ARTICLES DE JOURNAUX - Sur la philosophie

Publié le par loveVoltaire

ARTICLE-DE-JOURNAUX---3.jpg

 

Photo de Khalah

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARTICLES DE JOURNAUX.

 

 

 ARTICLE DE JOURNAUX - 1

 

 

 

 

CONSEILS A UN JOURNALISTE SUR LA PHILOSOPHIE, L’HISTOIRE, LE THÉÂTRE, LES PIÈCES DE POÉSIE, LES MÉLANGES DE LITTÉRATURE, LES ANECDOTES LITTÉRAIRES, LES LANGUES ET LE STYLE.

 

 

Mercure de France, 1ER Novembre 1744 (1).

 

 

 

 

 

 

 

         L’ouvrage périodique auquel vous avez dessein de travailler, monsieur, peut très bien réussir, quoi qu’il y en ait déjà trop de cette espèce. Vous me demandez comment il faut s’y prendre pour qu’un tel journal plaise à notre siècle et à la postérité. Je vous répondrai en deux mots : soyez impartial. Vous avez la science et le goût ; si avec cela vous êtes juste, je vous prédis un succès durable. Notre nation aime tous les genres de littérature, depuis les mathématiques jusqu’à l’épigramme. Aucun des journaux ne parle communément de la partie la plus brillante des belles-lettres, qui sont les pièces de théâtre, ni de tant de jolis ouvrages de poésie, qui soutiennent tous les jours le caractère aimable de notre nation. Tout peut entrer dans votre espèce de journal, jusqu’à une chanson qui sera bien faite ; rien n’est à dédaigner. La Grèce, qui se vante d’avoir fait naître Platon, se glorifie encore d’Anacréon, et Cicéron ne fait point oublier Catulle.

 

 

     

 

1 – Cet article, qui nous sert d’introduction, parut pour la première fois dans le Mercure du 1er Novembre 1744 avec le millésime du 10 Mai 1737. Cette date faisait supposer que ces Conseils avaient été donnés jadis en Hollande, et justifiait les allusions qu’on y trouve çà et là aux vieilles calomnies de Jean-Baptiste Rousseau et consorts.

 

            Voltaire, qui réapparaissait alors à la cour, voulait sans doute attester la vanité des attaques dont il avait été l’objet pendant si longtemps. Mais il ne serait pourtant pas impossible que le fond de cet article datât de 1737, car le début tout scientifique répond bien à l’époque où Voltaire s’occupait de la publication de son Essai sur la philosophie de Newton. En 1765, le patriarche inséra cet article remanié dans ses Nouveaux mélanges, avec cette note qui lui maintenait son étiquette hollandaise : « Cette pièce parut en Hollande il y a trente ans ; elle n’a pas été réimprimée depuis. Le public jugera si elle mérite de trouver place dans ce recueil. » (G.A.)

 

 

 

 

 

SUR LA PHILOSOPHIE.

 

 

 

         Vous savez assez de géométrie et de physique pour rendre un compte exact des livres de ce genre, et vous avez assez d’esprit pour en parler avec cet art qui leur ôte leurs épines, sans les charger de fleurs qui ne leur conviennent pas.

 

         Je vous conseillerais surtout, quand vous ferez des extraits de philosophie, d’exposer d’abord au lecteur une espèce d’abrégé historique des opinions qu’on propose, ou des vérités qu’on établit.

 

         Par exemple, s’agit-il de l’opinion du vide, dites en deux mots comment Epicure croyait le prouver ; montrez comment Gassendi l’a rendu plus vraisemblable ; exposez les degrés infinis de probabilité que Newton a ajoutés enfin à cette opinion par ses raisonnements, par ses observations et par ses calculs.

 

         S’agit-il d’un ouvrage sur la nature de lair ; il est bon de montrer d’abord qu’Aristote et tous les philosophes ont connu sa pesanteur, mais non son degré de pesanteur. Beaucoup d’ignorants qui voudraient au moins savoir l’histoire des sciences, les gens du monde, les jeunes étudiants verront avec avidité par quelle raison et par quelles expériences le grand Galilée combattit le premier l’erreur d’Aristote au sujet de l’air ; avec quel art Torricelli le pesa, ainsi qu’on pèse un poids dans une balance ; comment on connut son ressort, comment enfin les admirables expériences de MM. Hales et Boerhaave (1) ont découvert des effets de l’air qu’on est presque forcé d’attribuer à des propriétés de la matière inconnues jusqu’à nos jours.

 

         Paraît-il un livre hérissé de calculs et de problèmes sur la lumière, quel plaisir ne faites-vous pas au public de lui montrer les faibles idées que l’éloquente et ignorante Grèce avait de la réfraction ; ce qu’en dit l’Arabe Alhazen, le seul géomètre de son temps ; ce que devine Antonio de Dominis ; ce que Descartes met habilement et géométriquement en usage, quoique en se trompant ; ce que découvre ce Grimaldi (2), qui a trop peu vécu ; enfin ce que Newton pousse jusqu’aux vérités les plus déliées et les plus hardies auxquelles l’esprit humain puisse atteindre ; vérités qui nous font voir un nouveau monde, mais qui laissent encore un nuage derrière elles.

 

         Composera-t-on quelque ouvrage sur la gravitation des astres, sur cette admirable partie des démonstrations de Newton ; ne vous aura-t-on pas obligation, si vous rendez l’histoire de cette gravitation des astres, depuis Copernic qui l’entrevit, depuis Kepler qui osa l’annoncer comme par instinct, jusqu’à Newton qui a démontré à la terre étonnée qu’elle pèse sur le soleil ; et le soleil sur elle ?

 

         Rapportez à Descartes et à Harriot l’art d’appliquer l’algèbre à la mesure des courbes, le calcul intégral et différentiel à Newton, et ensuite à Leibnitz. Nommez dans l’occasion les inventeurs de toutes les découvertes nouvelles (3). Que votre ouvrage soit un registre fidèle de la gloire des grands hommes.

 

         Surtout en exposant des opinions, en les appuyant, en les combattant, évitez les paroles injurieuses qui irritent un auteur, et souvent toute une nation, sans éclairer personne. Point d’animosité, point d’ironie. Que diriez-vous d’un avocat général qui, en résumant tout un procès, outragerait par des mots piquants la partie qu’il condamne ? Le rôle d’un journaliste n’est pas si respectable ; mais son devoir est à peu près le même. Vous ne croyez point l’harmonie préétablie, faudra-t-il pour cela décrier Liebnitz (4) ? Insulterez-vous à Locke, parce qu’il croit Dieu assez puissant pour pouvoir donner, s’il le veut, la pensée à la matière ? Ne croyez-vous pas que Dieu qui a tout créé peut rendre cette matière et ce don de penser éternels ? que s’il a créé nos âmes, il peut encore créer des millions d’êtres différents de la matière et de l’âme ? qu’ainsi le sentiment de Locke est respectueux pour la Divinité, sans être dangereux pour les hommes ? Si Bayle, qui savait beaucoup, a beaucoup douté, songez qu’il n’a jamais douté de la nécessité d’être honnête homme. Soyez-le donc avec lui, et n’imitez point ces petits esprits qui outragent par d’indignes injures un illustre mort qu’ils n’auraient osé attaquer pendant sa vie.

 

 

1 – Hales, physicien anglais, né en 1677, mort en 1761. Quant à Boerhaave (1668-1738), Voltaire fut en relation avec lui, à Leyde, l’année même qu’il prétend donner ces conseils (1737). (G.A.)

 

2 – Auteur de Physico-matesis de lumine, coloribus et iride, aliisque annexis. Il mourut à l’âge de cinquante ans, en 1663. (G.A.)

 

3 – Cette phrase est de 1765. (G.A.)

 

4 – Ce qui suit est encore de 1765. (G.A.)

 

 

 

 

ARTICLE DE JOURNAUX - 3

Publié dans Articles de journaux

Commenter cet article