CORRESPONDANCE - Année 1747
Photo de PAPAPOUSS
à M. Thieriot (1)
A Versailles, le 10 Mars.
Je vous renvoie vos livres italiens. Je ne lis plus que la religion des anciens mages, mon cher ami. Je suis à Babylone, entre Sémiramis et Ninias. Il n’y a pas moyen de vous envoyer ce que je peux avoir de l’Histoire de Louis XIV. Sémiramis dit qu’elle demande la préférence, que ses jardins valaient bien ceux de Versailles, et qu’elle croit égaler tous les modernes, excepté peut-être ceux qui gagnent trois batailles en un an, et qui donnent la paix dans la capitale de leur ennemi. Mon ami, une tragédie engloutit son homme ; il n’y aura pas de raison avec moi, tant que je serai sur les bords de l’Euphrate, avec l’ombre de Ninus, des incestes, et des parricides. Je mets sur la scène un grand-prêtre honnête homme, jugez si ma besogne est aisée !
Adieu, bonsoir ; prenez patience à Bercy ; c’est votre lot que la patience.
1 – Thierrot, que Frédéric oubliait toujours de payer comme correspondant, lui envoya cette lettre, à cause de l’allusion de la dernière phrase. (G.A.)
à M. le comte Algarotti
2 Avril 1747.
Vous que le ciel, en sa bonté,
Dans un pays libre a fait naître,
Vous qui, dans la Saxe arrêté
Par plus d’un doux lien peut-être,
Avez su vous choisir un maître
Préférable à la liberté ;
cosi scivo al moi Pollione veneto, al moi carissimo ed illustrissimo amico, e cosi saranno stampate queste bagatellucie, se fate loro mai l’onore di mandarle ai torchi del Walther, si aliquid putas nostras nugas esse. Veramente ne queste ciancie, nè Pandora, nè il volume a voi indirizzato, non vagliono otto scudi ; ma, carissimo signore, un cosi esorbitante prezzo otto scudi ; ma, carissimo signore, un cosi esorbitante prezzo è una violazione manifesta juris gentrum. Il nostro intendente delle lettere, e dei postiglioni, il signor di La Reynière, fermier-général des postes de France, par le moyen auquel « one walks at sight from a pote to another, » aveva per certo munito di suo sigillo, ed onorato della bella parola franco il tedioso e grave piego. E chi non sa quanto rispetto si debba portare al nome di La Reynière, ad un uomo che è il più ricco ed il più cortese de tous les fermiers-généraux ? Ma giacchè, a dispetto della sua cortesia, e della stretta amicizia che corre fra le due corti, i signori della posta di Dresda ci anno usati come nemici, tocca al librajo Walther di parare gli otto scudi, e gliene terro conto. Per tutti i santi, non burlate, quando mi dite che le cose mie vi vengono molto care ? Mandero quanto prima il tomo della Henriade del primo corciere.
« Farewell, great and amiable man. They say you go to Padua. You should take your way through France. Emily- should be very glad to see you, and I should be in ecstasy, etc. »
à M. le marquis d’Argenson
Paris, le 12 Juin (1).
L’éternel malade, l’éternel persécuté, le plus ancien de vos courtisans, et le plus éclopé, vous demande avec l’instance la plus importune, que vous ayez la bonté d’achever l’ouvrage que vous avez daigné commencer auprès de M. le Bret, avocat général. Il ne tient qu’à lui de s’élever et de parler seul dans mon affaire (2) assez instruite, et dont je lui remettrai les pièces incessamment. Il empêchera que la dignité du parlement ne soit avilie par le batelage indécent qu’un misérable tel que Mannori (3) apporte au barreau.
La bienséance exige qu’on ferme la bouche à un plat bouffon qui déshonore l’audience, méprisé de ses confrères, et qui porte la bassesse de son ingratitude jusqu’à plaider, de la manière la plus effrontée, contre un homme qui lui a fait l’aumône.
Enfin je supplie mon protecteur de mettre dans cette affaire toute la vivacité de son âme bienfaisante. Je suis né pour être vexé par les Desfontaines, les Rigolei, les Mannori, et pour être protégé par les d’Argenson.
Je vous suis attaché pour jamais, comme ceux qui voulaient que vous les employassiez vous disaient qu’ils vous étaient dévouées.
Mille tendres respects.
1 – C’est à tort qu’on a classé cette lettre à l’année 1746. Elle est de 1747. (GA.)
2 – L’affaire Travenol. (G.A.)
3 – Avocat de Travenol fils, que poursuivait le poète. Voyez, sur cette affaire, Voltaire à la cour, de M. Gustave Desnoiresterres. (G.A.)
à M. G.-C. Walther
Paris, 15 Juin 1747.
M. le comte Algarotti, monsieur, m’ayant mandé que vous vouliez faire une édition, complète de mes ouvrages, non seulement je vous donne mon consentement, mais je vous aiderai et je vous achèterai beaucoup d’exemplaires ; bien entendu que vous vous conformerez aux directions que vous recevrez de ceux qui conduiront cette impression (1), et qui doivent vous fournir mes vrais ouvrages bien corrigés.
Gardez-vous bien de suivre l’édition débitée sous le nom de Nourse, à Londres, celle qui est intitulée de Genève, celle de Rouen, et surtout celles de Ledet, et d’Arkstée et Merkus, à Amsterdam : ces dernières sont la honte de la librairie ; il n’y a guère de pages où le sens ne soit grossièrement altéré ; presque tout ce que j’ai fait y est défiguré, et ces ouvriers ont, pour comble d’impertience, déshonoré leur édition par des pièces infâmes qui ne peuvent être écrites, débitées et lues que par les derniers des hommes. Je me flatte que vous aurez autant de discernement qu’ils en ont eu peu. C’est dans cette espérance que je suis entièrement à vous.
1 – La préface del’édition de 1748 est signée : H. Dumont et J. Bertaud. (G.A.)
à M. le comte d’Argenson
A Paris, le 4 de la pleine lune, 1747. (1)
L’ange Jesrad a porté jusqu’à Memnon la nouvelle de vos brillants succès (2), et Babylone avoue qu’il n’y eut jamais d’itimadoulet dont le ministère ait été plus couvert de gloire. Vous êtes digne de conduire le cheval sacré du roi des rois, et la chienne favorite de la reine. Je brûlais du désir de baiser la crotte de votre sublime tente, et de boire du vin de Chiraz à vos divins banquets. Orosmade n’a pas permis que j’aie joui de cette consolation, et je suis demeuré enseveli dans l’ombre, loin des rayons brilants de votre prospérité. Je lève les mains vers le puissant Orosmade ; je le prie de faire longtemps marcher devant vous l’Ange exterminateur, et de vous ramener par des chemins tout couverts de palmes.
Cependant, très magnifique seigneur, permettriez-vous qu’on vous adressât, à votre sublime tente, un gros paquet que Memnon vous enverrait du séjour humide des Bataves ? Je sais que vous pourriez bien l’aller chercher vous-même en personne ; mais, comme ce paquet pourrait bien arriver aux pieds de votre grandeur avant que vous fussiez à Amsterdam, je vous demanderai la permission de vous le faire adresser par M. Chiquet, dans la ville où vous aurez porté vos armes triomphantes ; et vous pourriez ordonner que ce paquet fût porté jusqu’à la ville impériale de Paris, parmi les immenses bagages de votre grandeur.
Je lui demande très humblement pardon d’interrompre ses moments consacrés à la victoire, par des importunités si indignes d’elle ; mais Memnon, n’ayant sur la terre de confident que vous, n’aura que vous pour protecteur, et il attend vos ordres très gracieux.
1 – On croit quecette lettre est du 8 Juillet. (G.A.)
2 – La victoire de Laufeld, du 2 Juillet. (G.A.)
à M. le marquis des Issarts
Versailles, le 7 Août 1747.
Monsieur, la lettre aimable dont vous m’honorez me donne bien du plaisir et bien des regrets ; elle me fait sentir tout ce que j’ai perdu. J’ai pu être témoin du moment où votre excellence signait le bonheur de la France (1). J’ai pu voir la cour de Dresde, et je ne l’ai point vue. Je ne suis pas né heureux ; mais vous, monsieur, avouez que vous êtes aussi heureux que vous le méritez.
Qu’il est doux d’être ambassadeur
Dans le palais de la candeur !
On dit, et même avec justice,
Que vos pareils ailleurs ont eu
Tant soit peu besoin d’artifice ;
Mais ils traitaient avec le vice,
Vous traitez avec la vertu
Vous avez retrouvé à Dresde ce que vous avez quitté à Versailles, un roi aimé de ses sujets.
Vous pourrez dire quelque jour
Qui des deux rois tient mieux sa cour ;
Quel est le plus doux, le plus juste,
Et qui fait naître plus d’amour
Ou de Louis-Quinze ou d’Auguste :
C’est un grand point très contesté.
Ce problème pourrait confondre
La plus fine sagacité,
Et je donne à votre équité
Dix ans entiers pour me répondre.
Rien ne prouve mieux combien il est difficile de savoir au juste la vérité dans ce monde ; et puis, monsieur, les personnes qui la savent le mieux sont toujours celles qui la disent le moins. Par exemple, ceux qui ont l’honneur d’approcher des trois princesses que la reine de Pologne a données à la France, à Naples, et à Munich (2), pourront-ils jamais dire laquelle des trois nations est la plus heureuse ?
Que même on demande à la reine
Quel plus beau présent elle a fait,
Et quel fut son plus grand bienfait,
On la rendra fort incertaine.
Mais si de moi l’on veut savoir
Qui des trois peuples doit avoir
La plus tendre reconnaissance,
Et nourrir le plus doux espoir,
Ne croyez pas que je balance.
En voyant monseigneur le dauphin avec madame la dauphine, je me souviens de Psyché, et je songe que Psyché avait deux sœurs.
Chacune des deux était belle,
Tenait une brillante cour,
Eut un mari jeune et fidèle ;
Psyché seule épousa l’Amour.
Mais il y aurait peut-être, monsieur, un moyen de finir cette dispute, dans laquelle Pâris aurait coupé sa pomme en trois.
Je suis d’avis que l’on préfère
Celle qui le plus promptement
Saura donner un bel enfant
Semblable à leur auguste mère.
Vous voyez, monsieur, que, sans être politique, j’ai l’esprit conciliant ; je compte bien vous faire ma cour avec de tels sentiments, et, de plus, vous pouvez être sûr qu’on est très disposé à Versailles à mériter cette préférence. Si on travaille aussi efficacement à Bréda (3), nous aurons la paix du monde la plus honorable.
Je serais très flatté, monsieur, si mes sentiments respectueux pour M. le comte de Brühl lui étaient transmis par votre bouche. Je n’ose vous supplier de daigner, si l’occasion s’en présentait, me mettre aux pieds de leurs majestés. Si vous avez quelques ordres à me donner pour Versailles ou pour Paris, vous serez obéi avec zèle.
1 – C’est le 9 Février que le mariage du dauphin avec la fille d’Auguste II avait été signé par cet ambassadeur de France. (G.A.)
2 – Avec Marie-Josèphe, mariée au dauphin, c’étaient Marie-Amélie, mariée à Don Carlos, roi des Deux-Siciles, et Marie-Anne, mariée à Maximilien-Joseph, électeur de Bavière. (G.A.)
3 – Il se tenait un congrès dans cette ville. (G.A.)
à M. le comte d’Argental
1747.
Moi, être fâché contre vous ! je ne peux l’être que contre moi, qui ne vois rien du tout de ce que vous voulez que je voie. Mais exigez-vous une foi aveugle ? elle est impossible ; commencez par me convaincre.
Adine (1) me paraît intéressante autant que neuve, et huit vers seulement répandus à propos dans son rôle en augmenteront l’intérêt. Son voyage, son amour, sont fondés, et la curiosité me paraît excitée depuis le commencement jusqu’à la fin.
Darmin est lié tellement au sujet, que c’est lui qui amène Adine, lui qui l’engage à parler, lui qui fait un contraste perpétuel, lui qui est soupçonné par Blanfort de vouloir calomnier Dorfise, lui enfin à qui la mondaine est fidèle, tandis que la prude le trompe.
Madame Burlet est encore plus nécessaire, puisque c’est sur elle que roule l’intrigue, et que c’est elle qui est accusée d’aimer Adine ; et j’avoue qu’il est bien étrange qu’une chose aussi claire ne vous ait pas frappé. Tout ce qu’elle dit d’ailleurs me paraît écrit avec soin, et la morale me semble naître toujours de la gaieté. Si j’osais, je trouverais beaucoup d’art dans ce caractère.
La prude est une femme qui est encore plus faible que fourbe ; elle en est plus plaisante et moins odieuse. Je ne conçois pas comment vous trouvez qu’elle manque d’art ; elle n’en a que trop, en faisant accroire qu’elle doit épouser le chevalier, en mettant par là Blanford dans la nécessité de penser qu’on la calomnie.
Ce tour d’adresse doit nécessairement opérer sa justification dans l’esprit de Blanford ; et, quand elle sera partie avec le jeune homme dont elle se croit aimée, elle ne doit plus se soucier de rien.
Pouvez-vous trouver quelque obscurité dans une chose qu’elle explique si clairement ? Enfin je ne peux m’empêcher de voir précisément tout le contraire de ce que vous apercevez. Si les friponneries de la prude ne révoltent pas (ce qui est le grand point) je pense être sûr d’un très grand succès. Tout le monde convient que la lecture tient l’auditeur en haleine, sans qu’il y ait un instant de langueur. J’espère que le théâtre y mettra toute la chaleur nécessaire, et qu’il y aura infiniment de comique, si la pièce est jouée.
Plaignez ma folie ; mais ne vous opposez pas, et ne dites pas, mon cher ange : « Curavimus Babylonem, et non est sanata ; derelinquamus eam (2). »
Mille tendres respects à l’autre ange.
1 – Il s’agit ici de la comédie de la Prude. (G.A.)
2 – Jérémie, chap. LI, V.9. (K.)
à M. M.G-C. Walther
Paris, 23 Septembre 1747.
Sur vos propositions, et à la prière de M. Algarotti, je vous ai mis en état de faire une édition complète et correcte de mes œuvres. Je vous en ai envoyé trois tomes remplis de beaucoup de choses qui ne sont dans aucune autre édition, et purgés de toutes les fautes qui les défiguraient. J’ai travaillé aux autres volumes avec le même soin, et je vous achète quatre cents exemplaires de votre édition, que je veux bien même vous payer tome à tome pour vous encourager. Vous m’avez écrit que votre édition était sous presse. Cependant les libraires de Hollande mandent que loin d’avoir commencé, vous renoncez à votre entreprise. Comme je n’ai point reçu les premières feuilles que j’attendais de vous, j’ai lieu de croire que les libraires de Hollande ne m’en ont point imposé. S’il est vrai que vous ayez changé de dessein, ne manquez pas, s’il vous plaît, monsieur, de remettre à M. l’ambassadeur de France les trois volumes que je vous ai fait tenir. C’est un devoir dont je me flatte que vous ne vous dispensez pas : je suis d’ailleurs toujours prêt à vous donner des marques de mon affection, étant particulièrement à vous. VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire du roi.
à M. M.G-C. Walther
Fontainebleau, 1747 (1).
Je reçois votre lettre, monsieur, avec les preuves authentiques que les libraires hollandais m’en avaient imposé. Je concourrai de tout mon pouvoir au succès de votre entreprise, et je vous fournirai de quoi rendre votre édition supérieure à toutes les autres. Vous aurez incessamment les autres tomes, avec la préface historique qui doit être à la tête du premier. Je vous ferai tenir une planche gravée ; en un mot, je vous rendrai tous les services qui dépendront de moi, non seulement dans cette occasion, mais dans toutes celles qui se présenteront à l’avenir, étant entièrement à vous de tout mon cœur.
P.S. – Il faut que votre correcteur redouble de zèle et d’attention : j’ai déjà aperçu des fautes dans ce que vous m’avez envoyé.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
à M. de Champflour fils
A Sceaux, ce 20 Novembre 1747.
Je vous fais mon compliment de tout mon cœur, monsieur. J’en dois un aussi à madame votre femme, car il me semble qu’elle a un très aimable mari. J’espère que vous serez tous deux fort heureux. Votre bonheur augmentera celui de monsieur votre père. On ne peut s’intéresser plus que moi à tout ce qui regarde votre famille. Je suis de tout mon cœur, monsieur, etc.
à M. ***
ACADÉMICIEN D’ANGERS
A Sceaux, ce 26 Novembre 1747 (1).
Je reçois, monsieur, avec une respectueuse reconnaissance l’honneur que l’Académie d’Angers veut bien me faire. Permettez que je vous supplie de lui présenter mes remerciements. Je voudrais bien être à portée de le faire moi-même ; ce serait pour moi un devoir et un plaisir.
J’aurai au moins la consolation de voir mon nom dans votre liste, et je me flatterai que ceux qui m’ont fait l’honneur de me choisir me conserveront toujours quelque bienveillance. C’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.
1 – Cette lettre éditée par MM. de Cayrol et A. François, fut écrite, comme la précédente, du château de la duchesse du Maine, où Voltaire se tenait caché depuis quelques jours. Ayant vu madame du Châtelet perdre quatre-vingt mille francs au jeu de la reine à Fontainebleau, Voltaire lui avait dit en anglais : « Vous jouez avec des fripons. » Le mot avait été compris, on avait chuchoté, et il avait été compris, on avait chuchoté, et il avait déguerpi le lendemain pour venir se cacher à Sceaux. (G.A.)
à M. de Moncrif (1)
Mon aimable Sylphe, vous auriez été content ; madame du Châtelet a chanté Zirphé (2) avec justesse, l’a jouée avec noblesse et avec grâce. Mille diamants faisaient son moindre ornement. Allez, allez ; laissons dire les beaux-arts sont honorés. On dansait dans le règne de Louis XIV, on chante dans celui de Louis XV, et moi je chante vos louanges avec ma voix aussi enrouée que celle de M. de Richelieu ; mais c’est de bon cœur.
1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)
2 – Le scandale de Fontainebleau ayant été étouffé, Voltaire se montra publiquement à Sceaux, prit part aux fêtes avec la marquise, qui joua Zirphé dans l’opéra de Moncrif intitulé Zélindor. (G.A.)