CORRESPONDANCE - Année 1777 - Partie 7

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE - Année 1777 - Partie 7

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à M. le chevalier de Chastellux.

 

9 Avril 1777.

 

 

          Monsieur, la nature venait de me faire une niche fort ridicule, lorsque j’ai reçu ma félicité dans le beau présent de la Félicité publique (1). Il n’appartenait pas à un homme aussi maigre que moi d’être accusé d’une attaque d’apoplexie ; ce ne devait pas être là mon genre. Cependant on prétend que telle a été ma destinée ; et il faut bien qu’en effet j’aie essuyé cette plaisanterie, puisque tout le monde me le dit, et puisque j’ai été si longtemps sans pouvoir vous écrire et vous remercier ; mais enfin je peux lire, et c’est là ma félicité, dont je vous remercie.

 

          Je vois que vous avez bien étendu et bien embelli votre ouvrage. Les Vues ultérieures et l’Appendix sur les Dettes publiques sont des morceaux très instructifs. Vos remarques sur les esclaves sont d’autant plus belles, que vous aviez des esclaves autrefois, et actuellement ce sont des moines de Bourgogne et de Franche-Comté qui en ont. Il y a mille traits nouveaux qui intéressent et qui instruisent le lecteur.

 

          Vous savez, monsieur, que j’avais été charmé de la première édition, et que je ne pouvais être suspect de flatterie : j’ignorais l’auteur. Je puis actuellement lui rendre les grâces que je lui dois ; mais, dans l’état où je suis, je ne dois pas hasarder une trop longue lettre ; un malade de mon âge doit se taire. Agréez sa très tendre et très respectueuse reconnaissance. Continuez à faire le bonheur de vos amis, en regrettant celle que vous avez perdue. Je ne fais que des adieux. Madame Denis compte bien vous remercier un jour à Paris de l’honneur de votre souvenir.

 

 

1 – Nouvelle édition. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. l’abbé du Vernet.

 

Ferney, 10 Avril 1777 (1).

 

 

          Le vieillard malade, ou plutôt mourant, à qui M. l’abbé du Vernet a écrit, compte parmi ses plus grands maux celui de ne lui avoir pu répondre avec exactitude. M. l’abbé ne doute pas que le pauvre solitaire ne soit pénétré d’horreur au récit des méchancetés et des bêtises de ces cannibales (2). Une relation de cette grossièreté barbare figurerait très bien dans un de ces journaux où l’on instruit l’Europe de ce qui se passe dans l’île Formose.

 

          Le vieux malade va bientôt partir de ce globe, habité encore par tant de sauvages. Mais il regrettera ceux qui pensent comme M. l’abbé du Vernet et son ami. L’apoplexie dont il a été attaqué n’a pas tout à fait pénétré jusqu’à son âme. Il se console de quitter bientôt ce monde, où il n’entend parler que d’extravagances barbares et fanatiques ; mais il mourra bien plus consolé, s’il apprend que les détestables coquins de convulsionnaires, qui ont persécuté M. Delisle, ont été sans crédit au parlement, où ils sont prisés ce qu’ils valent. On ne dira même rien de désagréable à un homme aussi estimable que M. Delisle ; on lui recommandera seulement de se conformer plus exactement aux règlements de la librairie. Je prie M. l’abbé du Vernet d’embrasser pour moi son prisonnier, qui, je crois, est actuellement délivré.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – Les juges du Châtelet avaient condamné Delisle de Sales au bannissement. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le baron d’Espagnac.

 

A Paris, 13 Avril 1777 (1).

 

 

          Monsieur, j’abuse à l’excès de vos bontés ; mais aussi vous êtes le maître de ne répondre à mes requêtes que par des refus.

 

          J’ose vous supplier de récompenser, s’il est possible, par une croix de Saint-Louis les anciens services de M. Mantel, qui commande la brigade des invalides à Ferney. C’est un homme si exact à tous ses devoirs et si honnête dans tous ses procédés, que je n’ai pu me dispenser de vous présenter cette très humble requête. C’est à vous de juger si elle est admissible, et si j’ai poussé trop loin mon zèle. Ce qui est très sûr, c’est que je ne pourrai jamais porter trop loin ma vive reconnaissance pour vos bontés et le respect avec lequel, etc.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Panckoucke.

 

A Ferney, 30 Avril 1777.

 

 

          On vous envoie, monsieur, sous l’enveloppe de M. le comte de Vergennes, un extrait assez intéressant des Mémoires Noailles-Millot. On souhaite passionnément que ces petits amusements vous soient de quelque utilité. J’avais déjà ces Mémoires dans ma petite bibliothèque, et l’on vient de m’en apporter un nouvel exemplaire par la voie de M. de Luneau de Boisjermain. Il est accompagné du fatras le plus savant et le plus impertinent que j’aie jamais lu ; c’est l’Histoire véritable des temps fabuleux. Si j’étais plaisant, il y aurait un plaisant extrait à faire de ce déplaisant galimatias. Je n’ai pas envie de rire ; cependant je m’égaierai à dire un mot de ce pédant en us, nommé Guérin du Rocher, prêtre.

 

          Je suis bien en peine de l’affaire de M. Delisle de Sales. Son livre assurément ne méritait pas ce vacarme. Je ne peux pas dire qu’il ait été de tous les hommes le plus cruellement persécuté ; car, il y a dix ans, il existait un chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant-général des armées du roi. Les Français seront toujours moitié tigres et moitié singes. Ils se réjouiront également à la Grève et aux grands danseurs de corde du boulevard. Mes très humbles compliments, je vous en prie, à M. et à madame Suard, et à tous nos amis.

 

 

 

 

 

à M. le marquis de Villevieille.

 

30 Avril 1777.

 

 

          Mon très aimable seigneur suisse, le vieux malade, qui se meurt sur les frontières de la Suisse, vous remercie de votre lettre du mardi 22 d’avril. Il a ri comme un fou des Horaces et des Curiaces (1) quoique son état ne lui donne pas envie de rire ; mais il pleure cette pauvre philosophie qu’on persécute si cruellement.

 

          J’ai lu les six volumes de Noailles-Millot ; je vous avoue que j’avais déjà été un peu fâché pour le duc de Bourgogne qu’il eût écrit à madame de Maintenon contre le duc de Vendôme, et qu’il se fût amuser à détraquer une montre avant la bataille d’Oudenarde. J’aime mieux le marquis de Villette, qui veut bien commander une montre de Ferney ; il n’a qu’à me donner ses ordres. La veut-il avec des diamants au poussoir, au bouton, et aux aiguilles ? la veut-il à secondes ? il sera servi sur-le-champ ; vous savez combien je l’aime. Je suis enchanté qu’il ne m’ait pas oublié.

 

          On dit que j’ai eu une attaque d’apoplexie ; ce sont mes ennemis qui font courir ces mauvais bruits. J’avoue pourtant que j’ai eu un accident qui lui ressemblait fort. Cela est fort ridicule à un homme aussi maigre que moi ; mais il faut que je passe par toutes les épreuves. Ce petit avertissement me dit que je ne vous suis pas attaché encre pour longtemps, mais ce sera avec la plus respectueuse tendresse.

 

 

1 – Chanson sur le ballet des Horace et des Curiaces. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. Delisle de Sales.

 

6 Mai 1777.

 

 

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          Oui, c’est au ridicule, et non à leurs remords, qu’il faut livrer tous ces inquisiteurs soit de Goa (1), soit de Paris, soit d’Espagne. Tout ce que peut vous ajouter un homme de quatre-vingt-trois ans, mourant des suites d’une attaque d’apoplexie, c’est que si les grands chirurgiens vous font des incisions aussi profondes que les fraters subalternes vous en ont fait, vous ferez très bien de venir prendre les eaux chez le mourant. Comme vous avez passé votre jeunesse dans l’Oratoire, vous n’avez pas oublié la façon d’exhorter les gens à la mort. Venez chez un ami digne de vous estimer : nous aimerons Dieu ensemble, et nous détesterons les injustices des hommes.

 

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1 – Après sa condamnation, Delisle de Sales avait publié des Lettres de l’inquisiteur de Goa sur la Philosophie de la Nature. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le chevalier de Chastellux.

 

A Ferney, 6 Mai 1777 (1).

 

 

          Monsieur, on dit qu’il faut restituer à la mort ce que l’on doit à son prochain : les suites de mon apoplexie m’obligent à songer à ma conscience. Vous avez eu la bonté de m’apprendre que le fils de M. de Lally a obtenu, par sa persévérance courageuse, la révision (2) de l’horrible procès fait à son père. On a retrouvé, en brûlant des papiers chez moi pour les dérober à la rage des persécuteurs, des mémoires que M. de Lally le fils m’avait confiés. Plût à Dieu que le chevalier de La Barre eût laissé un fils qui eût vengé ainsi l’assassinat juridique qui a fait périr son père !

 

          Je ne sais point la demeure du jeune M. de Lally : vous me fîtes l’honneur, monsieur, de m’écrire il y a quelque temps que vous vous intéressiez à ce brave gentilhomme ; vous eûtes même la bonté de me faire parvenir une de ses lettres, si ma mémoire trop affaiblie ne me trompe pas. Souffrez donc que je prenne la liberté de vous adresser le paquet que je lui restitue. Souffrez aussi que je présente mes adieux respectueux à M. de Fourqueux et à madame d’Invau. Personne n’a plus senti que moi le prix de vos bontés, de votre bienfaisance, de votre sage philosophie. Je ne suis plus qu’une ombre, mais cette ombre est pénétrée pour vous du plus tendre attachement, comme du plus profond respect.

 

 

1 – Editeurs, de Cayrol et A. François. (G.A.)

2 – On allait commencer cette révision. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le maréchal duc de Richelieu.

 

A Ferney, 6 Mai 1777.

 

 

          Il paraît un Résumé (1) de cent vingt-six pages. Je vous conjure, monseigneur, de me l’envoyer. Ne me tenez point rigueur ; ne me punissez point de la mauvaise démarche de papillon-philosophe, qui vous est venue demander des secours, après que vous m’en aviez donné, pour m’aider à soutenir le procès ridicule et ruineux que j’ai à la cour de Dijon pour une chaumière du pays de Genève. Je suis comme un vieux lapin qui combat pour un terrier ; et vous, un aigle attaqué par cinq ou six chats-huants.

 

          Je vous demande en grâce, je vous supplie à genoux de me faire lire votre Résumé. Ordonnez qu’on me l’envoie, ou par la poste avec un contre-seing, ou par la diligence de Lyon. N’abandonnez pas absolument le persécuté de quatre-vingt-trois ans, tombé depuis peu en apoplexie, et ne soyez pas si fier de votre jeunesse de quatre-vingts ans. Conservez-moi vos bontés, comme je vous conserve mon très tendre respect, sur le point d’être enterré en Suisse.

 

 

1 – Il s’agit toujours du procès de Richelieu avec madame de Saint-Vincent. (G.A.)

 

 

 

 

 

à M. le baron d’Espagnac.

 

A Ferney, 9 Mai 1777.

 

 

          Monsieur, ces jours passés je rencontrai Eustache Prévôt, dit La Flamme, l’un des invalides que vous avez eu la bonté de me donner. Il me dit qu’il était presque aveugle ; je lui répondis que je ne voyais pas trop clair. Il ajouta qu’il était très malade ; je lui répliquai que j’étais tombé en apoplexie il y a près de deux mois, comme cela n’est que trop vrai. Il m’avoua, en soupirant, qu’il était cassé de vieillesse ; je lui fis confidence que j’avais quatre-vingt-trois ans. Enfin il me conjura d’obtenir de vous que vous daignassiez l’admettre parmi les invalides de votre hôtel. Il me protesta qu’il voulait avoir la consolation de mourir sous vos lois et sous vos yeux. Je vous demanderais la même grâce pour moi ; mais il faut donner la préférence à un vieux soldat qui a essuyé plus de coups de fusil que je n’en ai jamais tiré à des lapins.

 

          Permettez donc que je vous présente ma requête pour La Flamme, qui me paraît en effet un peu éteinte. Ajoutez cette grâce à toutes celles dont vous m’avez honoré, et soyez persuadé du respect, de l’attachement, et de la profonde estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

 

 

 

 

 

 

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