans que je m’en mêle ; mais je vous conjure instamment de m’écrire un mot que je puisse montrer au roi de France.

 

Vous lui reprochez, dans la lettre que vous daignâtes m’écrire de Potsdam (2), qu’il laisse l’empereur dans la dernière misère, et qu’il fait à Mayence des insinuations contre vos intérêts. Depuis cette lettre écrite, votre majesté a su que le roi de France a donné des subsides à l’empereur, et vous ne doutez pas, je crois, à présent, que ce Halzel, qui a négocié ou plutôt brouillé à Mayence, ne soit un téméraire qui serait puni si vous le vouliez. Soyez donc un peu plus content ; et daignez, je vous en conjure, m’écrire seulement quatre lignes en général.

 

Je ne demande autre chose, sinon que vous êtes satisfait aujourd’hui des dispositions de la France, que personne ne vous a jamais fait un portrait aussi avantageux de son roi, que vous me croyez d’autant plus que je ne vous ai jamais trompé, et que vous êtes bien résolu à vous lier avec un prince aussi sage et aussi ferme que lui.

 

 

Ces mots vagues ne vous engagent à rien, et j’ose dire qu’ils feront un très bon effet ; car si on vous a fait des peintures peu honorables du roi de France, je dois vous assurer qu’on vous a peint à lui sous les couleurs les plus noires, et assurément on n’a rendu justice ni à l’un ni à l’autre. Permettez donc que je profite de cette occasion si naturelle pour rendre l’un à l’autre deux monarques si chers et si estimables. Ils feront de plus le bonheur de ma vie ; je montrerai votre lettre au roi, et je pourrai obtenir la restitution d’une partie de mon bien (4), que le bon cardinal m’a ôté, je viendrai ici dépenser ce bien que je vous devrai.

 

Soyez très persuadé du bon effet qu’elle fera : je ne serai point suspect, et ce sera le second de mes beaux jours, que celui où je pourrai dire au roi tout ce que je pense de votre personne. Pour le premier de mes jours, ce sera celui où je viendrai m’établir à vos pieds, et commencer une nouvelle vie qui ne sera que pour vous.

 

 

1 – Prior, la paix d’Utrecht, 1712; et Destouches, celle de la quadruple alliance, 1718. Quoi que dise ici Voltaire, il ambitionnait le rôle de poète-diplomate. (G.A.)

 

2 -  15 Septembre. (G.A.)

 

3 – Ses pensions. (G.A.)

 

4 – Nous imprimons cette pièce sur une copie au bas de laquelle est écrit, de la main de Beaumarchais :

 

« Je certifie cette lettre et la réponse exactement conformes à l’original écrit de la main de Voltaire et de Frédéric, lequel est entre mes mains.

 

Ce 9 thermidor an VI de la république française.

 

Signé , Caron BEAUMARCHAIS. »

 

On peut considérer cette pièce comme un spécimen des notes échangées entre Voltaire et Frédéric relativement à l’alliance française. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

215 – DE VOLTAIRE AU ROI DE PRUSSE,

 

AVEC LES RÉPONSES DE CELUI-CI EN MARGE

 

 

(1)

 

 

         Votre majesté aurait-elle assez de bonté pour mettre en marge ses réflexions et ses ordres ?

 

 

VOLTAIRE

FRÉDÉRIC

 

 

1°/ Votre majesté saura que le sieur Bassecour, premier bourgmestre d’Amsterdam, est venu prier M. de Laville, ministre de France, de faire des propositions de paix. Laville a répondu que si les Hollandais avaient des offres à faire, le roi son maître pourrait les écouter.

 

 

 

2°/ N’est-il pas clair que le parti pacifique l’emportera infailliblement en Hollande, puisque Bassecour, l’un des plus déterminés à la guerre, commence à parler de paix ? N’est-il pas clair que la France montre de la vigueur et de la sagesse ?

 

 

 

3°/ Dans ces circonstances, si votre majesté parlait en maître, si elle donnait l’exemple aux princes de l’Empire d’assembler une armée de neutralité, n’arracherait-elle pas le sceptre de l’Europe des mains des Anglais, qui vous bravent, et qui parlent hautement de vous d’une manière révoltante, aussi bien que le parti des Bentinck, des Fagel, des Obdam ? Je les ai entendus, et je ne vous dis rien que de très véritable.

 

 

 

4°/ Ne vous couvrez-vous pas d’une gloire immortelle en vous déclarant efficacement le protecteur de l’Empire ? et n’est-il pas de votre plus pressant intérêt d’empêcher que les Anglais ne fassent votre ennemi le grand-duc roi des Romains ?

 

 

 

 

5°/ Quiconque a parlé seulement un quart d’heure au duc d’Aremberg, au comte de Harrac, au lord Stairs, à tous les partisans d’Autriche, leur a entendu dire qu’ils brûlent d’ouvrir la campagne en Silésie ; avez-vous en ce cas, sire, un autre allié que la France ? et, quelque puissant que vous soyez, un allié vous est-il inutile ? Vous connaissez les ressources de la maison d’Autriche, et combien de princes sont unis à elle. Mais résisteraient-ils à votre puissance jointe à celle de la Maison de Bourbon ?

 

 

 

6°/ Si vous faites seulement marcher des troupes à Clèves, n’inspirez-vous pas la terreur et le respect, sans craindre que l’on ose vous faire la guerre ? N’est-ce pas au contraire le seul moyen de forcer les Hollandais à concourir, sous vos ordres, à la pacification de l’Empire et au rétablissement de l’empereur, qui vous devra deux fois son trône,

 

 

 

7°/ Quelque parti que votre majesté prenne, daignera-t-elle se confier à moi comme à son serviteur, comme à celui qui désire de passer ses jours à votre cour ? voudra-t-elle que j’aie l’honneur de l’accompagner à Bareith ? et si elle a cette bonté, veut-elle bien me le déclarer, afin que j’aie le temps de me préparer pour ce voyage ? Pour peu qu’elle daigne m’écrire quelque chose de favorable dans la lettre projetée, cela suffira pour me procurer le bonheur où j’aspire depuis six ans, de vivre auprès d’elle.

 

 

 

8°/ Si pendant le court séjour que je dois faire cette automne auprès de votre majesté, elle pouvait me rendre porteur de quelque nouvelle agréable à ma cour, je la supplierais de m’honorer d’une telle commission.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9°/ Faites tout ce qu’il vous plaira. J’aimerai toujours votre majesté de tout mon cœur. V.

 

 

 

 

 

1°/ Ce Bassecour est apparemment celui qui a soin d’engraisser les chapons et les coqs-d’Inde pour leurs hautes-puissances ?

 

 

 

 

 

 

 

2°/ J’admire la sagesse de la France ; mais Dieu me préserve à jamais de l’imiter !

 

 

 

 

 

 

 

3°/ Ceci serait plus beau dans une ode que dans la réalité. Je me soucie fort peu de ce que les Hollandais et les Anglais disent, d’autant plus que je n’entends point leur patois.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4°/ La France a plus d’intérêt que la Prusse de l’empêcher ; et en cela, cher Voltaire ; vous êtes mal informé ; car on ne peut faire une élection de roi des Romains sans le consentement unanime de l’Empire ; ainsi vous sentez bien que cela dépend toujours de moi.

 

 

 

5°/

On les y recevra, biribi,

A la façon de Barbari,

Mon ami

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6°/

 

Vous voulez donc qu’en vrai dieu de machine

J’arrive pour le dénouement ;

Qu’aux Anglais, aux pandours, à ce peuple insolent,

J’aille donner la discipline,

Mais examinez mieux ma mine ;

Je ne suis pas assez méchant.

 

 

 

 

 

7°/ Si vous voulez venir à Bareith, je serai bien aise de vous y voir, pourvu que le voyage ne dérange pas votre santé. Il dépendra donc de vous de prendre quelles mesures vous jugerez à propos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8°/ Je ne suis dans aucune liaison avec la France. Je n’ai rien à craindre ni à espérer d’elle. Si vous voulez, je ferai un panégyrique de Louis XV, où il n’y aura pas un mot de vrai ; mais quant aux affaires politiques, il n’en est aucune à présent qui nous lie ensemble ; et d’autant plus, ce n’est point à moi à parler le premier. Si l’on me demande quelque chose, il est temps d’y répondre ; mais vous, qui êtes si raisonnable, sentez bien le ridicule dont je me chargerais, si je donnais des projets politiques à la France sans à-propos, et de plus écrits de ma propre main.

 

 

 

9°/ Je vous aime de tout mon cœur, je vous estime : je ferai tout pour vous avoir, hormis des folies et des choses qui me donneraient à jamais un ridicule dans l’Europe, et seraient dans le fond contraires à mes intérêts et à ma gloire. La seule commission que je puisse vous donner pour la France, c’est de leur conseiller de se conduire plus sagement qu’ils n’ont fait jusqu’à présent.

 

Cette monarchie est un corps très fort, sans âme et sans nerf. F.

 

 

 

 

CORRESPONDANCE Frédéroc - Partie 51

 

 

 

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