CORRESPONDANCE - Année 1743 - Partie 8

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE-1743---Partie-8.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Valori

 

Du 7 Septembre 1743.

 

         Ce mardi (1) au soir. Je me prive d’un grand et beau souper pour griffonner le petit mémoire ci-joint. Vous y verrez l’effet des promesses que j’ai eu l’honneur de vous faire ; je vous prie de le regarder comme un témoignage de mon zèle pour vous autant que pour ma patrie. Je vous supplie de le faire chiffrer d’un bout à l’autre, et de l’envoyer dans votre paquet. Je vous prie aussi de vouloir bien me rendre ce petit billet, et la minute ci-jointe, dont je n’ai pas gardé de copie. Soyez persuadé de mon tendre et respectueux attachement, et comptez que je n’ai pas été en reste dans les louanges que le roi vous a données. VOLTAIRE.

 

 

1 – Si la lettre est bien du 7, il faut lire : vendredi. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Amelot

 

A Bareuth, ce 13 Septembre 1743 (1).

 

         Le roi m’a dit que, par les mémoires du maréchal de Noailles, il voyait clairement que la France frappait à toutes les portes pour demander la paix, et qu’il ne répondrait pas qu’on n’eût point fait des propositions vagues contre ses intérêts, quand ce ne serait que pour présenter un appât aux Autrichiens, mais qu’il n’en était pas fâché, et qu’il pensait bien que la France serait plutôt son amie que celle de l’Autriche.

 

         Je pris occasion de là de lui dire, avec les plaisanteries et la familiarité qu’il permet, que je le soupçonnais d’avoir fait au mois de mars la même petite friponnerie dont il nous accusait, et que je ne le soupçonnais point d’avoir proposé sérieusement de s’unir avec la Hongrie contre la France. Il prit la chose très sérieusement, et il me jura deux fois qu’il n’en était rien, que c’était un mensonge de B…… (2) et du parti anglais ; que ce n’est pas le vingtième tour de la sorte qu’ils lui eussent joué.

 

         « Qui m’en empêchait ? continua-t-il. En aurai-je plus à craindre le ressentiment de la maison d’Autriche, quand, après l’avoir dépouillée de la Silésie, j’aurai aidé ensuite à lui faire avoir ailleurs un dédommagement ? Elle n’en deviendrait guère plus puissante, et je serais affermi contre elle par de nouvelles conditions ; il n’y en a guère qu’on ne m’ait offertes, et si j’avais voulu prêter seulement dix mille hommes, on m’offrait de recevoir la loi de moi dans la pacification de l’Empire. Mais ce ne sont pas là mes desseins ; je ne prétends pas être l’instrument des Anglais, et ce n’est pas à moi à contribuer à l’élévation de la maison d’Autriche. »

 

         Il faut songer à unir l’Empire et à rétablir l’empereur ; il ne croit pas ce projet impraticable.

 

         Mais il veut une année, et il dit que si vous gardez seulement vos frontières cette année suffira.

 

         Il est très content que vous ayez envoyé des subsides à l’empereur. Il a ajouté, en riant, qu’il eût souhaité que vous les eussiez envoyés à ses troupes, et que l’empereur est un prince faible, capable de donner une partie de cet argent à ses maîtresses.

 

         Sa grande envie serait de séculariser plusieurs biens ecclésiastiques ; je crains que cette envie trop connue ne révolte contre lui Wurtzbourg, directeur du cercle de Franconie …. (3)

 

 

1 – Cette lettre, éditée par MM. E. Bayoux et A. François, raconte la même conversation que la lettre du 13 Septembre. (G.A.)

 

2 – Nom illisible. (G.A.)

 

3 – La fin de cette lettre manque. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Amelot

 

Ce 3 Octobre 1743 (1).

 

         Monseigneur, en revenant de la Franconie, où j’ai resté quelques jours, après le départ de sa majesté prussienne, je reprends le fil de mon journal.

 

         Le roi de Prusse me dit à Bareuth, environ le 13 ou le 14 du mois passé, qu’il était bien content que le roi eût envoyé de l’argent à l’empereur, et qu’il était satisfait des explications données par M. le maréchal de Noailles au sujet de l’électeur de Mayence ; mais, ajouta-t-il, il résulte de toutes vos démarches secrètes que vous demandez la paix à tout le monde, et il se pourrait très bien faire que votre cour eût fait des propositions contre moi, à Mayence seulement pour entamer une négociation, et pour sonder le terrain.

 

         C’est donc ainsi, lui dis-je en riant, que vous en usez, vous autres rois, et c’est ainsi, probablement, que vous fîtes, au mois de mai, des propositions à la reine de Hongrie contre la France. Etes-vous toujours dans cette idée ? me répondit-il ; je vous jure sur mon honneur que je n’ai jamais pensé à faire cette démarche. Il me répéta deux fois ces paroles, en me frappant sur l’épaule, et vous sentez bien que, quand un roi jure deux fois sur son honneur, il n’y a rien à répliquer. Il m’ajouta : Si j’avais fait la moindre offre à la reine de Hongrie, on l’eût acceptée à genoux ; et il n’y a pas longtemps que les Anglais m’ont offert la carte blanche, si je voulais envoyer seulement dix mille hommes à l’armée autrichienne.

 

         Ensuite il me dit qu’il allait voir à Anspach ce qu’on pourrait faire pour la cause commune, qu’il y attendait l’évêque de Vurtzbourg, et qu’il tâcherait de réunir les cercles de Souabe et de Franconie. Il promit, en partant, au margrave de Bareuth, son beau-frère, qu’il reviendrait chez lui avec de grands desseins et même de grands succès.

 

         Ses succès se bornèrent à des promesses vagues du margrave d’Anspach de s’unir aux autres princes, en faveur de l’empereur, quand sa majesté prussienne donnerait l’exemple. L’évêque de Vurtzbourg ne se trouva point à Anspach, et même n’envoya pas s’excuser. Le roi de Prusse alla voir l’armée de l’empereur, et n’entama rien d’essentiel avec le général Seckendorf.

 

         Tandis qu’il faisait cette tournée, le margrave me parla beaucoup des affaires présentes. Il venait d’être déclaré feld-maréchal du cercle de Franconie. C’est un jeune prince plein de bonté et de courage, qui aime les Français, et qui hait la maison d’Autriche. Il voyait assez que le roi de Prusse n’était point dans l’intention de rien risquer et d’envoyer une armée de neutralité vers la Bavière. Je pris la liberté de dire au margrave, en substance, que, s’il pouvait disposer de quelques troupes en Franconie, les joindre aux débris de l’armée impériale, obtenir du roi, son beau-frère, seulement dix mille hommes, je prévoyais, en ce cas, que la France pourrait lui donner en subside de quoi en lever encore dix mille, cet hiver, en Franconie, et que toute cette armée, sous le nom d’armée des Cercles, pourrait arborer l’étendard de la liberté germanique, auquel d’autres princes auraient alors le courage de se rallier, et que le roi de Prusse engagé pourrait encore aller plus loin.

 

         Le margrave et son ministre approuvent ce projet, et l’approuvent avec chaleur, d’autant plus qu’il peut mettre ce prince en état de faire valoir plus qu’une prétention dans l’Empire. Mais il fallait gagner l’évêque de Vurtzbourg et de Bamberg, de qui la tête est, dit-on, très affaiblie ; et le ministre du margrave me dit que, moyennant trente à quarante mille écus, on pourrait déterminer les ministres de cet évêque.

 

         Le roi de Prusse, à son retour à Bareuth, ne parla pas de la moindre affaire à son beau-frère, et l’étonna beaucoup. Il l’étonna encore plus en paraissant vouloir retenir de force à Berlin le duc de Wurtemberg, sous prétexte que madame la duchesse de Wurtemberg, sa mère, voulait faire élever son fils à Vienne.

 

         Irriter ainsi le duc de Wurtemberg, et désespérer sa mère, n’était pas le moyen d’acquérir du crédit dans le cercle de Souabe, et de réunir tant de princes. La duchesse de Wurtemberg, qui était à Bareuth pour s’aboucher avec le roi de Prusse, m’envoya chercher. Je la trouvai fondant en larmes. Ah ! me dit-elle, le roi de Prusse veut-il être un tyran, et veut-il, pour prix de lui avoir confié mes enfants, et donné deux régiments, me forcer à demander justice contre lui à toute la terre ? Je veux avoir mon fils : je ne veux point qu’il aille à Vienne ; c’est dans ses Etats que je veux qu’il soit élevé auprès de moi. Le roi de Prusse me calomnie, quant il dit que je veux mettre mon fils entre les mains des Autrichiens. Vous savez si j’aime la France, et si mon dessein n’est pas d’y aller passer le reste de mes jours, quand mon fils sera majeur.

 

         Enfin la querelle fut apaisée. Le roi de Prusse me dit qu’il ménagerait plus la mère, qu’il rendrait le fils si on le voulait absolument, mais qu’il se flattait que de lui-même le jeune prince aimerait à rester auprès de lui.

 

         Sa majesté prussienne partit ensuite pour Leipsick et pour Gotha, où il n’a rien déterminé.

 

         Aujourd’hui vous savez quelles propositions il vous fait ; mais toutes ses conversations et celles d’un de ses ministres, qui me parle assez librement, me font voir évidemment qu’il ne se mettra jamais à découvert que quand il verra l’armée autrichienne et anglaise presque détruite.

 

         Il faudrait du temps, de l’adresse, et beaucoup plus de vigueur que le margrave de Bareuth n’en a pour faire réussir, cet hiver, le projet d’assembler une armée de neutralité.

 

         Le roi de Prusse veut beaucoup de mal au roi d’Angleterre, mais il ne lui en fera que quand il y trouvera sécurité et profit. Il m’a toujours parlé de ce monarque avec un mépris mêlé de colère, mais il me parle toujours du roi de France avec une estime respectueuse (2) ; et j’ai de sa main des preuves par écrit que tout ce que je lui ai dit de sa majesté lui a fait beaucoup d’impression.

 

         Je pars vers le 12 ; j’aurai l’honneur de vous rendre un compte beaucoup plus ample. Je me flatte que vous et M. le contrôleur-général permettrez que je prenne ici trois cents ducats, pour acheter un carrosse et m’en retourner, ayant dépensé tout ce que j’avais pendant près de quatre mois de voyage.

 

 

1 – Lettre écrite en chiffres. (G.A.)

 

2 – La lettre de Frédéric du 7 Septembre est loin d’être respectueuse pour Louis XV. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte de Podewils

Le 3 Octobre 1743.

 

 

 

Lorsque d’un feu charmant votre muse échauffée

Chez les Vestphaliens rimait des vers si beaux,

Cher ami, j’ai cru voir Orphée,

Qui chantait dans la Thrace, entouré d’animaux.

 

 

         Pour moi, mon adorable ministre, j’ai suivi à Bareuth l’Orphée couronné ; j’y ai vu une cour où tous les plaisirs de la société et tous les goûts de l’esprit sont rassemblés. Nous y avons eu des opéras, des comédies, des chasses, des soupers délicieux. Ne faut-il pas être possédé du malin pour s’exterminer sur le Danube ou sur le Rhin, au lieu de couler ainsi doucement sa vie ? Je compte repasser incessamment par le pays dont vous faites les délices ; ce n’est pas mon plus court, mais je ferais un détour de cinq cents lieues pour venir vous embrasser, pour jouir encore quelques jours de votre aimable commerce, et pour vous jurer un attachement éternel. Votre monseigneur Cresseni (1) a donc donné partout des bénédictions, au lieu d’argent, dans les auberges ?

 

Il ne faut pas que l’on s’étonne

De ce beau tour italien ;

Car dans les cabarets où l’on ne trouve rien

Quel argent voulez-vous qu’on donne ?

 

 

         J’ai eu l’honneur de souper hier avec le roi, et avec monsieur votre oncle.

 

 

1 – Peut-être, selon M. Clogenson, faut-il lire Crescenzi. C’était le nonce du pape à Paris. (G.A.)

 

 

 

CORRESPONDANCE 1743 - Partie 8

 

Commenter cet article