CORRESPONDANCE : Année 1725 - Partie 14

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à M. Thieriot.

Paris, 25 Juin.

 

 

          J’ai toujours bien de l’amitié pour vous, grande aversion pour les tracasseries, et beaucoup d’envie d’aller jouir de la tranquillité chez madame de Bernières ; mais je n’y veux aller qu’en cas que je sois sûr d’être un peu désiré. Je ferais mille lieues pour aller la voir, si elle a toujours la même amitié pour moi ; mais je ne ferais pas un stade, si son amitié est diminuée d’un grain. Je devine que le chevalier des Alleurs (1) est à la Rivière, et que vous y passez une vie bien douce. Je ne sais si M. de Bernières se dispose à partir : il n’entend pas parler de moi, ni moi de lui. Nous ne nous rencontrons pas plus que s’il demeurait au Marais, et moi aux Incurables. Je saurai probablement de ses nouvelles par madame de Bernières. Mandez-moi comment elle se porte, si elle est bien gourmande, si Silva (2) lui a envoyé son ordonnance, si elle est bien enchantée du chevalier des Alleurs, si ledit chevalier, toujours bien sain, bien dormant, et bien…, se dit toujours malade ; enfin si on veut me souffrir dans l’ermitage. Je ne sais aucune nouvelle, ni ne m’en soucie ; j’attends des vôtres, et vous embrasse de tout mon cœur.

 

 

1 – Capitaine dans le régiment des gardes-françaises, plus tard ambassadeur à Constantinople. (G.A.)

2 – Célèbre médecin. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

Ce mercredi, 27 Juin.

 

 

          Je sors de chez Sylva, à qui j’ai envoyé quatre fois inutilement demander votre ordonnance ; il m’a paru aussi difficile d’en avoir une de ce médecin que du roi. Enfin Silva vient de me dire que les morceaux d’une boule de fer étaient aussi bons que la boule en entier. Mais, pour moi, je puis vous assurer que le régime vaut mieux que toutes les boules de fer du monde. Je ne me sers plus que de ce remède, et je m’en trouve si bien, que je serais déjà chez vous par le coche, ou par les batelets, sans la lettre que M. Thieriot m’a écrite. Il m’a mandé que vous et lui seriez fort aises de me recevoir, mais qu’il ne me conseillait pas de venir sans avoir auparavant donné de l’argent à M. de Bernières (1). Je n’ai jamais plus vivement senti ma pauvreté qu’en lisant cette lettre. Je voudrais avoir beaucoup d’argent à lui donner ; car on ne peut payer trop cher le plaisir et la douceur de vivre avec vous. J’envie bien la destinée de M. des Alleurs, qui a porté à la Rivière-Bourdet son indifférence et ses agréments. Je m’imagine que vous avez volontiers oublié tout le monde dans votre charmante solitude, et que qui vous manderait des nouvelles de ce pays-ci, fût-ce des nouvelles de votre mari, vous importunerait beaucoup.

 

          Je ne sais autre chose que le risque où le roi Stanislas a été d’être empoisonné (2). On a arrêté l’empoisonneur et on attend de jour en jour des éclaircissements sur cette aventure. Les dames du palais partiront, je crois, le 10 pour aller chercher leur reine (3). Je crois M. de Luxembourg parti pour Rouen. Voilà tout ce que je sais. Tout le monde dit dans Paris que je suis dévot et brouillé avec vous, et cela parce que je ne suis point à la Rivière, et que je suis souvent chez la femme au miracle du faubourg Saint-Antoine. Le vrai pourtant est que je vous aime de tout mon cœur, comme vous m’aimiez autrefois, et que je n’aime Dieu que très médiocrement, dont je suis très honteux.

 

          Je ne sais point du tout si M. de Bernières ira vous voir, et vous savez si j’y dois aller. Mandez-moi ce que vous souhaitez ; ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu : soit à la Rivière, soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours, avec la tendresse la plus vive.

 

 

1 – Pour l’appartement loué par Voltaire et Thieriot dans son hôtel. (G.A.)

2 – Avec du tabac. (G.A.)

3 – Marie Leczinska. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

2 Juillet.

 

 

          Me voici donc prisonnier dans le camp ennemi (1), faute d’avoir de quoi payer ma rançon pour aller à la Rivière, que j’avais appelée ma patrie. En vérité je ne m’attendais pas que jamais votre amitié pût souffrir que l’on mît de pareilles conditions dans le commerce. J’arrive de Maisons, où j’ai enfin la hardiesse de retourner. Je comptais de là aller à la Rivière, et passer le mois de Juillet avec vous. Je me faisais un plaisir d’aller jouir auprès de vous de la santé qui m’est enfin rendue. Vous ne m’avez vu que malade et languissant. J’étais honteux de ne vous avoir donné jusqu’à présent que des jours si tristes, et je me hâtais de vous aller offrir les prémices de ma santé. J’ai retrouvé ma gaieté, et je vous l’apportais ; vous l’auriez augmentée encore. Je me figurais que j’allais passer des journées délicieuses. M. de Bernières même pourrait bien ne pas venir à la Rivière sitôt. En vérité, je suis plus fait pour vivre avec vous que lui, et surtout à la campagne ; mais la fortune arrange les choses tout de travers. Je ne veux pourtant pas que notre amitié dépende d’elle : pour moi, il me semble que je vous aimerai de tout mon cœur, malgré toutes les guenilles qui nous séparent, et malgré vous-même. J’apprends, en arrivant à Paris, que d’Entragues (2) vient de s’enfuir en Hollande ; c’est une affaire bien singulière, et qui fait bien du bruit. On parle de madame de Prie, de traitants, de quatorze cent mille francs, de signatures ; mais on prétend qu’on va le faire revenir pour tenir le biribi. La reine d’Espagne (3) et madame de Beaujolais arrivèrent avant-hier. La reine d’Espagne vit à Vincennes à l’espagnole, et madame de Beaujolais vivra au Palais-Royal à la française, et peut-être à la d’Orléans. Les dames du palais partent le 18. Voilà les nouvelles publiques. Les particulières sont que madame d’Egmont partage avec madame de Prie les faveurs du premier ministre, sans partager le ministère. On dit aussi que vous n’avez plus d’amitié pour moi, mais je n’en crois rien. Je me soucie très peu du reste. Je vous aime de tout mon cœur et vous prie instamment de m’écrire souvent. Mandez-moi si vous vous portez bien, si la boule de fer vous fait digérer, si vous devenez bien savante ; pour moi ; j’ai presque fini mon poème ; j’ai achevé la comédie de l’Indiscret ; je n’ai plus d’autre affaire que celle de mon plaisir, et, par conséquent, je serais à la Rivière, si vous étiez encore pour moi ce que vous avez été.

 

 

1 – C’est-à-dire chez M. de Bernières. (G.A.)

2 – Duc de Phalaris. (G.A.)

3 – Fille du régent. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

Paris, ce 23 Juillet.

 

 

          Depuis que je ne vous ai écrit, une foule d’affaires m’est survenue. La moindre est le procès que je renouvelle contre le testament de mon père. Les peines que je me donne tous les jours m’ont bientôt ôté le peu de santé que l’espérance de vous voir m’avait rendu. Je mène ici une vie de damné, tandis que Thieriot et vous vous avez l’air d’être dans les limbes, à votre campagne. Il n’y a plus d’apparence que je revoie la Rivière-Bourdet. Voilà qui est fait ; il n’y a point de repos pour moi jusqu’à l’impression de Henri IV. Je ne vous dirai point combien la situation où je me trouve est douloureuse. Vous n’êtes pas assez fâchée de vivre sans moi, pour que je vous montre toute mon affliction. Je vous prie seulement de me rendre un petit service dans votre ville de Rouen. Un de vos coquins d’imprimeurs a imprimé, depuis peu, Mariamne ; j’en ai un exemplaire entre les mains. Si, par le moyen de M. Thieriot, je pouvais savoir quel est l’imprimeur qui m’a joué ce tour, j’en ferais incessamment saisir les exemplaires. Il peut mieux que personne être informé de cela. Je ne lui écris point pour l’en prier ; car je compte que c’est tout un d’écrire à vous ou à lui ; et d’ailleurs, en vérité, je n’ai pas un moment de temps. Qu’il me pardonne donc ma négligence, et qu’il ait la bonté, quand il ira à Rouen, de dénicher un peu le faquin qui a donné ma Mariamne. Elle est pleine de fautes grossières et de vers qui ne sont point de moi ; j’en suis dans une colère de père qui voit ses enfants maltraités, et cela m’oblige de faire imprimer ma Mariamne plus tôt que je ne l’avais résolu, et dans un temps très peu favorable. Il pleut des vers à Paris. M. de La Motte veut absolument faire jouer son Œdipe ; M. de Fontenelle fait des comédies tous les jours. Tout le monde fait des poèmes épiques ; j’ai mis les poèmes à la mode, comme Langlée y avait mis les falbalas. Si vous voulez des nouvelles, messieurs du clergé refusent de payer le cinquantième, et je m’imagine que, sur cela, la noblesse et le tiers-état pourront bien penser de même. Les dames du palais partent demain, à l’exception de madame la maréchale de Villars, qui est retenue par une perte de sang. Madame de Prie (1) a pris les devants avec madame de Tallard, et, avant de partir, m’a donné un ordre pour le concierge de sa maison de Fontainebleau, où j’ai un appartement cet automne. Je verrai le mariage de la reine ; je ferai des vers pour elle, si elle en vaut la peine. J’en ferais plus volontiers pour vous, si vous m’aimiez. Voilà le papier qui me manque. Adieu ; je vous aime de tout mon cœur.

 

 

1 – Maîtresse de M. le Duc, premier ministre. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

A Paris, 25 Juillet (1).

 

 

         Je vous enverrai la Recherche de l’amitié au lieu de celle de la vérité ; car je me soucie bien plus de l’une que de l’autre, et fais plus de cas de Thieriot, mon ami, que de Thieriot philosophe. Voilà encore une autre édition de Mariamne qui paraît d’hier, et une troisième dont on me menace. Vous voyez que l’honneur qu’on a fait à La Motte d’écrire son Inès dans les représentations, n’est pas un honneur si singulier qu’il le prétend (2). Je n’y sais à cela que de donner ma pièce et d’y corriger le plus de choses que je pourrai, afin que l’air de la nouveauté soit joint à la correction dont elle avait besoin. On vient de me dire qu’il va aussi paraître une nouvelle édition du poème de la Ligue : mais que mon poème sera différent de celui que vous avez vu ! Je commence à en être content ; c’est beaucoup dire, car vous savez que je suis plus difficile sur mes ouvrages que sur ceux des autres. Je vous remercie de tout mon cœur des perquisitions faites à Rouen (3). Ce n’est plus la peine d’en faire, puisque je suis assassiné d’éditions de tous les côtés.

 

          Mandez-moi, je vous en prie, sur-le-champ la demeure de M. de Gourdon de Mirabelle. Adieu ; je fais mille compliments à madame de Bernières, et au chevalier, et à mes anciens amis de Rouen. Je vous enverrai Mariamne, dès qu’elle sera imprimée. Je sors dans le moment pour la faire jouer et pour la faire imprimer.

 

          J’ai un procès, un poème épique, une tragédie, et une comédie sur les bras. Si j’ai de la santé, je soutiendrai tous ces fardeaux gaiement ; si je n’en ai point, que tout aille au diable. Bonsoir.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et François. (G.A.)

2 – On avait pris copie de Mariamne à la représentation (G.A.)

3 – Voyez la lettre à Madame la présidente de Bernières du 23 Juillet 1725. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

A Paris, à la comédie, ce 20 Août.

 

 

          Depuis un mois entier, je suis entouré de procureurs, de charlatans, d’imprimeurs, et de comédiens. J’ai voulu tous les jours vous écrire, et n’en ai pas encore trouvé le moment. Je me réfugie actuellement dans une loge de comédienne pour me livrer au plaisir de m’entretenir avec vous, pendant qu’on joue Mariamne et l’Indiscret pour la seconde fois. Cette petite pièce fut représentée avant-hier samedi avec assez de succès ; mais il me parut que les loges étaient encore plus contentes que le parterre. Dancourt et Legrand ont accoutumé le parterre au bas comique et aux grossièretés, et insensiblement le public s’est formé le préjugé que de petites pièces en un acte doivent être des farces pleines d’ordures, et non pas des comédies nobles où les mœurs soient respectées. Le peuple n’est pas content quand on ne fait rire que l’esprit ; il faut le faire rire tout haut, et il est difficile de le réduire à aimer mieux des plaisanteries fines que des équivoques fades, et à préférer Versailles à la rue Saint-Denis. Mariamne est enfin imprimée de ma façon, après trois éditions subreptices qui en ont paru coup sur coup.

 

          Au reste, ne croyez pas que je me borne dans Paris à faire jouer des tragédies et des comédies. Je sers Dieu et le diable tout à la fois assez passablement. J’ai dans le monde un petit vernis de dévotion que le miracle (1) est venue ce matin dans ma chambre. Voyez-vous quel honneur je fais à votre maison, et en quelle odeur de sainteté nous allons être ! M. le cardinal de Noailles a fait un beau mandement à l’occasion du miracle, et pour comble ou d’honneur ou de ridicule, je suis cité dans ce mandement. On m’a invité, en cérémonie, à assister au Te Deum qui sera chanté à Notre-Dame, en actions de grâces de la guérison de madame Lafosse. M. l’abbé Couet, grand-vicaire de son éminence, m’a envoyé aujourd’hui le mandement. Je lui ai envoyé une Mariamne, avec ces petits vers-ci :

 

Vous m’envoyez un mandement,

Recevez une tragédie,

Afin que mutuellement

Nous nous donnions la comédie.

 

 

          Ah ! Ma chère présidente, qu’avec tout cela je suis quelquefois de mauvaise humeur de me trouver seul dans ma chambre, et de sentir que vous êtes à trente lieues de moi ! Vous devez être dans le pays de Cocagne. M. l’abbé d’Amfreville, avec son ventre de prélat et son visage de chérubin, ne ressemble pas mal au Roi de Cocagne (2). Je m’imagine que vous faites des soupers charmants, que l’imagination vive et féconde de madame du Deffand (3), et celle de M. l’abbé d’Amfreville, en donnent à notre ami Thieriot, et qu’enfin tous vos moments sont délicieux. M. le chevalier des Alleurs est-il encore avec vous ? Il m’avait dit qu’il y resterait tant qu’il y trouverait du plaisir : je juge qu’il y demeurera longtemps.

 

          Adieu ; je pars incessamment pour Fontainebleau ; conservez-moi toujours bien de l’amitié. Adieu, adieu.

 

 

1 – Madame La Fosse. Cette femme, malade d’un flux de sang, avait été, disait-on, soudainement guérie à l’aspect d’un saint-sacrement. (G.A.)

2 – Comédie de Legrand. (G.A.)

3 – C’est la célèbre marquise. Elle avait alors vingt-huit ans. (G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

A Paris, ce vendredi 25 Août (1).

 

 

          C’est au coche, qui partit mercredi dernier, que je fis mettre un paquet de Mariamnes à l’adresse de madame la présidente de Bernières. Vous en ferez des présents à ceux de nos amis qui ont le plus d’indulgence pour mes vers. Je pars dans deux jours pour Fontainebleau. Mon adresse est chez madame de Prie. Ecrivez-moi, mon cher Thieriot, et aimez-moi. On joue toujours Mariamne et l’Indiscret. Je vais faire imprimer cette petite comédie. J’ai été obligé de faire imprimer Mariamne à mes dépens. Il a fallu rompre le marché que j’avais fait avec les libraires, parce que les éditions contrefaites leur coupaient la gorge ; ainsi je me la suis coupée moi-même par bonté, et j’ai fait tous les frais : il n’en sera pas de même de l’Indiscret. Je suis las du métier d’imprimeur. Mandez-moi comment vous vous en trouvez, et si Mahomet (2) est en bon train d’aller. Adieu, je vous souhaite son paradis dans ce monde et un grand débit de son histoire.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Thieriot préparait une Histoire du prophète, qui n’a jamais paru. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières. (1)

 

A Versailles, à l’hôtel de Villeroi, ce mercredi, … septembre.

 

 

          Vous imagineriez-vous que j’étais dans le grand monde quand j’habitais dans votre maison, et que je suis en retraite à Versailles ? Je n’ai vu personne depuis que j’y suis. J’avais affaire à quelques commis soi-disant ministres ; mais j’ai pris le parti de leur écrire, pour éviter la peine de leur parler.

 

          Ayez la bonté de me mander si vous êtes aussi philosophe que moi. J’ai bien peur que vous ne soyez devenue très mondaine dans mon absence ; et je crois qu’à mon retour, je vous trouverai bien changée, et que j’aurai bien à vous gronder. Mais je vous attends à la Rivière pour vous y donner mes grandes leçons de philosophie. J’aime encore mieux être ermite chez vous qu’à Versailles. Adieu ; je vous pardonne de ne point songer à moi au milieu des plaisirs de Paris.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et François - Madame de Bernières était de retour à Paris. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

 

A Versailles, septembre.

 

 

          Hier, à dix heures et demie, le roi déclara qu’il épousait la princesse de Pologne, et en parut très content. Il donna son pied à baiser à M. d’Epernon (1), et son cul à M. de Maurepas, et reçut les compliments de toute sa cour, qu’il mouille tous les jours à la chasse, par la pluie la plus horrible. Il va partir, dans le moment, pour Rambouillet, et épousera mademoiselle Leczinska à Chantilly. Tout le monde fait ici sa cour à madame de Besenval (2), qui est un peu parente de la reine. Cette dame, qui a de l’esprit, reçoit avec beaucoup de modestie les marques de bassesse qu’on lui donne. Je la vis hier chez M. le maréchal de Villars. On lui demanda à quel degré elle était parente de la reine ; elle répondit que les reines n’avaient point de parents. Les noces de Louis XV font tort au pauvre Voltaire. On ne parle de payer aucune pension, ni même de les conserver ; mais, en récompense, on va créer un nouvel impôt pour avoir de quoi acheter des dentelles et des étoffes pour la demoiselle Leczinska. Ceci ressemble au mariage du soleil, qui faisait murmurer les grenouilles. Il n’y a que trois jours que je suis à Versailles, et je voudrais déjà en être dehors. La Rivière-Bourdet me plaira plus que Trianon et Marly, et je ne veux dorénavant d’autre cour que la vôtre. Mandez-moi des nouvelles de votre santé. Digérez-vous bien ? Allez-vous souvent au spectacle ? Avez-vous fait dire à Dufresne et à la Lecouvreur de jouer Mariamne ? L’abbé Desfontaines est-il en liberté ? Thieriot est-il toujours bien sémillant ? Conservez-moi votre amitié, dont je fais plus de cas que d’une pension et de ceux qui la donnent.

 

 

1 – Plus tard, duc d’Antin. C’était le fils de madame de Gondrin, à qui Voltaire avait adressé une épître en 1716. (G.A.)

2 – Fille du comte de Bielenski. C’est la mère du baron de Besenval. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

 

A Fontainebleau, ce vendredi 17 Septembre.

 

 

          Pendant que Louis XV et Marie-Sophie-Félicité de Pologne sont, avec toute la cour, à la Comédie-Italienne, moi, qui n’aime point du tout ces pantalons étrangers, et qui vous aime de tout mon cœur, je me renferme dans ma chambre, pour vous mander les balivernes de ce pays-ci, que vous avez peut-être quelque curiosité d’apprendre. 1°/ M. de La Vrillière vient de mourir, cette nuit, à Fontainebleau ; et M. le maréchal de Gramont est mort à Paris, à la même heure. Ils ont assurément pris bien mal leur temps tous deux ; car, au milieu de tout le tintamarre du mariage du roi, leurs morts ne feront pas le moindre petit bruit.

 

          Ces jours passés, le carrosse de M. le prince de Conti renversa, en passant, le pauvre Martinot, horloger du roi, qui fut écrasé sous les roues, et mourut sur-le-champ. On ne prendra pas plus garde à la mort de MM. de La Vrillière et de Gramont qu’à celle de Martinot, à moins que quelqu’un n’ose demander, malgré les survivances, la place de secrétaire d’Etat et celle de colonel des gardes. Cependant on fait tout ce qu’on peut ici pour réjouir la reine.

 

          Le roi s’y prend très bien pour cela. Il s’est vanté de lui avoir donné sept sacrements, pour la première nuit ; mais je n’en crois rien du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples. La reine fait très bonne mine, quoique sa mine ne soit point du tout jolie. Tout le monde est enchanté ici de sa vertu et de sa politesse. La première chose qu’elle a faite a été de distribuer aux princesses et aux dames du palais toutes les bagatelles magnifiques qu’on appelle sa corbeille : cela consistait en bijoux de toute espèce, hors des diamants. Quand elle vit la cassette où tout cela était arrangé : « Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j’ai pu faire des présents. » Elle avait un peu de rouge le jour du mariage, autant qu’il en faut pour ne pas paraître pâle. Elle s’évanouit un petit instant dans la chapelle, mais seulement pour la forme. Il y eut le même jour comédie. J’avais préparé un petit Divertissement que M. de Mortemart (1) ne voulut point faire exécuter. On donna à la place Amphitryon et le Médecin malgré lui ; ce qui ne parut pas trop convenable. Après le souper il y eut un feu d’artifice avec beaucoup de fusées, et très peu d’invention et de variété ; après quoi le roi alla se préparer à faire un dauphin. Au reste, c’est ici un bruit, un fracas, une presse, un tumulte épouvantable. Je me garderai bien, dans ces premiers jours de confusion, de me faire présenter à la reine ; j’attendrai que la foule soit écoulée, et que sa majesté soit un peu revenue de l’étourdissement que tout ce sabbat doit lui causer. Alors je tâcherai de faire jouer Œdipe et Mariamne devant elle ; je lui dédierai l’un et l’autre (2) : elle m’a déjà fait dire qu’elle serait bien aise que je prisse cette liberté. Le roi et la reine de Pologne, car nous ne connaissons plus ici le roi Auguste (3), m’ont fait demander le poème de Henri IV, dont la reine a déjà entendu parler avec éloge ; mais il ne faut ici se presser sur rien. La reine va être fatiguée incessamment des harangues des compagnies souveraines ; ce serait trop que de la prose et des vers en même temps. J’aime mieux que sa majesté soit ennuyée par le parlement et par la chambre des comptes, que par moi.

 

          Vous, qui êtes reine à la Rivière, mandez-moi, je vous en prie, si vous êtes toujours bien contente dans votre royaume. Je vous assure que je préfère bien dans mon cœur votre cour à celle-ci, surtout depuis qu’elle est ornée de madame du Deffand et de M. l’abbé d’Amfreville. Je vous aime tendrement, et vous embrasse mille fois. Adieu.

 

 

1 – Premier gentilhomme de la chambre. (G.A.)

2 – Il se contenta de lui envoyer Mariamne avec une épître. (G.A.)

3 – Auguste II, qui était de fait roi de Pologne. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

 

A Fontainebleau, le 8 Octobre.

 

 

          Je viens de recevoir une lettre sans date de notre ami Thieriot, par laquelle il me mande que vous avez été malade, sans m’en spécifier le temps. Je vous assure que je me trouve bien malheureux de n’avoir pu être auprès de vous. Ce qu’on appelle si faussement les plaisirs de la cour ne vaut pas la satisfaction de consoler ses amis. Soyez sûre qu’il m’est plus doux de partager vos souffrances que de faire ici ma cour à notre nouvelle reine. J’ai été quelque temps sans vous écrire, parce que je n’ai pas ici un moment à moi. Il a fallu faire jouer Œdipe, Mariamne et l’Indiscret. J’ai été quelque temps à Belébat (1) avec madame de Prie. D’ailleurs je me suis trouvé presque toujours en l’air, maudissant la vie de courtisan, courant inutilement après une petite fortune qui semblait se présenter à moi, et qui s’est enfuie bien vite, dès que j’ai cru la tenir, regrettant à mon ordinaire vous, vos amis, et votre campagne, ayant bien de l’humeur et n’osant en montrer, voyant bien des ridicules et n’osant les dire, n’étant pas mal auprès de la reine, très bien avec madame de Prie, et tout cela ne servant à rien qu’à me faire perdre mon temps et à m’éloigner de vous. Je vais dans ce moment chercher M. de Gervasi ; et, s’il va à la Rivière-Bourdet, je vais bien envier sa destinée. Je vous avertis d’avance, ma chère reine, que M. de Gervasi et tous les médecins de la faculté vous seront inutiles, si vous n’avez pas un régime exact, et qu’avec ce régime, vous pourrez vous passer d’eux à merveille. Mettez la main sur la conscience, et avouez que vous avez été quelquefois un peu gourmande. C’est un vilain vice auquel je vous ai vue très adonnée, et je vous dirai, comme Voiture,

 

Que vous étiez bien plus heureuse,

Lorsque vous étiez autrefois

Je ne veux pas dire amoureuse ;

La rime le dit toutefois (2) !

 

          Aimez et mangez un peu moins : l’école de Salerne ne peut vous donner de meilleurs conseils. Mandez-moi donc, je vous en conjure, comment vous vous portez. Thieriot m’a écrit que votre maudit rhumatisme vous a quittée ; mais n’a-t-il laissé nulle impression ? Vos yeux ont-il beaucoup souffert ? Etes-vous parfaitement guérie ? Pourquoi faut-il que vous me négligiez assez pour me laisser ignorer l’état où vous avez été, et celui où vous êtes ? Je passai hier tout le soir avec madame de Lutzelbourg (3) à parler de vous. Elle vous aime de tout son cœur ; elle pense comme moi ; elle aimerait bien mieux être à la Rivière qu’à Fontainebleau. La pauvre femme sèche ici sur pied. On a brûlé sa maison, et on ne parle pas encore de la dédommager. Cela doit apprendre aux particulières à se piquer un peu moins de loger chez elles des reines. Madame de Lutzelbourg demande justice, et ne l’obtient point. Jugez ce qu’il arrivera de moi chétif, qui ne suis pas ici dans mon élément ; ayez pitié d’un pauvre homme qui a abandonné la Rivière-Bourdet, sa patrie, pour un pays étranger. Insensé que je suis ! Je pars dans deux jours, avec M. le duc d’Antin (4), pour aller à Bellegarde voir le roi Stanislas ; car il n’y a sottise dont je ne m’avise. De là je retourne à Belébat, une seconde fois, avec madame de Prie. Ce sera dans ce temps-là, à peu près, que mes affaires seront finies ou manquées. Je ne vous promets plus de venir à la Rivière ; mais seriez-vous bien étonnée si vous m’y voyiez arriver les premiers jours de novembre ? Je vous jure que je n’ai jamais eu plus envie de vous voir. Je songe à vous au milieu des occupations, des inquiétudes, des craintes, des espérances qui agitent tout le monde en ce pays-ci ; mais vous m’oubliez dans votre oisiveté ; vous avez raison : quand on est avec madame du Deffand et M. l’abbé d’Amfreville, il n’y a personne qu’on ne puisse oublier. Je les assure de mes très humbles respects, aussi bien que le maître de la maison. Adieu, ma chère reine ; comptez sur ma respectueuse et tendre amitié pour toute ma vie.

 

 

1 – Voyez notre Avertissement en tête de la Fête de Belébat. (G.A.)

2 – Voyez le Siècle de Louis XIV. (G.A.)

3 – Voyez au Catalogue des correspondants. (G.A)

4 – Aïeul du duc d’Epernon cité dans la lettre à Madame la présidente de Bernières.(G.A.)

 

 

 

 

à M. Thieriot.

A Fontainebleau, ce 17 Octobre.

 

 

          Je mérite encore mieux vos critiques que Mariamne, mon cher Thieriot. Un homme qui reste à la cour, au lieu de vivre avec vous, est le plus condamnable des humains, ou plutôt le plus à plaindre. J’ai eu la sottise d’abandonner mes talents et mes amis pour des fumées de cour, pour des espérances imaginaires. Je viens d’écrire sur cela une longue jérémiade à madame de Bernières. Vous auriez bien dû ne pas attendre si tard à m’informer des nouvelles de sa santé. Réparez cela en m’écrivant souvent, et, surtout, en l’empêchant de manger trop.

 

          En vérité, mon cher Thieriot, si madame de Bernières veut garder un régime exact, je suis sûr qu’elle se portera à merveille. Mettez-lui bien cela dans la tête, et qu’elle renonce à la gourmandise et à la médecine. J’ai déjà abandonné tout à fait a dernière, et m’en trouve bien. Si je puis prendre sur moi de me passer de tourtes et de sucreries, comme je me passe de Gervasi, d’Helvétius, et de Silva (1), je serai aussi gras et aussi cochon que vous incessamment.

 

          J’ai vu ici un moment le chevalier des Alleurs, qui vint monter sa garde, et qui s’enfuit bien vite après. Je ne me portais pas trop bien dans ce temps : à peine eus-je le temps de lui demander des nouvelles de la Rivière ; il m’échappa comme un éclair. Mandez-moi s’il est encore avec vous autres, et s’il jouit de la béatitude tranquille où vous êtes depuis trois mois.

 

          J’ai été ici très bien reçu de la reine. Elle a pleuré à Mariamne, elle a ri à l’Indiscret ; elle me parle souvent ; elle m’appelle mon pauvre Voltaire. Un sot se contenterait de tout cela ; mais malheureusement j’ai pensé assez solidement pour sentir que des louanges sont peu de chose, et que le rôle d’un poète à la cour traîne toujours avec lui un peu de ridicule, et qu’il n’est pas permis d’être en ce pays-ci sans aucun établissement. On me donne tous les jours des espérances dont je ne me repais guère. Vous ne sauriez croire, mon cher Thieriot, combien je suis las de ma vie de courtisan. Henri IV est bien sottement sacrifié à la cour de Louis XV. Je pleure les moments que je lui dérobe. Le pauvre enfant devrait déjà paraître in-4°, en beau papier, belle marge, beau caractère. Ce sera sûrement pour cet hiver, quelque chose qui arrive. Vous trouverez, je crois, cet ouvrage un peu autrement travaillé que Mariamne. L’épique est mon fait, ou je suis bien trompé, et il me semble qu’on marche bien plus à son aise dans une carrière où on a pour rival un Chapelain, La Motte, et Saint-Didier, que dans celle où il faut tâcher d’égaler Racine et Corneille. Je crois que tous les poètes du monde se sont donné rendez-vous à Fontainebleau. Saint-Didier a apporté son Clovis (3) à la reine, avec une épître en vers du même style. Roi vient se proposer pour des ballets. La reine est tous les jours assassinée d’odes pindariques, de sonnets, d’épîtres, et d’épithalames. Je m’imagine qu’elle a pris les poètes pour les fous de la cour ; et, en ce cas, elle a grande raison, car c’est une grande folie à un homme de lettres d’être ici. Ils ne donnent du plaisir ni n’en reçoivent. Adieu. Savez-vous que M. le duc de Nevers (4) s’est battu avec M. le comte de Brancas, dans la salle des gardes de la reine d’Espagne (5) ? Voilà les seules nouvelles que je sache. Tout ce qui se passe ici est si simple, si uni, si ennuyeux, qu’il n’y a pas moyen d’en parler. Adieu ; je vous embrasse, et vous aime.

 

 

1 – Aïeul du duc d’Epernon, cité dans la lettre adressée à madame la présidente – Versailles, septembre – 1725. (G.A.)

2 – Médecins célèbres. (G.A.)

3 – Ou plutôt les huit premiers chants de son poème, qui n’a jamais été achevé. (G.A.)

4 – Père du duc de Nivernais. (G.A.)

5 – A Vincennes. (G.A.)

 

 

 

 

à Madame la présidente de Bernières.

 

A Fontainebleau, ce 18 Octobre.

 

 

        Gervasi va partir pour vous aller voir ; j’en voudrais bien faire autant ; mais jamais mon goût n’a décidé de ma conduite. Je me flatte qu’il vous trouvera en bonne santé, et que ce sera un voyage d’ami plutôt que de médecin. Il vous dira toutes les petites nouvelles de la cour, dont je ne vous parle point. Ne m’en sachez pas mauvais gré. J’aime bien mieux, quand je vous écris, vous parler de vous que de ce qui se passe ici. Je suis bien plus inquiet de votre santé, et plus occupé de ce qui vous regarde, que de toutes les tracasseries de Fontainebleau. Je vais demain à Bellegarde ; je vous en prie, que je retrouve une lettre de vous à mon retour. Mademoiselle Lecouvreur, qui, je crois, vous écrit souvent, me charge de vous assurer de ses respects. Elle réussit ici à merveille. Elle a enterré la Duclos. La reine lui a donné hautement la préférence. Elle oublie, au milieu de ses triomphes, qu’elle me hait. N’allez pas oublier, au milieu de vos ruhmatismes, que vous m’avez aimé, et rompez un peu le silence que vous gardez avec moi, ou du moins faites-moi écrire par votre chancelier ; surtout faites-moi savoir combien de temps vous resterez encore à la Rivière. Permettez-moi de saluer tous ceux qui y sont, et d’envier leur destinée : je n’ose dire de venir la partager, car vous ne m’en croiriez pas ; mais si vous restez encore un mois ou six semaines, je viendrai assurément ; mais, au nom de Dieu, conservez votre santé ; elle dépend de vous, je vous le répète encore, beaucoup plus que de tous les médecins du monde. Soyez sobre, et votre santé sera aussi bonne qu’elle m’est chère.

 

 

 

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