CORRESPONDANCE - Année 1749 - Partie 1
Photo de PAPAPOUSS
à M. le président Hénault
A TABLE AVEC LES GRÂCES.
Cirey, ce 3 Janvier 1749.
Vous qui de la chronologie
Avez réformé les erreurs ;
Vous dont la main cueillit les fleurs
De la plus belle poésie ;
Vous qui de la philosophie
Avez sondé les profondeurs,
Malgré les plaisirs séducteurs
Qui partagèrent votre vie ;
Hénault, dites-moi, je vous prie,
Par quel art, par quelle magie,
Avec tant de succès flatteurs,
Vous avez désarmé l’envie, etc. (1)
Voilà, mon illustre et charmant confrère, comment j’avais corrigé le commencement de l’Epître que j’ai eu l’honneur de vous adresser, et j’allais vous l’envoyer, quand j’ai reçu votre lettre. J’ai été très fâché qu’on eût envoyé des copies de ce petit ouvrage, avant que je susse si le héros de la pièce était content. Et pour comble de disgrâce, les copies avaient été faites par une espèce d’aide-de-camp qui estropie terriblement les vers. Je ne suis pas tout à fait content de ce commencement ; il est plus digne du public que les premiers vers qui n’étaient que familiers ; mais il me semble qu’il n’est pas frappé assez fortement. J’ai bien à cœur que ce petit ouvrage soit bon, et qu’il fasse aller un jour mon nom à côté du vôtre.
Au reste, les personnes qui ont condamné les soupés me paraissent indignes de souper ; c’est, à mon sens, la critique du monde la plus ridicule. Mais les gens qui ont tort sont presque toujours les plus forts ; pour moi qui ne soupe plus, je tranche les soupés, même en vers. Madame du Châtelet, à qui je ne donnerai plus mes vers que quand j’y aurai mis la dernière main, vous fait mille compliments. Voulez-vous bien permettre que j’assure madame du Deffand de mon respect ?
Je reçois aussi une lettre de vous, renvoyée de Lunéville à Paris et à Cirey. Je vous remercie de tant de faveurs. Conservez-moi une amitié aussi nécessaire à ma gloire, si j’en ai, qu’au bonheur de ma vie ; cette vie est à vous.
On dit que vous logez près de mes confrères les Incurables ; je me flatte que vous ne l’êtes pas. Les murs de Thèbes, d’Ilion et de Babylone ne sont plus ; mais mon cœur restera inébranlable à la tendre amitié qu’il vous porte.
1 – Voyez l’Epître à Hénault de Novembre 1748. (G.A.)
à M. le cardinal Querini
A Cirey, le 3 Janvier 1749 (1).
Le poprgo il moi riconosciamento pei gentilissimi versi che vostra eminenza si è compiacita d’inviarmi, e per la licenza che mi concede di dedicarle la mia tragedia di Semiramide. Non potero far stamparla avanti due o tre mesi, perchè sono caduto ammalato alla corte di Lorraine, e mi sono retirato nel castello di Cirey, in Sciampagna, colla signora marchesa du Châtelet, la più virtuosa donna di tutta la Francia. Ella ha letto le vostre opere latine e toscane, e rende all’illustrissimo autore tutta la giustizia che gli è dovuta. Vorrei che questa piccola nostra Arcadia fosse un poco più vicina al vostro vescovado ed al vostro parnasso ; sono veramente troppo lontano da V.E. La mia mente fa ogni giorno il viaggio d’Italia. Ma il cattivo stato del corpo mi ritiene ; spiritus enim promptus est, caro autem infirma. Qualunque sia il paese che io abiti, saro sempre, colla più viva gratitudine, di vostra eminenza, obbedientissimo ed umillimo servitore.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
à M. d’Arnaud
A Cirey, … Janvier 1749 (1).
Je vous ai aimé dès que je vous ai connu, et j’ai toujours cru que vous seriez un honnête homme et un homme aimable ; je l’espère plus que jamais. Mettez à profit votre jeunesse, étudiez sérieusement, et rendez-vous utile à vous-même. Si je peux jamais être à portée de vous marquer solidement mes sentiments pour vous, et l’intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde, comptez absolument sur Voltaire.
En attendant le paquet de Berlin, voici une petite drôlerie (2) dont vous pourrez régaler sa majesté prussienne ; il en a couru des copies fort infidèles. Vous devriez bien me dire votre avis sur cette bagatelle, et m’apprendre aussi des nouvelles de Catilina.
Adieu, mon cher enfant, je serai tout le mois de janvier à Cirey.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – Sans doute l’Epître au président Hénault. (G.A.)
à M. le comte d’Argental
A Cirey, le 21 janvier.
O anges ! j’aimerais mieux me jeter dans ce tombeau, que de faire tournoyer Assur alentour, que de faire donner de faux avis, que de replâtrer une conspiration et de la manquer, que de faire venir Assur enchaîné, que de prévenir la catastrophe et de la noyer dans un détail de faits, la plupart forcés, nullement intéressants, et dont l’exposé serait le comble de l’ennui. Un vraisemblable froid et glaçant ne vaut pas un colin-maillard vif et terrible. J’ai fait humainement tout ce que j’ai pu ; et, quand on est arrivé aux bornes de son talent, il faut s’en tenir là. Le public s’accoutumera bien vite au colin-maillard du tombeau, quand il sera touché du reste. Voilà une très petite partie de mes raisons ; je remets le reste au bienheureux moment où je serai dans votre ciel.
Je ne sais pas quelle sont les choses essentielles dont il faut que je parle à M. Richelieu ; il nous mande qu’il a proscrit pour jamais les parodies. Je ne sais rien de plus essentiel pour le bon goût. Je voudrais bien être arrivé avec la petite caisse de Bar ; mais il faut que madame du Châtelet règle ses affaires avec son fermier, et que ses forges (1) passent devant Sémiramis.
A l’égard des Slodtz, il vaut mieux leur parler, le 1er février, que de leur envoyer des plans de décorations ; et pour vous, mes anges, je voudrais déjà être à vos pieds.
Madame du Châtelet vous fait les plus tendres compliments ; elle vient d’achever une préface de son Newton (2), qui est un chef-d’œuvre. Il n’y a personne à l’Académie des sciences qui eût pu faire mieux. Cela fait honneur à son sexe et à la France. En vérité je suis saisi d’admiration. Valete, angeli.
1 – Voisines de Cirey. (G.A.)
2 – Principes mathématiques de la philosophie naturelle. (G.A.)
à M. le président Hénault
Je vous avais déjà mandé, monsieur, que j’étais très fâché qu’on se fût hâté d’envoyer malgré moi des copies informes de cette petite pièce, qui d’ailleurs a, ce me semble, l’approbation de tous les gens de goût et de bon sens. Je suis encore plus fâché et moins surpris qu’il y ait des hommes assez méchamment bêtes pour trouver à redire qu’on mette parmi les agréments de la vie de bons soupers qu’on donne à la bonne compagnie dont on est les délices et le modèle. La seconde leçon vaut certainement mieux ; mais, à votre place, j’aurais laissé subsister la première pour punir les sots. Les caillettes et les imbéciles du bel air, qu’il ne faut jamais écouter ni en fait d’ouvrages d’esprit, ni en autre chose, cherchent à mordre sur tout. Ces honnêtes gens-là ont fait tout ce qu’ils ont pu pour que M. de Richelieu trouvât mauvais que je lui écrivisse (1) comme Voiture écrivait au prince de Condé ; mais il n’a pas été leur dupe ; et, en vérité, plus je vais en avant, plus je vois qu’il n’y a d’autre parti à prendre que de mépriser les sots discours qu’on ne peut jamais empêcher. Pour moi, je me console de toutes les plates critiques par l’honneur de votre approbation, et de la haine des demi-beaux esprits, par l’honneur de votre amitié. Madame du Châtelet (2) pense comme moi. Elle vous fait mille compliments. Elle vient d’achever une préface de Newton, qui est un chef-d’œuvre, et qui fait honneur à son sexe et à la France. Elle a résisté avec courage aux impertinences des caillettes, et passera, dans la postérité, pour un génie respectable. Si elle n’avait pas méprisé les mauvaises plaisanteries, elle n’aurait pas fait des choses admirables, que les ricaneurs n’entendront pas.
1 – Epître à Richelieu sur sa statue. (G.A.)
2 – A propos de madame du Châtelet, notons que ce fut en ce mois de janvier qu’elle fit savoir à Voltaire qu’elle était enceinte. Voltaire, du reste, l’avait surprise à Commercy en tête-à-tête avec Saint-Lambert. (G.A.)
à M. d’Arnaud
A Cirey…, Janvier 1749 (1).
La malédiction, mon cher enfant, est sur nos paquets. Je me flatte qu’enfin on a trouvé à Paris, dans la bibliothèque du suisse de la maison, les papiers de milord Chesterfield ; mais pour celui du roi de Prusse, il lui est arrivé malheur. On a eu la bonté de le fourrer dans une boite qu’on envoyait à madame du Châtelet par le courrier de Strasbourg. Ce grand courrier, qui court à dix lieues de Cirey et qui se soucie peu de cette boîte non chargée à la poste, a passé son chemin sans songer à nous. Il y a huit jours que je devrais avoir reçu la lettre du Salomon et de l’Alexandre du Nord. Je vous prie de lui mander mon désastre, afin qu’il n’accuse pas mon silence ; il n’a déjà que trop de raisons de me condamner : je l’ai négligé autant que vous me négligez. Je suis aussi paresseux avec les rois que je vous ai reproché de l’être avec vos amis.
Faites, je vous prie, les plus tendres compliments mon cher Isaac (2), que j’aime encore plus depuis qu’il vous a servi. Mettez-moi aux pieds de MM. les princes de Wurtemberg.
Avez-vous vu Catilina ? On m’en écrit beaucoup de mal ; mais je n’en croirai que ce que vous m’en direz. Il y a dix ou douze personnes à Paris, tout au plus, qui se connaissent bien en vers, et vous êtes assurément du nombre. Vale.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – D’Argens. (G.A.)
à M. Darget
A Cirey, ce 26 Janvier 1749.
M. d’Arnaud a dû vous mander ce qui est arrivé à votre paquet. J’espère que si sa majesté daigne m’honorer de quelques nouveaux ordres, on prendra de meilleures précautions pour me les faire tenir ; au reste, d’Arnaud est un garçon très aimable, fort attaché au roi votre maître, et il n’y a nullement de sa faute dans le retardement qui m’a privé un mois entier de la lettre de sa majesté et de la vôtre. Je crois que notre président retourne cet hiver dans votre charmante cour. Un homme qui a été au pôle peut bien aller à Berlin au mois de janvier. Les aigles voyagent dans toutes les saisons ; mais un pauvre petit pinson qui ne bat plus que d’une aile, se niche dans un trou de murail. Je suis si étonnée d’être en vie, que cela me paraît quelquefois fort plaisant. Il est vrai que j’ai eu la force d’aller à la cour du roi Stanislas, qui s’est établi mon premier médecin, et qui est voisin des eaux de Plombières. Mais je ferai plutôt le voyage de saint Paul au troisième ciel, que celui de Berlin pendant l’hiver. Tout le feu du génie du grand Frédéric ne me réchaufferait pas, et je serais mort en arrivant, auquel cas je ne profiterais point du tout des agréments de ce voyage. Je dirai à bien plus juste titre qu’Horace :
Quamquam dabas ægrin dabis ægrotare timenti,
Mecenas, veniam.
Et je dirai encore avec lui, cum zephiris et hirundine prima ; encore Horace était gros et gras, et Rome était plus près de Tibur que Paris de Berlin. Il ne me reste qu’à faire des vœux pour que sa majesté daigne me conserver en été les mêmes bontés qu’en hiver. Je vous assure, et vous le croirez aisément, que ce voyage ferait le charme de ma vie. Je donnerais assurément la préférence à votre cour sur les bains de Plombières. Vespasien guérit un aveugle en le touchant, comme chacun sait. Le grand Frédéric, qui vaut assurément mieux que Vespasien, me guérirait une oreille très sourde en daignant me parler, et remettrait un peu de feu dans mon âme. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien rendre compte à sa majesté de mes désirs et de ma misère. J’ai vu cette édition de Dresde : les libraires allemands ne sont pas des fripons comme ceux de Hollande ; mais ils impriment bien incorrectement ; toutes ces éditions-là ne sont bonnes qu’à jeter au feu. Il y a trop de livres ; de quoi me suis-je avisé d’en grossir le nombre ? Qui bene latuit, bene vixit. Je voudrais latere à Berlin.
Adieu, monsieur ; conservez-moi, je vous en supplie, une amitié qui me console des libraires. Je vous prie de vouloir bien présenter mes hommages aux personnes de votre cour qui daignent se souvenir de moi ; je compte toujours sur votre bienveillance, et j’ai l’honneur d’être bien véritablement, etc.