CORRESPONDANCE - Année 1743 - Partie 2

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à M. le comte d’Argental

 

Mars.

 

 

Mon adorable ami, vous n’aurez pas aujourd’hui la moindre bouteille de ce vin que vous daignez aimer. En vous remerciant de celui de M. de Mairan. Je vais aujourd’hui à Versailles, je ne reviendrai que samedi.

 

Mais, mon Dieu, je suis accusé bien injustement. Ce n’est qu’à La Noue même que j’ai parlé, et c’est avec la plus tendre amitié que je lui ai fait mes représentations ; il les a reçues avec un peu d’aigreur. Mais, mon cher et respectable ami, je ne m’opposais à voir le visage de La Noue couvert, à Versailles, du turban d’Orosmane, que parce que je croyais qu’après avoir joué le rôle dans cette petite ville, il aurait le droit et la volonté de le jouer à Paris. Vous m’apprenez qu’il veut bien le céder à Grandval, après l’avoir joué à Versailles, en province ; c’est une nouvelle en tous sens très agréable pour moi. Il s’en faut beaucoup que mon goût pour la personne et les talents de La Noue soit diminué. Je serais fâché que Grandval jouât le rôle de Titus dans Brutus. Chacun a son talent et doit s’y renfermer. En vérité, vous devez avouer que La Noue n’est pas fait pour Orosmane. Vous aimiez Zaïre avant d’aimer La Noue. C’est les trahir tous deux que de donner Orosmane à La Noue. Je vous conjure de lui faire entendre raison. N’appelez point acharnement ma juste fermeté. La Noue devrait me remercier ; je lui rends service en le suppliant instamment de ne point paraître sous une forme qui le dégrade. Joignez-vous à moi, faites-lui connaître ses véritables intérêts, dites-lui qu’ils me sont chers. Il ne faut pas que je lui déplaise en lui rendant service.

 

J’ai reçu hier une lettre de l’archevêque de Narbonne, par laquelle il me fait entendre qu’on l’a pressé de succéder à M. le cardinal de Fleury, et qu’il accepte la place (1).

 

         Persécuté de tous côtés, que j’aie au moins le public pour moi. Il est de mon intérêt et de mon honneur de me présenter sous des faces différentes, et d’élever en ma faveur la voix publique, qui, jointe à la vôtre, me console de tout. Mille tendres respects à mes deux anges, que j’adore.

 

 

1 – Jean-Louis de Bertons de Crillon ne fut pas admis à l’Académie française. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

 

A Versailles, vendredi,… Mars 1743.

 

 

Voici, mon très cher ange, un fait comique. Je fais à M. le duc de Richelieu mes très humbles plaintes de ce qu’il m’a forcé à laisser jouer Rousselois dans mes pièces, et de ce que tout Versailles dit que c’est moi qui l’ai fait venir, que c’est moi qui lui ai écrit, de la part de monsieur le premier gentilhomme (1) de la chambre. Je m’épuise en doux reproches ; je me lamente. M. de Richelieu me répond en pouffant de rire. Eh bien ! dit-il après avoir bien ricané, voulez-vous que je vous avoue celui qui a écrit à Rousselois, sans me consulter ? c’est Roi. — Quoi, Roi ? — Oui, Roi ; Roi, le chevalier de Saint-Michel ; Roi, le cheval ; Roi, l’ennuyeux ; Roi, l’insupportable ; Roi, qui fait assez bien des ballets. Il a gagné un homme à moi qui m’a recommandé Rousselois comme un Baron. Je l’ai fait jouer dans vos tragédies, croyant vous servir. Je vous avoue ma faute, et vous pouvez dire partout que c’est moi qui ai tort.

 

Mes chers anges, cela désarme ; mais mademoiselle Dumesnil et ce pauvre Paulin (2) sont au désespoir, et M. le duc d’Aumont va me croire le plus inepte des mortels ; mais enfin la vérité triomphe, et M. le duc de Richelieu confesse son erreur. Il ne reste que Roi à punir ; mais il n’y a pas moyen de punir un si sot homme. Justifiez-moi bien, mes chers anges ; permettez que je vous dise que je suis enchanté des bontés de sa majesté. Le ministère n’a pas mis à cela la dernière main ; mais il le fera. Je vous confie ce petit secret comme à mes chers protecteurs, que j’adorerai toute ma vie.

 

 

1 – Le duc d’Aumont. (G.A.)

 

2 – Mérope avait été jouée le 20 Février. La Dumesnil remplissait le rôle de Mérope, et Paulin celui de Polyphonte. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

 

A Paris, ce 23 Mars 1743.

 

 

Mon cher ami, tâchons donc de nous rassembler, car ce n’est vivre qu’à demi que de vivre sans vous. Une place à table à côté de mon cher Cideville vaut mieux qu’une place à l’Académie ; ce n’est pas beaucoup dire. Je solliciterai toujours la première place et jamais la seconde. Je vous embrasse tendrement. J’ai bien envie de connaître M. de Béthencourt en prose ; ses vers m’ont déjà charmé.

 

 

 

 

 

à ………. (1)

27 Mars 1743.

 

 

         Serais-je un impudent si je vous demandais la permission de venir dîner chez vous aujourd’hui ? Je sais que vous avez un certain abbé de Valory à qui je voudrais que tout le clergé ressemblât, et un lieutenant de police à qui je veux plaire (2).

 

         Mais ne vous déplairai-je point ? N’avez-vous point trop de maîtres des requêtes ? Ne serais-je point terriblement intrus dans votre sanctuaire ? Refusez-moi si je suis un profane, et conservez-moi des bontés qui me sont bien précieuses, et que je mérite par mon tendre respect pour vous et par l’extrême envie que j’ai de vous faire plus souvent ma cour.

 

 

1 – Editeurs, E. Bayoux et A. François. Celui-ci croit que cette lettre est adressée au président Hénault. (G.A.)

 

2 – Marville. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

 

Mars.

 

 

         Quand les autres en ont gros comme un moucheron, j’en ai gros comme un chameau (1). Quoique j’aie commencé longtemps avant mes anges, je ne crois pas que j’aie la force de sortir aujourd’hui de mon lit. Si je sortais, ce ne serait que pour Mérope. Je suis trop heureux que ces cahiers vous amusent ; en voilà six autres. J’aurai soin du quatrième acte d’Adélaïde, mais c’est sur Zulime que je compte le plus. Si j’étais plus jeune et moins persécuté, je travaillerais encore. Je suis venu dans le temps de barbarie. Je ne sais rien de cette Académie ; tout ce que je sais, c’est qu’il est bien cruel que deux hommes (2) puissants se soient réunis pour m’arracher un agrément frivole, la seule récompense que je demandais, après trente années de travail. Bonjour ; vous êtes ma plus grande consolation ; mais portez-vous bien l’un et l’autre.

 

 

1 – Il avait alors la grippe. (G.A.)

 

2 – Boyer et Maurepas. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Moncrif (1)

 

 

         J’ai été à Versailles ; je suis revenu à Paris pour y embrasser mon ancien ami, et pour le remercier de ses bontés (2) la plus grande qu’il puisse avoir à présent est de venir dîner avec moi mercredi prochain. Sera-t-il assez aimable pour faire ce plaisir à son ami Voltaire ?

 

         Ce dimanche soir, rue du Faubourg Saint-Honoré, près de l’hôtel Charost, n° 13, afin qu’il n’en ignore.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

2 – Ses démarches pour faire entrer Voltaire à l’Académie, où la mort du cardinal de Fleury laissait un fauteuil vacant.

 

 

 

 

 

à M. d’Aigueberre (1)

 

A Paris, le 4 Avril 1743.

 

 

         J’ai été bien malade, mon cher ami ; j’ai fait parler à M. de La Houssaie (2), comme vous me l’avez ordonné ; il me semble que c’est une chose assez aisée de faire retarder les affaires ; voilà de toutes les grâces la plus facile à obtenir. Je n’ai point vu M. l’abbé Berth, qui devait m’expliquer tant de choses ; je ne sais où le déterrer. Si vous me mandez sa demeure, j’irai chez lui. Vous savez si j’ai de l’empressement à vous obéir.

 

         Notre Mérope n’est pas encore imprimée ; je doute qu’elle réussisse à la lecture autant qu’à la représentation ; ce n’est point moi qui ai fait la pièce, c’est mademoiselle Dumesnil. Que dites-vous d’une actrice (3) qui fait pleurer le parterre pendant trois actes de suite ? Le public a pris un peu le change ; il a mis sur mon compte une partie du plaisir extrême que lui ont fait les acteurs, et la séduction a été au point que je n’ai pu paraître à la Comédie qu’on ne m’ait battu des mains ; cette faveur populaire m’a un peu consolé de la petite persécution que j’ai essuyée de M. l’évêque de Mirepoix. L’Académie, le roi et le public, m’avaient désigné pour avoir l’honneur de succéder à M. le cardinal de Fleury, parmi les Quarante ; mais M. de Mirepoix n’a pas voulu, et il a enfin trouvé, après deux mois et demi un évêque (4) pour remplir la place qu’on me destinait. Je crois qu’il convient à un profane comme moi de renoncer pour jamais à l’Académie, et de m’en tenir aux bontés du public ; mais il y a encore quelque chose de plus précieux que cette bienveillance, peut-être passagère, c’est l’amitié constante d’un cœur comme le vôtre.

 

         Les lettres sont ici plus persécutées que favorisées. On vient de mettre à la Bastille l’abbé Lenglet (5), pour avoir publié des Mémoires déjà connus, qui servent de supplément à l’Histoire de M. de Thou. Il a rendu de très grand service aux bons citoyens et aux amateurs de recherches sur l’histoire ; il méritait des récompenses, et on l’emprisonne, à l’âge de soixante-huit ans.

 

 

Insere nunc, Melibœe, piros ! pone ordine vites !

 

VIRG., ecl. I.

 

 

         Madame du Châtelet vous fait mille compliments ; elle marie sa fille (6), comme je crois vous l’avoir mandé, à M. le duc de Montenero, Napolitain, au grand nez, au visage maigre, à la poitrine enfoncée ; il est ici, et va vous enlever une Française aux joues rebondies. Vale, et me ama.

 

 

1 – Lettre destinée à être répandue. (G.A.)

 

2 – Intendant des finances. (G.A.)

 

3 – Mademoiselle Dumesnil. (G.A.)

 

4 – Paul d’Albert de Luynes, évêque de Bayeux. (G.A.)

 

5 – Nicolas Lenglet du Fresnoy, emprisonné comme auteur des Mémoires de Condé, tome VI, servant d’éclaircissement et de preuves à l’Histoire de M. de Thou. (G.A.)

 

6 – Agée de dix-sept ans. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. de Vauvenargues

 

Jeudi, 4 Avril 1743.

 

 

         Aimable créature, beau génie, j’ai lu votre premier manuscrit, et j’y ai admiré cette hauteur d’une grande âme qui s’élève si fort au-dessus des petits brillants des Isocrates. Si vous étiez né quelques années plus tôt, mes ouvrages en vaudraient mieux ; mais, au moins, sur la fin de ma carrière, vous m’affermissez dans la route que vous suivez. Le grand, le pathétique, le sentiment, voilà mes premiers maîtres ; vous êtes le dernier. Je vais vous lire encore. Je vous remercie tendrement. Vous êtes la plus douce de mes consolations dans les maux qui m’accablent.

 

 

 

 

 

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