CORRESPONDANCE - ANNEE 1741 - Partie 12

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à M. Thieriot

Bruxelles, 16 Septembre 1741.

 

         Je comptais faire un voyage à Cirey, et passer par Paris à la fin de ce mois ; mais il faut attendre que les griffes de la chicane qui nous accrochent veuillent nous laisser aller. Je remets à ce temps à vous dire beaucoup de choses qu’il vaut mieux faire entendre à son ami au coin du feu que lui écrire par la poste. Je serai probablement à Paris au commencement de l’hiver ; vous êtes assurément un de ceux qui me font désirer le plus de faire ce voyage. J’ai encore reçu des lettres de Silésie, par lesquelles on m’invite d’aller ailleurs qu’à Paris ; mais j’espère que ma constance dans l’amitié ne vous déplaira pas.

 

         Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

 

 

 

à M. Segui

Bruxelles, le 29 Septembre 1741 (1).

 

 

         J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, avec votre projet de souscription pour les œuvres du célèbre poète dont vous étiez l’ami (2). Je me mets très volontiers au rang des souscripteurs, quoique j’aie été malheureusement au rang de ses ennemis les plus déclarés. Je vous avouerai même que cette inimitié pesait beaucoup à mon cœur. J’ai toujours pensé, j’ai dit, j’ai écrit que les gens de lettres devraient être tous frères. Ne les persécute-t-on pas assez ? faut-il qu’ils se persécutent encore eux-mêmes les uns les autres ? Plût à Dieu qu’ils pussent s’aider, se soutenir, se consoler mutuellement, surtout dans un temps où il paraît qu’on cherche à rabaisser un art qui a fait la principale gloire du siècle de Louis XIV ! Il semblait que la destinée, en me conduisant à la ville où l’illustre et malheureux Rousseau a fini ses jours, me ménageât une réconciliation avec lui.

 

         L’espèce de maladie dont il était accablé m’a privé de cette consolation que nous avions tous deux également souhaitée. L’amour de la paix l’eût emporté sur tous les sujets d’aigreur qu’on avait semés entre nous. Ses talents, ses malheurs, et sa mort, ont banni de mon cœur tout ressentiment, et n’ont laissé mes yeux ouverts qu’à ce qu’il avait de mérite.

 

         Votre amitié pour lui, monsieur, sert encore beaucoup à me faire regretter de n’avoir pu avoir la sienne. J’attends donc avec impatience une édition que votre sensibilité pour sa mémoire, votre goût et votre probité rendront sûrement digne du public à qui vous la présentez. C’est avec ces sentiments, et ceux de la considération la plus distinguée, que j’ai l’honneur d’être, etc.

 

 

1 – Cette lettre fut publiée inexactement en 1761 dans un Recueil que Voltaire désavoua. On la réimprima en 1827, d’après l’original. (G.A.)

 

2 – Jean-Baptiste Rousseau. (G.A.)

 

 

 

 

à M. de Maupertuis

A Bruxelles-, le 6 octobre 1741.

 

 

         Vous devez, mon cher aplatisseur de ce globe, avoir reçu une invitation de vous rendre à Berlin. On compte que nous pourrons arriver ensemble : mais, pour moi, je n’irai, je pense, qu’à Cirey. Je pourrai bien passer par Paris avec madame du Châtelet ; j’espère au moins que je vous y verrai.

 

         Si vous n’êtes pas assez philosophe pour préférer le séjour de l’amitié à la cour des rois, vous le serez peut-être assez pour ne pas vous déterminer sitôt à retourner en Prusse. Mandez-moi, je vous prie, quelles sont vos résolutions, si vous en avez. Examinez-vous, et voyez ce que vous voulez. Ceci est une affaire de calcul. Il y a une sorte de gloire et du repos dans le refus ; il y a une autre gloire et des espérances dans le voyage. C’est un problème que vous pouvez trouver difficile à résoudre, et qui certainement est embarrassant. Je conçois très bien que ceux qui sont assez heureux pour vivre avec vous, décideront que vous devez rester ; mais le problème ne doit être résolu que par vous. Ne montrez point ma lettre, je vous prie ; n’en parlez point, et si vous faites quelque cas de moi, mandez moi ce que vous pensez. Je vous promets le plus profond secret. Je vous renverrai même votre lettre si vous le voulez. Il me semble que c’est un assez beau siècle que celui où les gens de lettres balancent à se rendre à la cour des rois ; mais s’ils ne balancent point, le siècle sera bien plus beau.

 

         Je suis toujours au rang de vos plus tendres et de vos plus fidèles serviteurs.

 

 

 

 

 

à M. de Cideville

A Bruxelles, ce 28 Octobre 1741.

 

 

Vous, qu’à plus d’un doux mystère

Les dieux ont associé,

Dans l’art des vers initié,

Qui savez les juger aussi bien que les faire ;

Vous, Hercule en amour, Pylade en amitié,

Vous seul manquez encore aux charmes de ma vie.

Sous le ciel de Paris, grands dieux ! prenez le soin

De ramener ma Muse avec la sienne unie !

C’est n’être point heureux que de l’être si loin.

 

         Je compte donc, mon cher ami, passer par Paris au commencement de Novembre ; je ne me flatte pas de vous y rencontrer ; je me plains par avance de ce que probablement je ne vous y verrai pas. C’est le temps où tout le monde est à la campagne, et vous êtes un de ces héros qui passez votre temps dans des châteaux enchantés. De Paris où irons-nous ? plaider à la plus voisine juridiction de Cirey, et de là replaider à Bruxelles. Ne voilà-t-il pas une vie bien digne d’une Emilie ! Cependant elle fait tout cela avec allégresse, parce que c’est un devoir. Je compte, moi, parmi mes devoirs, de rendre mon Prophète un peu plus digne de mon cher Aristarque. Je l’ai laissé reposer depuis quelques mois, afin de tâcher de le revoir avec des yeux moins paternels et plus éclairés. Quelle obligation n’aurai-je point à vos critiques, si jamais l’ouvrage vaut quelque chose ! Ce sont là de ces plaisirs que toutes sortes d’amis ne peuvent pas faire. Je doute que Pylade et Pirithoüs eussent corrigé des tragédies. Il me manque de vous voir pour vous en remercier. Je ne sais plus où vous me prendrez pour ajouter à vos faveurs celle de m’écrire. Dès que je serai fixé pour quelque temps, je vous le manderai.

 

         J’ai lu le poème (1) de Linant, que l’Académie s’accoutume à couronner. Il y a du bon. Je souhaite qu’il tire de son talent plus de fortune qu’il n’en recueillera de réputation. Je ne suis plus guère en état de l’aider comme je l’aurais voulu. Un certain Michel, à qui j’avais confié une partie de ma fortune, s’est avisé de faire la plus horrible banqueroute que mortel financier puisse faire. C’était un receveur-général des finances de sa majesté. Or, je ne conçois que médiocrement comment un receveur-général des finances peut faire banqueroute sans être un fripon. Vous, qui êtes prêtre de Thémis comme d’Apollon, vous m’expliquerez ce mystère.

 

         Mon Dieu, mon cher ami, qu’il y a des gens malheureux dans ce monde ! Vous souvenez-vous de votre compatriote et de votre ancien camarade Lecoq ? Je viens de voir arriver chez moi une figure en linge sale, un menton de galoche, une barbe de quatre doigts ; c’était Lecoq qui traîne sa misère de ville en ville. Cela fait saigner le cœur.

 

         On m’a envoyé le Discours de votre autre compatriote Fontenelle (2), à l’académie. Cela n’est pas excellent ; mais heureux qui fait des choses médiocres à quatre-vingt-cinq ans passés !

 

         Adieu, mon cher ami. Si vous avez encore à Rouen, le très aimable Formont, dites-lui, je vous en prie, combien il me serait doux de vivre entre vous deux.

 

 

1 – Les accroissements de la Bibliothèque du roi. (G.A.)

 

2 – Nommé directeur pour le trimestre de Juillet, comme étant de l’Académie depuis cinquante ans. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Thieriot

Le 6 novembre 1741.

 

 

         Je suis dans l’ancienne maison (1) où nous avons logé ; mais on n’y dort plus. Je suis si fatigué que je ne peux sortir. L’amitié me conduirait chez vous si je pouvais remuer. Je me flatte que si vous sortez ce matin, vous viendrez égayer les mânes de madame de Fontaine-Martiel, et me soulager de mon insomnie.

 

 

1 – Hôtel de madame de Fontaine-Martel, dont madame d’Autrey, sœur du comte de Marville était alors propriétaire. (G.A.)

 

 

 

 

à la reine de Prusse (1)

Paris.

 

 

         Madame son altesse royale madame la margrave de Bareuth m’ayant fait l’honneur de m’avertir que votre majesté souhaitait de voir cette tragédie de Mahomet, dont le roi a une copie, je n’ai songé, depuis ce moment, qu’à la corriger, pour la rendre moins indigne des attentions de votre majesté ; et après l’avoir retravaillé avec tous les soins dont je suis capable, je l’ai adressée à M. de Raesfeld, envoyé de votre cour à La Haye, afin qu’elle parvînt à votre majesté avec sûreté et promptitude.

 

         Je cherche moins peut-être à obéir à une reine, qu’à mériter, si je puis, le suffrage d’un excellent juge. Il n’est pas étonnant qu’on n’ait pas d’autre envie que celle de plaire à votre majesté, dès qu’on a eu le bonheur de l’approcher. Mon zèle pour elle sera aussi durable que mes regrets. Berlin est le séjour de la politesse et des arts, comme la Silésie est celui de la gloire. Puisse votre majesté faire longtemps l’ornement de l’Allemagne, et puisse le roi, qui en fait le destin, jouir, auprès de vous, de tout le bonheur qu’il mérite ! Je suis avec un très profond respect, etc.

 

 

1 – Femme de Frédéric. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Berger

Cirey.

 

 

         Vous ne devez pas plus douter, mon cher monsieur, de mon amitié que de ma paresse. Ce n’est pas que je sois de ces aimables paresseux de nouvelle date, qui se tourmentent à dire qu’ils ne font rien ; Je suis d’une espèce toute contraire. J’ai tant travaillé que j’en ai presque renoncé au commerce des humains ; mais le vôtre m’est toujours bien précieux, et c’est un bel intermède, dans mes occupations, que la lecture de vos lettres.

 

         Le roi de Prusse me mande qu’il prend La Noue et Dupré (1). S’il enlève aussi Gresset, nous n’aurons guère plus de danseurs, d’acteurs, ni de poètes. Nous acquérons de la gloire en Allemagne (2), et les talents périssent à Paris.

 

         Je vous embrasse, et suis pour toujours plein d’attachement pour vous.

 

 

1 – Célèbre danseur. (G.A.)

 

2 – Voyez le chapitre VI du Siècle de Louis VI. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le comte d’Argental

A Cirey, ce 25 Décembre 1741.

 

 

         Je ne rends pas à mes chers anges gardiens un compte bien exact de ma conduite ; je leur écris peu, et, en cela, je pèche grièvement ; mais ne lisent-ils pas dans mon cœur ? ne savent-ils pas qu’on est occupé d’eux à Cirey, et qu’on les regrette partout ? On a encore donné quelques coups de lime à leur Mahomet ; mais voici une triste nouvelle pour la Comédie et pour l’opéra. Le roi de Prusse n’est pas content d’avoir pris la Silésie. Il me mande qu’il prend Dupré et La Noue ; Le héros tragique n’est pas si bien fait que le héros dansant, et c’est faire venir un singe de loin ; mais ce singe-là joue très bien, et je ne connais guère que lui qui pût mettre dans notre Mahomet et la force et la terreur convenables. Ce qui me rassure un peu, c’est que La Noue aime fort mademoiselle Gauthier, et que sûrement on ne peut quitter ce qu’on aime pour le roi de Prusse. La place de premier acteur à Paris vaut bien d’ailleurs une pension à Berlin, et notre parterre vaut un peu mieux qu’un parterre de Prussiens. Mandez-moi, je vous en prie, combien de temps l’ambassadeur turc sera à Paris, et ce qu’on fait à la Comédie. Madame du Châtelet va passer un jour à Commercy ; nous irons ensuite à Gray, et de là nous reviendrons vous voir, mes très anges, à qui je souhaite la santé et tous les plaisirs de ce monde.

 

         Me mettant toujours à l’ombre de vos ailes.

 

 

 

 

CORRESPONDANCE 1741- 12

 

 

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