Affaire Calas : Voltaire lance un nouvel appel au public

APPEL AU PUBLIC
CONTRE UN RECUEIL DE PRETENDUES LETTRES DE M. DE VOLTAIRE
− Journal encyclopédique - Novembre 1766 −
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Le devoir des journalistes ne se borne pas à rendre un hommage public aux grands hommes qui illustrent ce siècle ; ils doivent encore s’élever contre l’imposture, qui cherche à déprimer les talents les plus marqués, ou tout au moins à troubler le repos philosophique des hommes les plus célèbres. M. de Voltaire est souvent dans ce cas ; les pièces que nous allons mettre sous les yeux du public vont le faire sentir mieux que tout ce que nous pourrions dire, et nous commencerons par l’avertissement suivant :
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LETTRES DE M. DE VOLTAIRE A SES AMIS DU PARNASSE.
Avec des notes historiques et critiques. A Genève (a), 1766
AVERTISSEMENT DE L’EDITEUR
Malgré les protestations de M. de Voltaire contre les premières Lettres secrètes qui furent publiées l’an passé, en voici de nouvelles qu’il désavouera probablement aussi, mais qui portent avec elles les preuves de leur authenticité. Toutes ou presque toutes les personnes à qui elles sont adressées, ainsi que celles dont il est parlé, vivent encore. Ce qui rend ces lettres d’autant plus intéressantes, c’est qu’ayant été écrites depuis 1760 jusqu’à la fin de 1765, elles contiennent quantité d’anecdotes curieuses de ce temps, des discussions littéraires, historiques et philosophiques, etc. Elles n’ont donc pas besoin d’une autre recommandation que le nom de leur illustre auteur. Tolle, lege, et vale.
a - Ces Lettres n’ont point été imprimées à Genève, mais à Amsterdam. – L’éditeur était Robinet, qui avait déjà publié des Lettres secrètes de Voltaire (G.A)
Qui ne croirait, après avoir lu cet avertissement, que l’éditeur a eu entre les mains les originaux du peu de lettres qu’il a pu ramasser de M. de Voltaire ; et que du moins il n’a pas joint à la malhonnêteté de les imprimer sans le consentement de l’auteur, l’infidélité de les altérer et de les empoisonner ?
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Certificat de M. Damilaville
Au mois de mai (1) 1765, M. de Voltaire m’écrivit une lettre aussi touchante que sublime, sur les malheurs des Calas et des Sirven.
Cette lettre fut imprimée, et généralement regardée comme ce qui avait été écrit de plus beau sur ce sujet.
Un homme, je ne sais lequel, s’avise, au mépris de l’honnêteté publique d’imprimer en Hollande un recueil qu’il intitule : « Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse, avec des notes historiques et critiques », qu’on nommerait à plus juste titre, du moins pour la plupart, indécentes et calomnieuses.
Cet homme, qui ne me connaît point, m’appelle M. Damoureux ; il insère sous ce nom, dans son recueil, la lettre que M. de Voltaire m’a adressée ; et, comme s’il ne lui suffisait pas d’être calomniateur, il se rend faussaire.
Il intercale dans cette lettre un paragraphe entier de sa façon, et dit, dans une de ses notes : Que c’est un long passage que le censeur n’a pas voulu laisser dans la première édition faite à Paris ; qu’il l’a restitué d’autant plus volontiers, qu’il achève de peindre M. de Voltaire.
Ce paragraphe commence à la fin de la page 181 du Recueil par ces mots : Ce fou triste, et finit au bas de la page 182 par ceux-ci : Dans les sublimes forêts de la Suisse philosophe (2).
Il est superflu d’ajouter que ce passage ne contient pas un mot qui soit de M. de Voltaire ; il suffit de le lire pour être convaincu qu’il est impossible qu’il l’ait écrit, et que jamais il n’a fait partie de la lettre dans laquelle on a osé l’ajouter. L’incohérence des choses, celle du style et des pensées, le prouvent assez (3) ; mais je l’atteste à quiconque en pourrait douter, et je m’engage à en prouver l’interpolation et la fausseté par le manuscrit original de cette lettre, que je déclare avoir entre mes mains.
Fait à Paris, le 17 septembre 1766. Damilaville
1 – Ou plutôt mars. (G.A)
2 – Voyez, dans la CORRESPONDANCE, la lettre à Damilaville du 1er mars 1765. (G.A)
3 – On lit dans ces interpolations ces paroles : « Plusieurs dames de la cour sont d’agréables commères qui aiment Jean-Jacques comme leur toutou. »
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Certificat de M. Deodati de Tovazzi
Monsieur,
Il n’est que trop vrai, dans tous les temps des imposteurs ont cherché, par de noires calomnies, à obscurcir les réputations les plus brillantes.
Supérieur à la plupart des hommes par la beauté du génie, les talents, et l’étendue des connaissances, vous avez été plus exposé qu’un autre aux traits de l’envie ; mais cette supériorité même vous en a fait triompher. Votre siècle applaudit à votre mérite, et la postérité souscrira aux justes éloges que vous recevez.
Pour confondre l’imposture dont vous vous plaignez, et qui attaque en même temps un seigneur si estimable par son zèle patriotique et son amour pour le roi, le moyen le plus sûr est, je crois, de vous envoyer la lettre que vous me fîtes l’honneur de m’écrire, en date du 24 Janvier 1761, telle que je la fis imprimer (1) alors à la suite de ma Dissertation sur la langue italienne, avec ma réponse, et de certifier qu’elle est en tout conforme à l’original. Vous trouverez ce certificat signé de ma main au bas de cette lettre imprimée que je vous envoie ; vous en ferez tel usage que vous voudrez. Si ce moyen ne suffisait pas, je vous prie de m’en envoyer un autre, je l’emploierai avec ardeur, ne désirant rien tant que de vous prouver mon zèle, et de me conformer à vos intentions.
1 – Voyez la Correspondance. (G.A)
A Paris, ce 21 septembre 1766. Deodati de Tovazzi
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Certificat de M. le Duc de la Vallière
Quand j’aurais moins d’amitié pour vous, monsieur, le respect qu’on doit à la vérité me forcerait de lui rendre hommage, en déclarant le plus authentiquement qu’il est possible, que la lettre que vous m’avez adressée, et qui commence par ces mots : Votre procédé est de l’ancienne chevalerie (1), est falsifiée en beaucoup d’endroits dans le Recueil où elle est imprimée.
Mon indignation est d’autant plus juste, qu’on vous fait dire du mal de gens que vous avez toujours aimés, et qu’on vous y donne un caractère qui certainement a toujours été fort éloigné de votre façon de penser ; c’est une justice que je vous dois, et que je suis peut-être plus à portée de vous rendre que personne, par la liaison que j’ai eue avec vous pendant votre séjour à Paris, et par la correspondance que j’ai été charmé d’entretenir depuis que vous en êtes parti. J’ajouterai encore que j’ai trouvé la même infidélité dans la lettre de M. deodati, qui est indignement altérée dans cette collection.
Vous ferez, monsieur, de ma lettre l’usage que vous voudrez ; je serai enchanté de faire un aveu public et de l’estime que m’inspire la supériorité de vos talents, et de la juste indignation que me causent de pareilles falsifications.
A Paris, le 1er novembre 1766. Le duc de La Vallière
1 – Voyez la Correspondance.- 1761. (G.A)
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Certificat du Secrétaire de Voltaire : Wagnière
Ø La lettre à milord Littleton est entièrement défigurée (1).
Ø L’Epître en vers à Sophie n’est pas de M. de Voltaire ; elle est de M. Dorat, et est imprimée dans ses Œuvres.
Ø La lettre de M. Gouju ne peut être de M. de Voltaire ; il n’a jamais eu la moindre correspondance avec M. de Lyoncy (2)
Ø La lettre que j’écrivis moi-même (3) à M. La Douze est aussi corrompue que toutes les autres, et j’atteste que je n’ai jamais écrit ces mots impertinents : Une jolie femme très riche, très dévote, etc ; cette addition est une imposture.
Ø Madame la marquise du Deffant peut certifier que la lettre XXVIe, qui lui est adressée dans ce Recueil, est falsifiée entièrement (4) ; et moi, qui l’ai écrite sous la dictée de M. de Voltaire, dans le temps qu’il était privé de la vue par des fluxions, je l’atteste, et je donne un démenti à l’éditeur.
Ø A l’égard des notes dont l’éditeur a chargé ce Recueil, il y traite les magistrats de Genève de juges infâmes, page 122. C’est à eux à en demander le châtiment. Je fais mon devoir en manifestant l’horreur et le mépris que doivent inspirer de pareilles manœuvres.
A Genève, le 1er novembre 1766. Wagnière
1 – Lettre en anglais dont Robinet donnait une mauvaise traduction. (G.A)
2 – Elle est de Voltaire. (G.A)
3 – Elle est encore de Voltaire. (G.A)
4 – La lettre publiée par Robinet n’était point fausse. Voyez la correspondance, 27 janvier 1764 (G.A)
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De VOLTAIRE
Ces témoignages sont assez convaincants pour qu’on soit en droit de réclamer la justice du public.
Le même éditeur commence son recueil par trois lettres qu’il n’attribue pas expressément à M. de Voltaire, mais dont il semble charger feu M. de Montesquieu. Ces trois lettres sont supposées être écrites à un Anglais nommé le chevalier de Bruan, qui n’a jamais existé. « Souvenez-vous, dit-il, de Cromwell ; l’argent suffit pour corrompre le parlement. » M. de Montesquieu n’a pu dire une telle sottise. Il savait bien que Cromwell n’avait pas corrompu le parlement par argent, et qu’il l’avait subjugué par le fanatisme et par l’épée.
Voici les paroles que l’éditeur prête à M. de Montesquieu à la fin de la troisième lettre :
Il est presque impossible, mon cher Philinte, qu’il y ait un grand homme parmi nos rois, puisqu’ils sont abrutis, dès le berceau, par une foule de scélérats qui les environnent.
Jamais ni le président de Montesquieu, ni M. de Voltaire, n’ont écrit au cher Philinte ; ce qui est véritablement impossible, c’est qu’ils se soient servis de ces expressions grossières contre les Montausier, les Beauvilliers, les Bossuet et les Fénelon, chargés de l’éducation de France.
On ne sait ce qui est plus condamnable, ou l’audace de cet emportement ridicule, ou l’imputation de cet emportement à l’auteur de l’Esprit des Lois et à celui du Siècle de Louis XIV ;
C’est ainsi qu’en 1753 un faussaire (1) fit une édition furtive du Siècle de Louis XIV, dans laquelle il inséra les injures les plus scandaleuses contre ce monarque et contre toute sa cour, avec les plus horribles mensonges.
Cette nouvelle méthode de défigurer les ouvrages les plus connus, et de les remplir de venin pour les mieux vendre, a commencé par l’abbé Desfontaines, qui fit une édition de la Henriade, in-12, à Evreux, dans laquelle il glissa ces deux vers avec plusieurs autres dans le même goût :
Et malgré les Perrault et malgré les Houdart,
On verra le bon goût fleurir de toute part.
On imprima, il y a quelques années, sous le nom de M. de Voltaire, un ouvrage assez connu (2), où l’on a forgé plus de trois cents vers, tels que ceux-ci :
Il eût mieux fait certes, le pauvre sire,
De se gaudir avec sa Margoton, etc…
Voilà les traits les plus honnêtes de tous ceux qu’on osa mettre sur le compte d’un homme qui ne passe pas pour écrire de ce style. Ces vers sont assez dignes de la prose qu’on lui attribue, et ressemblent fort au toutou (3).
Ainsi, pendant qu’il consacrait toute sa vie à la retraite, à l’étude et aux arts, on s’est servi de son nom pour décrier ces mêmes arts. Et quiconque a voulu procurer du débit à un ouvrage n’a pas manqué de le vendre sous ce nom trop connu.
Il n’y a point d’homme de lettres un peu au fait de la librairie, qui ne sache que le Dictionnaire philosophique est de plusieurs mains ; et on en a des preuves authentiques. Cependant des calomniateurs se sont acharnés à l’attribuer à l’auteur de la Henriade ; et de pareilles calomnies se renouvellent tous les jours.
On doit répéter ici qu’il ne faut jamais répondre aux critiques sur des objets de goût ; mais il faut confondre le mensonge. M. de Voltaire a rempli son devoir, quand il a réprimé l’insolence de celui qui prétendait avoir été reçu dans son château, près de Lausanne, et avoir appris ses sentiments de sa propre bouche. Il a dû dire que jamais il n’avait eu de château près de Lausanne ; que jamais il n’avait vu cet abbé Guyon, qui disait (4) l’avoir vu si souvent dans ce prétendu château.
Il a dû réfuter de même les mensonges historiques d’un nommé Nonotte, ex-jésuite, auteur d’un traité en faveur de l’usure, qui n’a pas même pu trouver d’imprimeur, et qui, dans deux volumes intitulés les Erreurs, n’a débité, en effet, que des erreurs avec autant de malignité que d’ignorance (5).
Il faut écraser quelquefois les serpents qui rongent la lime, parce qu’ils peuvent mordre celui qui la tient. Le petit serpent (6), qui a osé attaquer M. d’Alembert, M. Hume, et tant d’autres hommes considérables, dans des Lettres à un prétendu lord, mériterait la même correction si on pouvait lire son ouvrage.
Mais, en général, on doit dire que l’art de l’imprimerie, si nécessaire aux nations policées, n’a jamais été si indignement prostitué ; des faussaires s’en emparent, et des marchands libraires de Hollande vent la calomnie dans leurs boutiques à deux sous la feuille. On n’a d’autre ressource contre ces indignités que de les faire connaître.
J’ajoute aux déclarations ci-dessus, que ce recueil de mes prétendues lettres, et un autre recueil qu’on vient de faire à Avignon, en deux volumes, ne sont qu’un tissu d’impostures. De telles éditions sont un véritable crime de faux, et je m’étonne qu’il y ait un seul gouvernement dans le monde qui tolère une licence si coupable.
Voltaire
Gentilhomme ordinaire de la chambre du roi,
l’un des quarante de l’Académie française.
1 – La Beaumelle. (G.A)
2 – La Pucelle. (G.A)
3 – J.J Rousseau
4 – Dans l’Oracle des nouveaux philosophes, 1759. (G.A)
5 – Voyez plus haut. (G.A)
6 – Jacques Vernet. Voyez plus haut la Lettre curieuse. (G.A)
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AUTRES DECLARATIONS DE VOLTAIRE
− 1767/1768 −
Parution dans le Mercure, Janvier 1767
J’ai déjà déclaré que je ne suis point l’auteur de la Lettre au docteur Pansophe (1), que je voudrais l’avoir faite, et que si j’en étais l’auteur, je l’avouerais hautement. J’ai écrit et j’ai dû écrire la lettre à M. Hume. J’ai dû repousser la calomnie à l’exemple de M. Hume et de M. d’Alembert ; car, quoi qu’en dise M. Dorat, l’agresseur seul à tort, et le calomnié doit se défendre quand il s’agit de faits et de procédés. Je me suis défendu gaiement, et, lorsqu’on dit la vérité en riant, on ne fait pas rire de soi.
J’ai lu les notes que l’on a imprimées sur ma lettre à M. Hume. L’auteur des Notes me paraît trop sérieux : il peut savoir mieux que moi les dates des lettres de M. du Theil : mais je sais mieux que lui qu’il ne faut pas s’appesantir sur les torts d’un homme qui s’est à la vérité rendu malheureux par sa faute, mais qui mérite du ménagement par son malheur même.
A Ferney, le 29 Décembre 1966 Voltaire.
1 – Elle est de De Bordes. Voyez, plus haut, Notes sur la lettre de M. de Voltaire à M. Hume. (G.A)
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Lettre de M. De VOLTAIRE
− 1767 −
Parmi un grand nombre de lettres anonymes, j’en ai reçu une de Lyon, datée du 17 avril, commençant par ces mots : J’ose risquer une 95e lettre anonyme. Je l’ai envoyée au ministère, qui fait réprimer ces délits, et qui est persuadé que tout écrivain de lettres anonymes est un lâche et un coquin ; un lâche parce qu’il se cache, et un coquin parce qu’il trouble la société.
Cet homme, entre autres sottises, me reproche d’avoir dit qu’un nommé La Beaumelle est huguenot (1). Je ne me souviens point de l’avoir dit, et je ne sais si on s’est servi de mon nom pour le dire. Il m’importe fort peu que l’on soit huguenot. Il est assez public que je n’ai jamais regardé et titre comme une injure, et il n’est pas moins public que j’ai rendu des services assez importants à des personnes de cette communion. Mais ceux qui ont dit ou écrit que La Beaumelle était protestant et prédicant, ne se sont certainement pas trompés ; et l’auteur de la lettre anonyme a menti quand il a écrit le contraire.
On trouve dans les registres de la compagnie des ministres de Genève, que Laurent Anglevieux (1), dit La Beaumelle, natif du Languedoc, fut reçu proposant en théologie, le 12 octobre 1745, sous le rectorat de M. Ami de La Rive. Il prècha à l’hôpital et dans plusieurs églises pendant deux ans. Il fut précepteur du fils de M. Budé de Boissi. Il alla ensuite solliciter à Copenhague une place de professeur, et fut ensuite chassé de Copenhague.
Si cet homme s’était contenté de faire de mauvais sermons, je me dispenserais de répondre à la lettre anonyme, quoiqu’elle soit la quatre-vingt-quinzième que j’ai reçue : mais La Beaumelle est le même homme qui, ayant falsifié l’histoire de Louis XIV et de Louis XV, la fit imprimer, avec des notes, à Francfort, chez Eslinger, en 1752 ; Il dit dans ces notes, en parlant de Louis XIV et de Louis XV, qu’un roi qui veut le bien est un être de raison. Il ose soupçonner Louis XIV d’avoir empoisonné le marquis de Louvois ; il insulte la mémoire du maréchal de Villars, et de M. le marquis de La Vrillière, de M. le marquis de Torcy, de M. de Chamillart. Il pousse la démence jusqu’à faire entendre que le duc d’Orléans, régent, empoisonna la famille royale. Son infâme ouvrage, écrit du style d’un laquais insolent, se débita, grâce à l’excès même de cette insolence. C’est le sort passager de tous les libelles écrits contre les gouvernements et contre les citoyens ; ils inondent et ils inonderont toujours l’Europe, tant qu’il y aura des fous sans éducation, sans fortune, et sans honneur, qui, sachant barbouiller quelques phrases, feront, pour avoir du pain, ce métier aussi facile qu’infâme.
Le prédicant La Beaumelle, qui osa retourner en France, ne fut puni que par quelques mois de Bicêtre (2) ; mais son châtiment étant peu connu, et son crime étant public, mon devoir est de prévenir dans toutes les occasions les suites de ce crime, et de faire connaître aux Français et aux étrangers quel est l’homme qui a falsifié ainsi l’histoire du siècle de Louis XIV, et qui a tourné en un indigne libelle un monument si justement élevé à l’honneur de ma patrie.
Comme il a fait contre moi plusieurs autres libelles calomnieux, je dois demander quelle foi on doit ajouter à un homme qui, dans un autre libelle intitulé Mes pensées, a insulté les plus illustres magistrats du conseil de Berne, en les nommant par leur nom, et monseigneur le duc de Saxe-Gotha, à qui je suis très attaché depuis longtemps. J’atteste ce prince, et madame la duchesse de Saxe-Gotha, qu’il s’enfuit de leur ville capitale avec une servante, après un vol fait à la maîtresse de cette servante. Je ne relèverais pas cette turpitude criminelle, si je n’y étais forcé par la lettre insolente qu’ont m’écrit.
Je déclare publiquement que je garantis la vérité de tout ce que j’énonce. Voilà ma réponse à tous ces libelles écrits par les plus vils des hommes, méprisés à la fin de la canaille même pour laquelle seule ils ont été faits. Je suis indulgent, je suis tolérant, on le sait, et j’ai fait du bien à des coupables qui se sont repentis ; mais je ne pardonne jamais aux calomniateurs.
Fait au Château de Ferney, 24 avril 1767 Voltaire.
1 – Voyez le Supplément au Siècle de Louis XIV, tome II. (G.A)
2 – Ou plutôt, à la Bastille. Voltaire le confond ici avec Desfontaines. (G.A)