CORRESPONDANCE - Année 1746 - Partie 5
Photo de PAPAPOUSS
à M. de Moncrif
Avril 1746.
Mon céleste Sylphe, mon ancien ami, je compte sur vos bontés. Je vous ai cherché à Versailles et à Paris. Je me mets entre vos mains, et aux pieds de sainte Villars (1). Je vous recommande M. Hardion (2). C’est peu de chose d’entrer dans une compagnie, il faut y être reçu comme on l’est chez ses amis. Voilà ce qui rend une telle place infiniment désirable. Un lien de plus, qui m’unira à vous, me sera bien cher et bien précieux ; et, pour entrer avec agrément, je veux être conduit par vous. J’attends tout de la bonté de votre cœur et de l’ancienne amitié dont vous m’avez toujours donné des marques.
Je vous prie de dire à la plus aimable sainte qui soit sur la terre, que, quoique la reconnaissance soit une vertu mondaine, cependant j’en suis pétri pour elle. J’ose croire que M. l’abbé de Saint-Cyr (3) ira à l’Académie le jour de l’élection, et qu’il ne me refusera pas ce beau titre d’élu.
Comptez sur le tendre et éternel attachement de VOLTAIRE.
1 – La maréchale. (G.A.)
2 – Académicien ennemi de Voltaire. (G.A.)
3 – Vaux de Giri, sous-précepteur du dauphin. (G.A.)
à M. de Maupertuis
Paris, ce 1er Mai 1746.
Mon illustre ami, je vous reconnais ; vous ne m’oubliez point, quoiqu’il soit permis d’oublier tout le monde auprès du grand Frédéric et entre les bras de l’amour (1). Jouissez de tous les avantages qui vous sont dus ; pour moi, je n’ai que des consolations ; ma malheureuse santé me les rend bien nécessaires. Il est vrai, mon illustre ami, que le roi m’a fait présent de la première charge de gentilhomme de la chambre, qu’il a augmenté ma pension, qu’il m’accable de bontés ; mais je me meurs, et n’ai plus de consolations que dans l’amitié.
Me voici enfin votre confrère dans cette Académie française où ils m’ont élu tout d’une voix, sans même que l’évêque de Mirepoix s’y soit opposé le moins du monde. J’ennuierai le public d’une longue harangue lundi prochain ; ce sera le chant du cygne. J’ai fait un petit brimborion (2) italien pour l’Institut de Bologne, dans lequel j’ai l’honneur d’être votre confrère ; je ne vous en importune pas, parce que je ne sais si vous avez daigné mettre la langue italienne dans l’immensité de vos connaissances.
Madame du Châtelet fait imprimer sa traduction de Newton ; vous devez l’en aimer davantage. Je vois quelquefois votre ami La Condamine, qui vient prendre chez nous son café au lait, en allant à l’Académie (3). Nous parlons de vous, nous vous regrettons, nous espérons que vous ferez ici quelque voyage ; mais pressez-vous, si vous voulez voir en vie votre admirateur et votre ami V.
M. de Valori, M. d’Argens, daignent-ils se souvenir de moi ? Voulez-vous bien leur présenter mes très humbles compliments ? M. de Couville (4) est-il à Berlin ? Daignez ne me pas oublier auprès de lui, ni auprès de ceux à qui j’ai fait ma cour, quand j’ai eu le bonheur trop court d’être où vous êtes pour longtemps. Mais il y a une personne que je veux absolument qui ait un peu de bonté pour moi, c’est madame de Maupertuis. Adieu. Madame du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.
1 – Il venait de se marier à Berlin. (G.A.)
2 – Dissertation sur les changements du globe. (G.A.)
3 – Celle des sciences. (G.A.)
4 – Gentilhomme normand, chambellan du roi de Prusse. (G.A.)
à M. de Vauvenargues
J’ai passé plusieurs fois chez vous (1) pour vous remercier d’avoir donné au public des pensées (2) au-dessus de lui. Le siècle qui a produit les Etrennes de la Saint-Jean (3), les Ecosseuses (4), Misapouf (5), ne vous méritait pas ; mais enfin il vous possède, et je bénis la nature. Il y a un an que je dis que vous êtes un grand homme, et vous avez révélé mon secret. Je n’ai lu encore que les deux tiers de votre livre ; je vais dévorer la troisième partie. Je l’ai porté aux antipodes, dont je reviendrai incessamment pour embrasser l’auteur, pour lui dire combien je l’aime, et avec quels transports je m’unis à la grandeur de son âme et à la sublimité de ses réflexions, comme à l’humanité de son caractère. Il y a des choses qui ont affligé ma philosophie ; ne peut-on pas adorer l’Etre suprême sans se faire capucin ? N’importe, tout le reste m’enchante ; vous êtes l’homme que je n’osais espérer, et je vous conjure de m’aimer.
1 – Rue du Paon, hôtel de Tours. (G.A.)
2 – Introduction à la connaissance de l’esprit humain, suivie de réflexions et de maximes. (G.A.)
3 – Voyez aux FACÉTIES. (G.A.)
4 – Recueil publié par Vadé, le comte Caylus et la comtesse de Verrue. (G.A.)
5 – Roman de Voisenon. (G.A.)
à M. de Vauvenargues
Ce samedi, mai 1746.
Je ne sais où trouver M. de Marmontel et son Pylade (1) ; mais je m’adresse aux héros de l’amitié pour faire passer jusqu’à eux le chagrin que me cause la petite tribulation arrivée à leurs feuilles, et l’empressement que j’aurai à les servir. Les recherches qu’on a faites, par ordre de la cour, chez tous les libraires au sujet du libelle de Roi (2), sont cause de ce malheur. On cherchait des poisons, et on a saisi de bons remèdes. Voilà le train de ce monde. Ce misérable Roi n’est né que pour faire du mal ; mais je me flatte que cette aventure pourra servir à faire discerner ceux qui méritent l’indignation du gouvernement et du public. C’est à quoi je vais travailler avec plus de chaleur qu’à mon Discours à l’Académie. J’embrasse tendrement celui dont je voudrais avoir les pensées et le style, et dont j’ai les sentiments, et je prie le plus aimable des hommes de m’aimer un peu.
1 – Bauvin, qui venait de fonder avec Marmontel l’Observateur littéraire. (G.A.)
2 – Ces perquisitions eurent lieu en avril, mai et juin. (G.A.)
au Cardinal Querini
Parigi, 8 Maggio.
Ho ricevuto il cumulo de’ suoi favori, la lettera stampata e dedicata al suo degno nipote (1), nella quale mi fa conoscère quel grand’ uomo barbaro di nome (2), ma di costumi cortese, e di opere grande ; e nella quale ho trovato i belli versi italiani et latini che fanno a me un tanto onore, ed un si grand contengono la traduzione latina ed italiana del principio della Henriade. Non fu mai il gran Tasso cosi rimunerato, ed il trionfo che gli fu preparato nel Cmpidoglio non era d’un tanto valore. Mi conceda d’indirizzare a vostra eminenza le dovute grazie al suo eccellentissimo nipote.
Saro domani pubblicamente aggregato all’Accademia francese, nell ‘ istesso tempo che l’Accademia della Crusca si procura il vantaggio d’acquistare l’eminenza vostra ; ma questa è la differenza fra noi, che l’Accademia della Crusca riceve un onore insigne dal vostro nome, laddove io ne ricevo un grande da quella di Parigi. Ho l’incombenza di pronunciare un lungo e tedioso discorso ; ma, per quanto tedioso possa essere, non manchero di mandarlo a vostra eminenza, essendo costumato di mandarle tributi, benchè indegni del suo merito.
Non dubito che le sia a quest’ ora capitalo il piego che contiene cinque o sei esemplari del moi piccolo Saggio italiano sopra una materia fisica, che io ho sottoposto al suo giudizio, e pel quale richiedo il suo patrocinio. Saro sempre col più profondo rispetto, etc.
1 – L’ambassadeur Tron. (G.A.)
2 – Alamanni, auteur d’un poème sur l’agriculture. (G.A.)
à M. de Vauvenargues
Versailles, Mai 1746.
J’ai usé, mon très aimable philosophe, de la permission que vous m’avez donnée. J’ai crayonné un des meilleurs livres (1) que nous ayons en notre langue, après l’avoir relu avec un extrême recueillement. J’y ai admiré de nouveau cette belle âme si sublime, si éloquente, et si vraie, cette foule d’idées neuves ou rendues d’une manière si hardie, si précise, ces coups de pinceau si fiers et si tendres. Il ne tient qu’à vous de séparer cette profusion de diamants, de quelques pierres fausses ou enchâssés d’une manière étrangère à notre langue. Il faut que ce livre soit excellent d’un bout à l’autre. Je vous conjure de faire cet honneur à notre nation et à vous-même, et de rendre ce service à l’esprit humain. Je me garde bien d’insister sur mes critiques ; je les soumets à votre raison, à votre goût, et j’exclus l’amour-propre de notre tribunal. J’ai la plus grande impatience de vous embrasser. Je vous supplie de dire à notre ami Marmontel qu’il m’envoie sur-le-champ ce qu’il sait bien. Il n’a qu’à l’adresser, par la poste, chez M. d’Argenson, ministre des affaires étrangères, à Versailles. Il faut deux enveloppes, la première à moi, la dernière à M. d’Argenson. Adieu, belle âme et beau génie.
1 – L’Introduction à la connaissance de l’esprit humain. (G.A.)
à M. de Vauvenargues
Ce samedi au soir, 12 Mai 1746 (1).
J’ai apporté à Paris, monsieur, la lettre que je vous avais écrite à Versailles. Elle ne vous en sera que plus tôt rendue. J’y ajoute que la reine veut vous lire, qu’elle en a l’empressement que vous devez inspirer, et que, si vous avez un exemplaire que vous vouliez bien m’envoyer, il lui sera rendu demain matin de votre part. Je ne doute pas qu’ayant lu l’ouvrage, elle n’ait autant d’envie de connaître l’auteur que j’en ai d’être honoré de son amitié.
1 – Ou plutôt, 14 Mai. (G.A.)
à M. le marquis d’Argenson
A Paris, le 16 Mai 1746.
Voici, monseigneur, ma bavarderie académique (1). Je fourre partout mes vœux pour la paix. On dit que je suis bon citoyen ; comment ne le serais-je pas ? il y a quarante ans que je vous aime.
Allez, si vous voulez, à Rotterdam, mais revenez à Paris avec des branches d’olivier, et vous entendrez des honsanna in excelsis. Permettez que je mette dans votre paquet un imprimé pour M. l’abbé de La Ville, et un pour M. Charier votre hôte, et hôte très aimable.
Je ne sais pas comment sont les actions d’Angleterre ; mais je garde les miennes. Fais-je bien, mon maître ? J’ai tant de confiance aux grandes actions du roi ! Mon Dieu, que je vous aimerai, si vous faites tout ce que vous avez tant d’envie de faire !
Voilà M. l’évêque de Bazas mort ; cette place conviendrait-elle à M. l’abbé de La Ville (2) ? On en a déjà parlé dans l’Académie ; mais il faudrait écrire, et faire agir des amis. gardez-moi le secret.
1 – Voyez le Discours de réception à l’Académie. (G.A.)
2 – L’abbé fut nommé. (G.A.)
à M. de Vauvenargues
Mai 1746.
La plupart de vos pensées me paraissent dignes de votre âme et du petit nombre d’hommes de goût et de génie qui restent encore dans Paris, et qui méritent de vous lire ; Mais, plus j’admire cet esprit de profondeur et de sentiment qui domine en vous, plus je suis affligé que vous me refusiez vos lumières. Vous avez lu superficiellement une tragédie (1) pleine de fautes de copiste, sans daigner même vous informer de ce qui pouvait être à la place de vingt sottises inintelligibles qui étaient dans le manuscrit. Vous ne m’avez fait aucune critique. J’en suis d’autant plus fâché contre vous, que je le suis contre moi-même, et que je crains d’avoir fait un ouvrage indigne d’être jugé par vous. Cependant je méritais vos avis, et par le cas infini que j’en fais, et par mon amour pour la vérité, et par une envie de me corriger qui ne craint jamais le travail, et enfin par ma tendre amitié pour vous.
1 – Sémiramis. (G.A.)