LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 108
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LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 108)
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ROIS.
LIVRE IV.
Salmanazar, roi des Assyriens (Chapitre XVII, v. 3.), marche contre Osée, fils d'Ela, qui régnait sur Israël à Samarie ; et Osée fut asservi à Salmanazar, et lui paya tribut (1).
1 - Qui étaient ce Téglatphalasar et ce Salmanazar par qui commença l'extinction de la lampe d'Israël ? Ces rois régnaient-ils à Ninive ou à Babylone ? A qui croire, de Clésias ou d'Hérodote, d'Eusèbe ou du Syncelle extrait par Photius ? Y a-t-il eu chez les Orientaux un Bélus, un Ninus, une Sémiramis, un Ninias, qui sont des noms grecs ? Tonaas Concoleros est-il le même que Sardanapale ? Et ce Sardanapale était-il un fainéant voluptueux ou un héros philosophe ? Chiniladam était-il le même personnage que Nabuchodonosor ?
Presque toute l'histoire ancienne trompe notre curiosité : nous éprouvons le sort d'Ixion en cherchant la vérité ; nous voulons embrasser la déesse, et nous n'embrassons que des nuages.
Dans cette nuit profonde, que dois-je faire ? On m'a chargé de commenter une petite partie de la Bible, et non pas l'histoire de Clésias et d'Hérodote. Je m'en tiens à ce que les Hébreux eux-mêmes racontent de leurs disgrâces et de leur état déplorable. Un roi d'Orient, qu'ils appellent Salmanazar, vient enlever dix tribus hébraïques sur douze, et les transporte dans diverses provinces de ses vastes États. Y sont-elles encore ?.en pourrait-on trouver quelques vestiges ? Non, ces tribus sont ou anéanties ou confondues avec les autres Juifs. Il est vraisemblable, et presque démontré, qu'elles n'avaient aucun livre de leur loi lorsqu'elles furent amenées captives dans des déserts en Médie et en Perse ; puisque la tribu de Juda elle-même n'en avait aucun sous le règne du roi Josias, environ soixante et dix ans avant la dispersion des dix tribus ; et que, dans cet espace de temps, tout le peuple fut continuellement affligé de guerre intestines et étrangères, qui ne lui permirent guère de lire.
Il peut se trouver encore quelques-uns des descendants des dix tribus vers les bords de la mer Caspienne, et même aux Indes, et jusqu'à la Chine ; mais les prétendus descendants des Juifs, qu'on dit avoir été retrouvés en très petit nombre dans ces pays si éloignés, n'ont aucune preuve de leur origine : ils ignorent jusqu'à leur ancienne langue ; ils n'ont conservé qu'une tradition vague, incertaine, affaiblie par le temps.
Les deux autres tribus de Juda et de Benjamin, qui revinrent à Jérusalem avec quelques lévites après la captivité de Babylone, ne savent pas même aujourd'hui de quelle famille ils peuvent être.
Si donc les Juifs qui avaient habité dans Jérusalem depuis Cyrus jusqu'à Vespasien n'ont pu jamais connaître leurs familles, comment les autres Juifs, dispersés depuis Salmanazar vers la mer Caspienne et en Scythie, auraient-ils pu retrouver leur arbre généalogique ? Il y eut des Juifs qui régnaient dans l'Arabie Heureuse sur un petit canton de l'Yémen, du temps de Mahomet dans notre septième siècle, et Mahomet les chassa bientôt ; mais c'étaient sans doute des Juifs de Jérusalem, qui s'étaient établis dans ce canton pour le commerce, à la faveur du voisinage. Les dix tribus, anciennement dispersées vers la Mingrélie, la Sogdiane, et la Bactriane, n'avaient pu de si loin venir fonder un petit État en Arabie.
Enfin, plus on a cherché les traces des dix tribus, et moins on les a trouvées.
On sait assez que le fameux Juif espagnol Benjamin de Tudèle, qui voyagea en Europe, en Asie, et en Afrique, au commencement de notre douzième siècle, se vanta d'avoir eu des nouvelles de ces dix tribus que l'on cherchait en vain. Il compte environ sept cent quarante mille Juifs vivant de son temps dans les trois parties de notre hémisphère, tant de ses frères dispersés par Salmanazar, que de ses frères dispersés depuis Titus et depuis Adrien. Encore ne dit-il pas si dans ces sept cent quarante mille sont compris les enfants et les femmes ; ce qui ferait, à deux enfants par famille, deux millions neuf cent soixante mille Juifs. Or, comme ils ne vont point à la guerre, et que les deux grands objets de leur vie sont la propagation et l'usure, doublons seulement leur nombre depuis le douzième siècle, et nous aurons aujourd'hui dans notre continent quatre millions neuf cent vingt mille Juifs, tous gagnant leur vie par le commerce ; et il faut avouer qu'il y en a d'extrêmement riches depuis Bassora jusque dans Amsterdam et dans Londres.
D'après ce compte très modéré, il se trouverait que le peuple d'Israël serait non-seulement plus nombreux que les anciens Parsis ses maîtres, dispersés comme lui depuis Omar, mais plus nombreux qu'il ne le fut lorsqu'il s'enfuit d'Égypte en traversant à pied la mer Rouge.
Mais aussi il faut considérer qu'on accuse le voyageur Benjamin de Tudèle d'avoir beaucoup exagéré, suivant l'usage de sa nation et de presque tous les voyageurs.
La relation du rabbi Benjamin ne fut traduite en notre langue qu'en 1729, à Leyde ; mais cette traduction étant fort mauvaise, on en donna une meilleure en, 1734, à Amsterdam. Cette dernière traduction est d'un enfant de onze ans, nommé Baratier, Français d'origine, né dans le Margraviat de Brandebourg-Anspach. C'était un prodige de science, et même de raison, tel qu'on n'en avait point vu depuis le prince Pic de la Mirandole. Il savait parfaitement le grec et l'hébreu dès l'âge de neuf ans ; et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'à son âge il avait déjà assez de jugement pour n'être point l'admirateur aveugle de l'auteur qu'il traduisait ; il en fit une critique judicieuse : cela est plus beau que de savoir l'hébreu.
Nous avons quatre dissertations de lui, qui feraient honneur à Bochart, ou plutôt qui l'auraient redressé. Son père, ministre du saint Évangile, l'aida un peu dans ses travaux ; mais la principale gloire est due à cet enfant.
Peut-être même ce singulier traducteur et ce plus singulier commentateur, méprise trop l'auteur qu'il traduit ; mais enfin il fait voir qu'au moins Benjamin de Tudèle n'a point vu tous les pays que ce Juif prétend avoir parcourus. Benjamin s'en rapporta sans doute dans ses voyages aux discours exagérés, emphatiques et menteurs, que lui tenaient des rabbins asiatiques, empressés à faire valoir leur nation auprès d'un rabbin d'Europe. Il ne dit pas même qu'il ait vu certaines contrées imaginaires dans lesquelles on disait que les Juifs de la première dispersion avaient fondé des États considérables.
"La ville de Théma, dit Benjamin, est la capitale des Juifs au nord des plaines de Sennaar ; leur pays s'étend à seize journées dans les montagnes du nord : c'est là qu'est le rabbi Hanan, souverain de ce royaume. Ils ont de grandes villes bien fortifiées ; et de là il vont piller jusqu'aux terres des Arabes leurs alliés : ils sont craints de tous leurs voisins. Leur empire est très vaste ; ils donnent la dîme de tout ce qu'ils ont aux disciples des sages qui demeurent toujours dans l'école, aux pauvres d'Israël et aux pharisiens, c'est-à-dire leurs dévots.
Dans toutes ces villes il y a environ trois cent mille Juifs ; leur ville de Tanaï a quinze milles en longueur et autant en largeur. C'est là qu'est le palais du prince Salomon. La ville est très belle, ornée de jardins et de vergers, etc."
Benjamin ne dit point du tout qu'il ait été dans ce pays de Théma ni dans cette ville de Tanaï : il ne nous apprend pas non plus de quels Juifs, il tient cette relation chimérique. Il est sûr qu'on ne peut le croire ; mais il est sûr aussi que, s'il est un Juif ridiculement trompé par des Juifs de Bagdad et de Mésopotamie, il n'est point un menteur qui dit avoir vu ce qu'il n'a point vu.
Benjamin, probablement, alla jusqu'à Bagdad et à Bassora : c'est là qu'il apprit des nouvelles de l'île de Ceylan : et on l'a condamné très mal à propos d'avoir dit que l'île de Ceylan, qui est sous la ligne, est sujette à d'extrêmes chaleurs.
Enfin, son livre est plein de vérités et de chimères, de choses très sages et très impertinentes ; et en tout, c'est un ouvrage fort utile pour quiconque sait séparer le bon grain de l'ivraie.
Benjamin ne parle point des Paris, qui sont aussi dispersés que la nation judaïque, et en aussi grand nombre ; il n'est occupé que de ses compatriotes.
Le résultat de toutes ces recherches est que les Juifs sont partout, et qu'ils n'ont de domination nulle part, ainsi que les Paris sont répandus dans les Indes, dans la Perse, et dans une partie de la Tartarie.
Si les calculs chimériques du jésuite Pétau de Wiston, et de tant d'autres, avaient la moindre vraisemblance, la multitude des Juifs et des Parsis couvrirait aujourd'hui toute la terre.
Revenons maintenant à l'état où étaient les deux hordes, les deux factions hébraïques de Samarie et de Jérusalem. Achaz régnait sur les deux tribus de Juda et de Benjamin : cet Achaz, à l'âge de dix ans, selon le texte, engendra le roi Ezéchias ; c'est de bonne heure. Il fit depuis passer un de ses enfants par le feu, sans que le texte nous apprenne s'il brûla réellement son fils en l'honneur de la Divinité, ou s'il le fit simplement passer entre deux bûchers, selon l'ancienne coutume qui dura chez tant de nations superstitieuses jusqu'à Savonarole dans notre seizième siècle.
Les Paralipomenes (Livre II, chapitre XXXVIII, v. 6 et 8.) disent qu'un certain roitelet d'Israël, nommé Phacée, lui tua un jour cent vingt mille hommes dans un combat, et lui fit deux cent mille prisonniers : c'est beaucoup.
Cet Achaz était alors, lui et son peuple, dans une étrange détresse : non-seulement il était vexé par les Samaritains, mais il l'était encore par le roi de Syrie, nommé Rafin, et par les Iduméens. Ce fut dans ces circonstances que le prophète Israël vint le consoler, comme il le dit lui-même aux chapitres VII et VIII de sa grande prophétie, en ces termes : "Le Seigneur continuant de parler à Achaz, lui dit : Demande un signe, soit dans le bas de la terre, soit dans les hauts au-dessus. Et Achaz dit : Je ne demanderai point de signe, je ne tenterai point Adonaï. Eh bien ! dit Isaïe, Adonaï te donnera lui-même un signe, une femme concevra (*) ; elle enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel ; et avant qu'il mange de la crème et du miel, et qu'il sache connaître le bien et le mal, ce pays que tu détestes sera délivré de ces deux rois (Rafin et Phacée) : et dans ces jours Adonaï sifflera aux mouches qui sont au haut des fleuves d'Égypte et du pays d'Assur ; Adonaï rasera avec un rasoir de louage la tête et le poil d'entre les jambes, et toute la barbe du roi d'Assur, et de tous ceux qui sont dans son pays... Et Adonaï me dit : Écris sur un grand rouleau avec un stylet d'homme, Maher-salal-has-bas, qu'on prenne vite les dépouilles." C'est dans ce discours d'Isaïe que des commentateurs, appelés figuristes, ont vu clairement la venue de Jésus-Christ, qui pourtant ne s'appela jamais ni Emmanuel, ni Maher-salal-has-bas, "prends vite les dépouilles." Poursuivons nos recherches sur la destruction des dix tribus. (Voltaire.) - Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l'article PROPHÉTIES, sect. III, et notre note. (G.A.)
(*) Le mot hébreu alma signifie tantôt fille, tantôt femme, quelquefois même prostituée. Ruth étant veuve est appelée alma. Dans le Cantique des Cantiques et dans Joël, le nom d'alma est donné à des concubines.